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"LE GRAND MOGOL" 

1792-1802 

1792-1802 : DE VIENNE  À HEILIGENSTAD

Premières années viennoises

 

Joseph Haydn (1732-1809) fut le professeur de Beethoven de 1792 à 1794. Une véritable estime naît entre les deux artistes. Beethoven a beaucoup apprécié Haydn, tant pour ses œuvres que pour ses leçons.

À la fin du 18e siècle, Vienne, capitale d'empire, représente la meilleure chance de réussir pour un musiciengermanique désireux de faire carrière. Âgé de vingt-deux ans à son arrivée, Beethoven a déjà beaucoup composé, et déjà des œuvres importantes : deux cantates (pas
éditées) et les Variations Righini WoO 65, éditées en 1791 à Mayence. Bien qu’il soit arrivé à Vienne moins d’un an après la disparition de Mozart, le mythe du « passage du flambeau » entre les deux artistes est infondé : encore très loin de sa maturité artistique, ce n’est pas comme compositeur, mais comme pianiste virtuose que Beethoven forge sa réputation à Vienne.  Malgré l’influence profonde et durable de Haydn sur l’œuvre de Beethoven et une estime réciproque plusieurs fois rappelée par ce dernier, le « père de la symphonie » n’a jamais eu avec Beethoven les rapports de profonde amitié qu’il avait eus avec Mozart et qui avaient été à l’origine d’une si féconde émulation. Haydn était cependant sensible à l’audace musicale de son élève qu'il appellait le « Grand Mogol» : « Vous avez beaucoup de talent et vous en acquerrez encore plus, énormément plus. Vous avez une abondance inépuisable d’inspiration, vous aurez des pensées que personne n’a encore eues, vous ne sacrifierez jamais votre pensée à une règle tyrannique, mais vous sacrifierez les règles à vos fantaisies ; car vous me faites l’impression d’un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes. »

En janvier 1794, après le nouveau départ de Haydn pour Londres, Beethoven poursuit des études épisodiques jusqu’au début de 1795 avec divers autres professeurs, dont le compositeur Johann Schenk et deux autres témoins de l’époque mozartienne : Johann Georg Albrechtsberger et Antonio Salieri. Son apprentissage terminé, Beethoven se fixe définitivement dans la capitale autrichienne. Ses talents de pianiste et ses dons d’improvisateur le font connaître et apprécier des personnalités mélomanes de l’aristocratie viennoise, dont les noms restent aujourd’hui encore attachés aux dédicaces de plusieurs de ses chefs-d’œuvre : le baron Nikolaus Zmeskall, le prince Carl Lichnowsky, le comte Andreï Razoumovski, le prince Joseph Franz von Lobkowitz, et plus tard l’archiduc Rodolphe d’Autriche, pour ne citer qu’eux. Après avoir publié ses trois premiers Trios pour piano, violon et violoncelle sous le numéro d’opus 1, puis ses premières Sonates pour piano, Beethoven donne son premier concert public le 29 mars 1795 pour la création de son Concerto pour piano n°2 (qui fut en fait composé le premier, à l’époque de Bonn).

Le premier virtuose de Vienne (Le Grand Maître)

1796. Beethoven entreprend une tournée de concerts qui le mène de Vienne à Berlin en passant notamment par DresdeLeipzigNuremberg et Prague. Si le public loue sa virtuosité et son inspiration au piano, sa fougue lui vaut le scepticisme des critiques des plus conservateurs. Un critique musical du Journal patriotique des États impériaux et royaux rapporte ainsi en octobre 1796 : « Il saisit nos oreilles, non pas nos cœurs ; c’est pourquoi il ne sera jamais pour nous un Mozart. »

La lecture des classiques grecs, de Shakespeare et des chefs de file du courant Sturm und Drang qu’étaient Goethe et Schiller, influence durablement dans le sens de l’idéalisme le tempérament du musicien, acquis par ailleurs aux idéaux démocratiques des Lumières et de la Révolution française qui se répandent alors en Europe : en 1798, Beethoven fréquente l’ambassade de France à Vienne où il rencontre Bernadotte et le violoniste Rodolphe Kreutzer auquel il dédie, en 1803, la Sonate pour violon n°9 qui porte son nom. Tandis que son activité créatrice s’intensifie (composition des Sonates pour piano n°5 à n°7, des premières Sonates pour violon et piano), le compositeur participe jusqu’aux environs de 1800 à des joutes musicales dont raffole la société viennoise et qui le consacrent plus grand virtuose de Vienne au détriment de pianistes réputés comme ClementiCramerGelinekHummel et Steibelt.

La fin des années 1790 est aussi l’époque des premiers chefs-d’œuvre, qui s’incarnent dans le Concerto pour piano n°1 (1798), commencé à Bonn et révisé plusieurs fois à Vienne avec Haydn, les six premiers Quatuors à cordes (1798-1800), le Septuor pour cordes et vents (1799-1800) et dans les deux œuvres qui affirment le plus clairement le caractère naissant du musicien : la Grande Sonate pathétique (1798-1799) et la Première Symphonie (1800). Bien que l’influence des dernières symphonies de Haydn y soit apparente, cette dernière est déjà empreinte du caractère beethovenien (en particulier dans le scherzo du troisième mouvement). Le Premier Concerto et la Première symphonie sont joués avec un grand succès le 2 avril 1800, date de la première académie de Beethoven (concert que le musicien consacre entièrement à ses œuvres). Conforté par les rentes que lui versent ses protecteurs, Beethoven, dont la renommée grandissante commence à dépasser les frontières de l’Autriche, semble à ce moment de sa vie promis à une carrière de compositeur et d’interprète glorieuse et aisée.

« Son improvisation était on ne peut plus brillante et étonnante ; dans quelque société qu’il se trouvât, il parvenait à produire une telle impression sur chacun de ses auditeurs qu’il arrivait fréquemment que les yeux se mouillaient de larmes, et que plusieurs éclataient en sanglots. Il y avait dans son expression quelque chose de merveilleux, indépendamment de la beauté et de l’originalité de ses idées et de la manière ingénieuse dont il les rendait. » — Carl Czerny

« Plutarque m’a conduit à la résignation. Pourtant, s’il est possible, je veux braver mon destin »

Beethoven, Lettre à Franz Wegeler, 29 juin 1801

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