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Johann Sebastian Bach 

Variations Goldberg

"- Que joue-t-elle ? N'est-ce pas le son du clavecin ?

- Oui, ce sont les Variations Goldberg. Sûrement, c'est la voix de Jean-Sébastien. J'ai bien peur que nos invités ne comprennent pas cette oeuvre étonnante où il n'y a rien à comprendre.

 

Cécile a fait éteindre la lumière. Ses doigts sont libres dans l'ombre. Vraiment, ils n'ont pour guide que la ferveur du génie. Et ils commencent de distribuer la nourriture à toutes ces âmes assemblées. Plusieurs de ces âmes sont pauvres, sont indociles. Il faut que la musique, à deux  trois reprises, vienne les saisir et les délier. Elles cèdent, petit à petit,  elles succombent à l'enchantement. Il y a, pour chacune de ces âmes dissemblables, une phrase, une note qui lui fut très exactement destinée. La  voix du vieil archange cherche dans la nuit, s'oriente et vient enfin se poser comme une colombe,  sur une épaule contractée, sur une tête rebelle."

(Georges Duhamel. La Nuit de la Saint-Jean. 1935, Mercure de France) 

BnF, Collection sonore - Classique et opéra. Manuscrit original, interprétation de Glenn Gould. 

Gallica et BnF Collections Sonore réunissent la partition des Variations Goldberg sur l’exemplaire ayant appartenu à Jean-Sébastien Bach (découvert en 1974 à Strasbourg) par l'organiste et musicologue Olivier Alain) et l’enregistrement emblématique de Glenn Gould (Sony,1955)

Les Variations Goldberg constituent une œuvre pour clavecin composée par Johann Sebastian Bach portant le numéro 988 dans le catalogue BWV. Cette œuvre, composée au plus tard en 1740, constitue la partie finale — et la clef de voûte — de la Clavier-Übung publiée à Nuremberg par Balthasar Schmidt. Elles représentent aussi un des sommets de la forme « thème avec variations », et une des pièces les plus importantes écrites pour clavier. L'œuvre est d'une richesse extraordinaire de formes, d'harmonies, de rythmes, d'expression et de raffinement technique, le tout basé sur une technique contrapuntique inégalable.

Écrites vers le début des dix dernières années de la vie de Bach, elles inaugurent la série des œuvres mono-thématiques et contrapuntiques de sa musique instrumentale. On retrouve l'importance de ces Variations Goldberg dans le manuscrit autographe de la main de Bach, qui n'a été découvert qu'en 1974 en Alsace par Olivier Alain : parmi les additifs et corrections, Bach a ajouté une série de « quatorze canons sur les huit premières notes fondamentales de l'Aria », dont le principe se retrouve dans ses œuvres plus tardives, telles que L'Offrande musicale et L'Art de la fugue.

Elles sont initialement destinées au clavecin à deux claviers, l'usage fréquent de croisements de mains rendant leur interprétation difficile sur un seul clavier.

 

 

Structure

 

À partir de l'Aria introductive, une sarabande lente et ornée, et fondée sur le motif de basse très répandu de lagagliarda italiana (gaillarde italienne), Bach crée un immense univers en développement, qui regroupe de nombreux styles musicaux : canons, fugues, gigues, chorals ornés. Ce développement se compose de trente variations, séparées en deux grandes parties de quinze variations, la seconde partie commençant par une ouverture. Après ces trente variations dans lesquelles Bach emploie tous les moyens imaginables pour partir du même point et pour revenir au même point (chaque variation correspond à une mesure de l'aria), il clôt le cycle par une réitération de l'aria, laissant suggérer que rien n'est achevé.

Le nombre de mesures et la tonalité des mouvements (Aria, 30 variations, Aria da Capo) concordent, la relation est parfaite, ce qui était très important pour Bach.

En plus de la division en deux parties de quinze Variations, elles se regroupent également en dix ensembles de trois variations, fournissant pour support une gradation contrapuntique concluante : chaque troisième mouvement est un canon, les intervalles d'imitation montant successivement de l'unisson (dans la variation 3) à la neuvième (variation 27). Au lieu du canon à la 10e prévisible, la variation 30 est un quodlibet qui combine avec fantaisie plusieurs thèmes populaires encontrepoint : « Ich bin so lange nicht bei dir gewest, rück her, rück her » (« Il y a si longtemps que je ne suis plus auprès de toi, rapproche-toi, rapproche-toi »); et« Kraut und Rüben haben mich vertrieben / Hätt’ mein’ Mutter Fleisch gekocht, so wär’ ich länger blieben) » (« Choux et raves m’ont fait fuir, Si ma mère avait fait cuire de la viande, je serais resté plus longtemps »). La première mélodie était très répandue au xviie siècle comme Kehraus (dernière danse) : morceau que l'on jouait pour faire comprendre que la soirée dansante se terminait.

À l'instar de la Chaconne pour violon solo, ces variations reposent davantage sur la basse obstinée que sur l'air principal, selon la technique de la chaconne ou du ground anglais.

 

 


 

Histoire

Selon la tradition, inspirée de la biographie de Bach qu'écrivit Johann Nikolaus Forkel en 1802, elles furent commandées au compositeur par le comte Keyserling. Bach était en voyage à Dresde en novembre 1741, et on peut soupçonner qu'il ait présenté à son protecteur, c'est-à-dire précisément le comte Keyserling, une copie des Variations Goldberg qui venaient d'être imprimées. Peut-être Johann Gottlieb Goldberg, l'apprenti claveciniste et élève extrêmement doué de Johann Sebastian et de Wilhelm Friedemann Bach a-t-il joué ces Variations à son maître le comte pour distraire ses longues nuits d'insomnies, et pour l'accompagner jusque dans les bras de Morphée.

 

Mais cette légende est néanmoins largement contestée au début du xxie siècle, du fait de l'absence de dédicace au frontispice de l'édition de 1741, très en coutume à l'époque, et de l'absence, dans l'inventaire des biens de Bach après sa mort, de traces des riches cadeaux faits par Keyserling à Bach, selon Forkel (une coupe en or remplie de cent louis d’or). De plus, l'âge de Goldberg nous laisse penser qu'il est très peu probable que lors de la composition, qui daterait au plus tard de 1740, Bach ait songé aux talents de son élève, tout juste âgé de 13 ans. Il vaut sans doute mieux attribuer ces variations, quatrième et dernière partie de la Clavier-Übung, à une initiative personnelle de son compositeur. L'édifice monumental de ces Exercices pour clavier, présentant dans des compositions exemplaires les genres les plus importants de la musique pour clavier, devait en effet être une clé de voûte couronnant une grande œuvre cyclique.

Une grande dame pour une grande oeuvre

 

Le 14 mai 1933, Wanda Landowska donne la première exécution publique au clavecin des Variations Goldberg de Bach qu'elle travaille depuis quarante-cinq ans. Comme Felix Mendelssohn l'avait fait un siècle plus tôt avec la Passion selon Saint Matthieu, Landowska réussit à imposer l'œuvre, contribuant avec d'autres tels Pablo Casals à la réhabilitation de la musique de Bach.

De Glenn Gould à Musescore

 

L'une des interprétations les plus connues est celle, au piano, de Glenn Gould (enregistrée quatre fois, les deux plus connues étant celles de 1955 et de 1981), analytique et chantante à la fois. Il a vingt-deux ans. Son premier disque des Variations Goldberg de juin 1955 dans les studios CBS de New York, publié en janvier 1956 et acclamé tant par la critique que le public, lui apporte la renommée internationale. Karajan le réclame pour Berlin et Salzbourg et même Khrouchtchev veut l'entendre à Moscou. Cette interprétation d'une vélocité et d'une clarté de voix hors du commun et hors des modes de l'époque, contribue notablement à son succès. Resté une référence absolue, cet enregistrement fait toujours partie des meilleures ventes du catalogue CBS/Sony. Les premières mesures des Variations Goldberg sont gravées sur la pierre tombale de Glenn Gould.

 

Les Variations Goldberg ont été de nombreuses fois enregistrées, au piano, au clavecin, à l'orgue, à l'accordéon de concert, ainsi qu'adaptées pour trio à cordes, trio de jazz, et pour orchestre.

En 2012, le projet Open Goldberg Variations permet l'enregistrement des Variations Goldberg jouées par la pianiste Kimiko Ishizaka et la mise à disposition dans le domaine public des enregistrements ainsi que des partitions réalisées avec le logiciel MuseScore.

ARIA Basso continuo

 

Maintenant c’est commencé et ça ne pourra plus s’arrêter, c’est irrémédiable, un temps s’est déclenché, a été déclenché par moi et doit être soutenu par moi pendant sa durée obligée. Je suis à la merci de ce temps désormais, je n’ai plus le choix, il faut que je le parcoure jusqu’au bout. Une heure et demie et des poussières. Ça n’a rien à voir avec une heure et demie de sommeil, ou de conversation, ou de cours magistral. Je n’ai pas le droit de me retourner dans la salle, parmi lesquels se trouvent pourtant des êtres que j’ai aimés et que j’aime; je ne dois penser qu’à mes doigts, et même à eux je ne dois pas vraiment penser. Sinon je sais qu’ils deviendront des bouts de chair, des boudins blancs, petits porcs frétillants, et je risquerai de m’interrompre horrifiée de les voir se rouler ainsi sur les morceaux d’ivoire. J’ai enlevé ma montre, elle me gêne pour jouer. Mes mains doivent être tout entières au service de ce rituel : pendant ce temps, la contrainte de performance doit être totale […] je suis l’interprète et surtout pas le créateur. […] le pire c’est de n’avoir, tout le temps que dure l’épreuve, aucun accès à la musique ellemême. Je suis là pour en faire, les autres pour en entendre, mais la musique se déploie dans un entre-deux qui ne touche ni moi ni eux. […] j’exé- cute. La musique doit être exécutée, c’est à dire : mise à mort. Je suis le bourreau de l’immortel.

 

Les Variations Goldberg de Nancy Huston, Babel, pp. 13-14

Théâtre de la Palabre. Invitation Goldberg.

Bach et Nancy Huston.

Elisabeth Gavalda, voix. Philippe Bourloix, accordéon.

Evocations (entre autres)

 

Un passage de La Nuit de la Saint-Jean, quatrième volume de La Chronique des Pasquier de Georges Duhamel (Mercure de France, 1935) décrivant, sur une dizaine de pages, l'exécution des Variations Goldberg au piano par Cécile et les émotions passant par la tête des différents convives à ce moment-là, est la source d'inspiration directe de Nancy Huston pour son roman Les Variations Goldberg écrit en 1981.

 

Lui-même non initié dans sa jeunesse à la musique, Georges Duhamel fera bénéficier ses enfants, dès leur plus jeune âge, d'une solide formation musicale conditionnant certainement la future carrière de compositeur d'Antoine Duhamel31. Les concerts familiaux, à plusieurs voix, et sous la direction paternelle seront l'une des pierres angulaires de la famille Duhamel qui émerveilleront son ami François Mauriac qui écrira de lui :

« Chez certains hommes la passion de la musique et de la poésie est une défense contre la vie ; nés sans carapaces, ils marchent dans un nuage d'harmonie, comme des poissons troublent l'eau pour n'être pas découverts. Ainsi Bach et Mozart protègent Duhamel. [...] Humain, ce Duhamel, trop humain, il n'aurait pu supporter la douleur des corps qui souffrent, sans une défense appropriée : la mémoire musicale. »

 

 

Les Variations Goldberg, roman de Nancy Huston (1981)

Ce roman dépeint en 32 chapitres, autant que de morceaux contenus dans l'œuvre homonyme de Johann Sebastian Bach dont il est inspiré, une soirée estivale où sont conviés une trentaine d'amis de Liliane Kulainn qui écoutent son récital des Variations Goldberg jouées au clavecin. Chaque chapitre décrit successivement le point de vue des trente convives (et celui de Lilian Kulainn) sur cette soirée. En silence, car chacun écoute, mais en même temps pense. Les liens qui les unissent apparaissent progressivement de même qu'ils expliquent la personnalité de Liliane. Sa part d'altérité qui l'unit à eux.

 

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