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LA RUSSIE ETERNELLE

« Dans mes compositions, je me suis montré tel que je suis, tel que m’ont fait mon éducation, les circonstances, l’époque et le pays dans lequel je vis. Je ne me suis jamais dissimulé, ni n’ai trahi ce que je suis…quant à la qualité de ma musique, les autres et la postérité jugeront… »

« Pourquoi donc un simple paysage russe, une promenade en été à travers la campagne, la forêt ou la steppe, tout cela m’émeut-il au point que j’éprouve le besoin irrésistible de me coucher contre la terre, envahi par une sourde douceur (j’allais dire douleur) par un immense élan d’amour pour la nature, troublé par cette atmosphère enivrante qui m’enveloppe, venu de la forêt, de la steppe, de la petite rivière, du village lointain, et de l’humble église de campagne, en bref de tout ce qui compose le décor de ma Russie natale ».

Pour mieux comprendre l'attachement nostalgique de Tchaïkovsky à la terre russe durant ses voyages, relisons cet extrait de La Cerisaie de Tchekhov :

 
Tchekhov, La Cerisaie (1904), Acte I, scène 2

VARIA, à demi-voix. – Chut, Ania dort !… (Elle ouvre doucement la fenêtre.) Le soleil est déjà levé ; il ne fait pas froid. Voyez, mère, quels beaux arbres !… Mon Dieu, quel air ! Les sansonnets chantent !
GAÏEV, ouvrant l’autre fenêtre. – Toute la cerisaie est blanche. Te souviens-tu, Liouba, de cette longue allée toute droite, droite comme une courroie tendue ? Les nuits de lune, elle brille. Te souviens-tu ?
MME RANIEVSKAÏA, regardant la cerisaie par la fenêtre.
– Oh ! ma jeunesse, ma candeur ! J’ai dormi dans cette chambre d’enfant ; chaque matin, le bonheur s’y réveillait en même temps que moi. D’ici, je regardais la cerisaie ; elle était exactement comme je la vois aujourd’hui ; rien n’a changé ! (Elle rit de joie.) Tout est blanc, blanc… Ma cerisaie, après un noir et vilain automne, et un hiver glacé, te revoilà, jeune, pleine de bonheur. Les anges du ciel ne t’ont pas quittée !… Ah ! si je pouvais faire tomber de mes épaules le fardeau qui pèse sur elles. Si je pouvais oublier le passé !…
GAÏEV. – Dire que la cerisaie va être vendue à cause de nos dettes !… N’est-ce pas étrange ?…
MME RANIEVSKAÏA, agitée. – Voyez, notre défunte mère traverse la cerisaie, vêtue de blanc. (Elle rit de joie.) Oui, c’est elle !
GAÏEV. – Où cela ?
VARIA. – Voyons, mère, qu’avez-vous ?
MME RANIEVSKAÏA, abattue. – Il n’y a personne !… Il m’a semblé… Là-bas, près du pavillon, ce petit arbre blanc qui penche ; on dirait une femme.

Le contexte politique

-1855 : Couronnement du tsar Alexandre II, chute de Sébastopol (guerre de Crimée).
-1856 : Amnistie des Décabristes, auteurs du soulèvement de 1825, sous Nicolas 1er, pour obtenir la libération des paysans et le partage des terres.
-1857 : Fondation du journal La Cloche par Alexendre Herzen (1825-1970), qui influence l’opinion progressiste en Russie.
-1861-1864 : Suppression du servage pour plus de 40 millions de paysans, fin du système d’obrok (redevance personnelle) et de barchtina (corvées).
-1862 : Millénaire du baptême de la Russie.
-1864 : Création des zemstvos, système d’administration locale des gouvernements et des districts.  Il s’agissait d’un système d’assemblée provinciale de la Russie impériale. Ces assemblées, élues avec un suffrage censitaire  (il fallait pouvoir payer l’impôt pour voter), représentaient la noblesse locale et les riches artisans et commerçants. Ils furent dissouts en 1918 par le nouveau pouvoir soviétique au profit des Soviets locaux, plus représentatifs de la population (Soviet veut dire assemblée en russe).
-1867 : 2ème congrès panslaviste de Moscou, Dostoïevski (1821-1881) y exprime l’idéal pan-Russe.
-1877 : Procès contre les terroristes nihilistes.
-1881 : Assassinat d’Alexandre II, couronnement du tsar Alexandre III.
-1891 : Début des travaux de construction du transsibérien (fin 1904).
-1896 : Couronnement du tsar Nicolas II.
-1904-1905 : guerre russo-japonaise, défaite de la Russie.
-1905 : Échec de la révolution.
-1915 : La Russie s’engage dans la Première Guerre Mondiale.
-1917 : Révolutions de février et d’octobre. Fin du régime tsariste.

La représentation du peuple russe : les Ambulants.

Les Peredvizhniki – les Ambulants – forment un mouvement de peinture russe (1860-1920) qui a joué un rôle capital pour l'avènement du réalisme socialiste. Leurs sujets de prédilection sont inspirés de l'histoire et de la vie quotidienne du peuple russe. Les ambulants, des années 1860 à 1890, montraient leurs tableaux aux masses lors d'expositions itinérantes, avec une peinture orientée vers une représentation de la vie quotidienne du peuple (la "narodnost' en russe). Ilya Repine (1844-1930), contemporain de Tchaïkovsky, en est un représentant majeur.

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