La Nuit transfigurée
La voix de la femme, la voix de l'homme à l'unisson dans la nuit, les clartés de la lune caressant les silhouettes sombres des arbres de la forêt. Tout est musique.
Cette oeuvre d'Arnold Schönberg, composée en 1899, a été créée à Vienne en 1902.
(Voir la page dédiée à l'exposition "Arnold Schönberg le peintre" (Arnold Schönberg Center, Vienne, mars-juin 2005, en anglais.)
(juin 1889, la même année que le poème) Le tableau a notamment inspiré le compositeur Henri Dutilleux qui a sous-titré Nuit étoilée sa symphonie Timbres, espace, mouvement (1998)
(Recueillement, Les Fleurs du Mal, 1861) "Entends, ma chère, entends, la douce nuit qui marche". Ce vers célèbre de Baudelaire, nous le retrouvons d'un nocturne à l'autre chez les plus grands romantiques, Chopin, Brahms, Schumann. Et dans tous les duos d'amoureux protégés par l'ombre et suppliant la ronde des heures d'arrêter sa course.
La Nuit transfigurée, dernière œuvre tonale de Schönberg, illustre un tournant dans les relations homme-femme en ce début du XXème siècle à Vienne. Entre la nuit romantique évoquée par Chopin, Schubert et Schumann et celle de Bernstein dans West Side Story, les musiciens du Centre tentent de pénétrer l'obscure nuit de l'inconscient dévoilé par Freud à Vienne au temps de Schönberg.
La nuit romantique, c'est le mystère de l'amour infusé dans la création, l'obscur langage du monde en accord avec les élans les plus indicibles de l'âme et du coeur.
La Nuit Transfigurée, c'est bien d'abord cet hommage à la nuit romantique des amoureux. Durant l'été 1899, Arnold Schönberg, âgé de 25 ans, fait la connaissance de sa future épouse Mathilde, la sœur d'Alexander von Zemlinsky, autre compositeur autrichien. En moins de trois semaines il compose pour elle ce sextuor inspiré d'un poème contemporain de l'un de ses amis, Richard Dehmel. Mais ce poème publié en 1889 a fait scandale dans la pudibonde Vienne de l'époque. Il relate en effet le consentement heureux d'un homme à la liberté amoureuse de sa fiancée, qui, portée par un désir d'enfant, est allée jusqu'à une relation avec un autre homme avant de le rencontrer. L'homme répond à son aveu en allant au bout de l'amour qu'il lui porte, dans le respect total de cette liberté féminine si sûre de ses choix. Il sera le père de cet enfant qui n'est pas de lui.
Du hast den Glanz in mich gebracht,
Du hast mich selbst zum Kind gemacht.
(Tu as apporté un éclat de lumière en moi,
Tu m'as moi-même refait enfant.)
L'homme et la femme marchent alors ensemble dans cette nuit transfigurée par leur union. Ils sont souverainement libres et dégagés de toutes contraintes, en complet accord désormais avec leur amour de la vie et du bonheur.
De quoi s'agit-il ? Est-ce une relecture romantique et moderne de l'histoire qui lie Joseph à Marie ? Dans ce cas, ce poème grave et frémissant résonne d'échos religieux. La Nuit ainsi transfigurée est une nuit sainte, tout enfant à venir étant celui, sacré, du vouloir maternel. Est-ce tout simplement un hymne à la vie, qui est pulsion d'amour et de joie, au milieu des plus sombres éléments ? Il suffit que les êtres consentent sans jugement à cette promesse de bonheur qu'ils portent au plus profond d'eux-mêmes pour qu'elle devienne réalité... La sexualité n'est pas un péché.
La Nuit transfigurée. Exemplaire de Schönberg. (Arnold Schönberg Center, Vienne)