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LE VOYAGE EN ITALIE

Florence, Venise, Rome, Paris, Saint-Pétersbourg...

Tchaïkovsky, originaire de Votkinsk, petite bourgade perdue au fin fond de l'Oural, doit à son seul génie musical tôt repéré d'avoir fréquenté comme les artistes de son temps ces grandes capitales de la pensée européenne du 19e siècle. Le sextuor Souvenir de Florence composé en 1890 après un nouveau et fécond séjour en Italie, s'inscrit dans ce rapprochement de cultures et de sensibilités, ardemment souhaité par la Russie et l'Europe de son époque. En même temps que de ce rapprochement avec l'Europe des Lumières souhaité par Pierre Le Grand et célébré par Pouchkine -et dont Saint-Pétersbourg, la "Venise du Nord" se veut l'emblème- le sextuor est contemporain de régressions nationales tragiques (penser à la grande famine de 1891-1892, résultat de contre-réformes politiques et économiques désastreuses, et qui fit en Russie 35 millions d'affamés et 2 millions de morts), au nom d'une autre nostalgie, celle de la fidélité à l'ordre établi.  

 

 

 

Le Voyage en Italie est un pèlerinage incontournable dans la vie littéraire et artistique européenne du 19e siècle.

 

Écrivains et artistes se succèdent tout au long du siècle, Gautier, Corot, Moreau, Berlioz, Nerval, Flaubert, Georges Sand et Alfred de Musset, Lamartine, Maupassant, Chateaubriand et Stendhal qui vont en faire une seconde patrie, tous vont évoquer l'Italie éternelle dans leurs oeuvres, souvenirs, récits ou romans. 

 

A travers ses Méditations, Lamartine nous livre des "sensations" sur les ruines de Rome et la fuite du temps ("topos" du romantisme) : 

La Liberté, ou une nuit à Rome (Nouvelles méditations poétiques, 1823, Méditation 20ème)

 

Rome ! te voilà donc ! Ô mère des Césars !
J’aime à fouler aux pieds tes monuments épars ;
J’aime à sentir le temps, plus fort que ta mémoire,
Effacer pas à pas les traces de ta gloire !
L’homme serait-il donc de ses œuvres jaloux ?
Nos monuments sont-ils plus immortels que nous ?
Egaux devant le temps, non, ta ruine immense
Nous console du moins de notre décadence.
J’aime, j’aime à venir rêver sur ce tombeau,
A l’heure où de la nuit le lugubre flambeau
Comme l’oeil du passé, flottant sur des ruines,
D’un pâle demi-deuil revêt tes sept collines...

 

Dans Rome, Naples et Florence, (1817-1826) Stendhal, plus sensible à la poésie du présent, exprime une ivresse apparentée à une sorte de "folie", à tel point qu'on parlera plus tard d'un syndrome de Stendhal. 

 

 

 

 

Proust, décrivant Venise et Florence,

s'inscrit dans le droit fil de cette exploration stendhalienne des villes d'Italie. On pense que la rédaction des écrits de Proust sur Venise s'échelonne sur les années 1899-1908. Le voyage à Venise et à Florence que fit Proust avec sa mère date du printemps 1900

 

"Ma mère m'avait emmené passer quelques semaines à Venise et – comme il peut y avoir de la beauté aussi bien que dans les choses les plus humbles dans les plus précieuses – j'y goûtais des impressions analogues à celles que j'avais si souvent ressenties autrefois à Combray, mais transposées selon un mode entièrement différent et plus riche. Quand, à dix heures du matin, on venait ouvrir mes volets, je voyais flamboyer, au lieu du marbre noir que devenaient en resplendissant les ardoises de Saint-Hilaire, l'Ange d'Or du campanile de Saint-Marc."

(Albertine disparue, ch.3) 

 
Proust lie Stendhal à l'Italie 

"Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller, depuis que j'avais lu la Chartreuse, m'apparaissant compact, lisse, mauve et doux ; si on me parlait d'une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j'habiterais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n'avait de rapport avec les demeures d'aucune ville d'Italie, puisque je l'imaginais seulement à l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes. Et quand je pensais à Florence, c'était comme à une ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce qu'elle s'appelait la cité des lys et sa cathédrale, Sainte-Marie-des-Fleurs."  

(Noms de Pays, Le Nom)


Il raconte avec humour dans le paragraphe suivant que le projet d'un voyage organisé par ses parents à Venise et à Florence l'avait tellement enthousiasmé qu'il en est tombé malade ! 

 

"Mais je n'étais encore qu'en chemin vers le dernier degré de l'allégresse ; je l'atteignis enfin (ayant seulement alors la révélation que sur les rues clapotantes, rougies du reflet des fresques de Giorgione, ce n'était pas, comme j'avais, malgré tant d'avertissements, continué à l'imaginer, les hommes « majestueux et terribles comme la mer, portant leur armure aux reflets de bronze sous les plis de leur manteau sanglant » qui se promèneraient dans Venise la semaine prochaine, la veille de Pâques, mais que ce pourrait être moi, le personnage minuscule que, dans une grande photographie de Saint-Marc qu'on m'avait prêtée, l'illustrateur avait représenté, en chapeau melon, devant les proches), quand j'entendis mon père me dire : « Il doit faire encore froid sur le Grand Canal, tu ferais bien de mettre à tout hasard dans ta malle ton pardessus d'hiver et ton gros veston. » À ces mots je m'élevai à une sorte d'extase ; ce que j'avais cru jusque-là impossible, je me sentis vraiment pénétrer entre ces « rochers d'améthyste pareils à un récif de la mer des Indes » ; par une gymnastique suprême et au-dessus de mes forces, me dévêtant comme d'une carapace sans objet de l'air de ma chambre, qui m'entourait, je le remplaçai par des parties égales d'air vénitien, cette atmosphère marine, indicible et particulière comme celle des rêves que mon imagination avait enfermée dans le nom de Venise, je sentis s'opérer en moi une miraculeuse désincarnation ; elle se doubla aussitôt de la vague envie de vomir qu'on éprouve quand on vient de prendre un gros mal de gorge, et on dut me mettre au lit avec une fièvre si tenace, que le docteur déclara qu'il fallait renoncer non seulement à me laisser partir maintenant à Florence et à Venise mais, même quand je serais entièrement rétabli, m'éviter, d'ici au moins un an, tout projet de voyage et toute cause d'agitation." 

(Noms de Pays, Le Nom)

 

 

La Villa Médicis et les Prix de Rome

Les concours de peinture, sculpture et architecture sont recréés et, sont ajoutées la composition musicale en 1803 et la gravure en taille douce en 1804. Le « logiste » lauréat du « premier grand prix » est envoyé pour trois ans à l'Académie de France à Rome. Des premiers seconds grands prix et seconds grands prix sont aussi accordés, mais ils ne permettaient normalement pas de partir à Rome, sauf de manière exceptionnelle et pour une durée moindre. Des interruptions ont eu lieu pendant la Première Guerre mondiale (1915-1918) ainsi que pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le concours est supprimé en 1968 par André Malraux. Cette compétition est, depuis, remplacée par une sélection sur dossier et les Académies, réunies au sein de l’Institut de France, ont été supplantées par l’État et le ministère de la Culture. Dès lors, les pensionnaires n’appartiennent plus seulement aux disciplines traditionnelles (peinture, sculpture, architecture, gravure sur médailles ou sur pierres fines, composition musicale), mais aussi à des champs artistiques jusque-là négligés ou nouveaux (histoire de l’art, archéologie, littérature, scénographie, photographie, cinéma, vidéo et même cuisine). Les pensionnaires sélectionnés se voient accorder la possibilité de se perfectionner pendant un séjour de six à dix-huit mois (exceptionnellement deux ans) à l’Académie de France à Rome (actuellement hébergée par la Villa Médicis ou même extra muros).

 

 

Quelques musiciens illustres, pensionnaires de la Villa Médicis

Hector Berlioz, modèle du Groupe des Cinq, s'est présenté 4 fois avant d'obtenir un premier prix avec La Mort de Sardanapale... 

 

  • 1826 - Cantate Herminie, 1er Claude Paris, Jean-Baptiste Guiraud premier second prix et Emile Bienaimé deuxième second prix - Hector Berlioz ne passa pas la première épreuve éliminatoire

  • 1827 - Cantate La Mort d’Orphée, 1er Jean-Baptiste Guiraud - 2e Guillaume Ross-Despréaux et Alphonse Gilbert - Hector Berlioz qui concourait, n’obtint pas de prix

  • 1828 - Cantate Herminie, 1er Guillaume Ross-Despréaux - 2e Hector Berlioz et Julien Nargeot

  • 1829 - Cantate La Mort de Cléopâtre, 1er grand prix non attribué - 2e Eugène Prévost et Alexandre Montfort - Hector Berlioz qui concourait n’obtint pas de prix

  • 1830 - Cantate La Mort de Sardanapale, 1er Hector Berlioz et Alexandre Montfort - 2e Édouard Millaut

Les années du tournant du siècle : Debussy, Charpentier, Schmitt, Caplet, Ravel

  • 1883 - Cantate Le Gladiateur, 1er Paul Vidal - 2e Claude Debussy et Charles-Olivier-René Bibard, dit Charles-René

  • 1884 - Cantate L’Enfant Prodigue, 1er Claude Debussy - 2e Charles-Olivier-René Bibard, dit Charles-René et Léo Delibes

  • 1887 - Cantate Didon, 1er Gustave Charpentier

  • 1900 - Cantate Sémiramis, 1er Florent Schmitt - mention Albert Bertelin

  • 1901 - Cantate Myrrha, 1er André Caplet - 2e Gabriel Dupont et Maurice Ravel

  • 1902 - Cantate Alcyone, 1er Aymé Kunc - 2e Roger-Ducasse et Albert Bertelin - Maurice Ravel qui concourait, n’obtint pas de prix

 

 

 

Souvenir de Florence s'inscrit dans cette approche stendhalienne et proustienne du Voyage en Italie, celle même des artistes "Prix de Rome" pensionnaires de la Villa Médicis. 

Tchaikovsky avait des liens réels avec l'Europe : sa mère, d'origine française, Alexandra Andreïevna Assier. Ainsi, à six ans, il parle très aisément le français et l’allemand.

1880 : Il séjourne régulièrement à Paris et a ses habitudes au Café de la Paix. L’Italie, où il voyage, lui inspire un certain nombre de pièces musicales parmi lesquelles le Capriccio Italien. La célèbre Sérénade pour cordes et l'Ouverture 1812  datent également de 1880. 

 

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