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CONVERGENCES

 

Tchaïkovsky a séjourné dans 151 villes, bourgades et villages d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Nord. Invité partout, il s'est rendu en Prusse et dans  l'Empire germanique, en Autriche-Hongrie, en Belgique, en France, en Suisse, en Italie, dans l'Empire ottoman, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis d'Amérique avec une incursion au Canada.

 

Parmi ces voyages, les voyages en Italie occupent une place particulière. Les lettres à Madame van Meck sont emplies de descriptions et de notations sur les séjours qu'il a pu faire grâce à elle dans les villes d'art qu'elle-même affectionnait, Rome, Florence, Venise, comme tous les peintres, écrivains et compositeurs européens du 19e siècle  pour qui le Voyage en Italie était un passage obligé dans leur formation et leur recherche d'inspiration. Florence et Rome ont été pour lui des lieux d'intense activité créatrice.

 

Cependant, il ne cesse de proclamer son amour pour sa terre natale, cette Russie qu'il a sillonnée de l'Ukraine à l'Oural, des Pays baltes à la Géorgie, et dont les larges paysages, inscrits dans son coeur, lui procurent la plus grande émotion lorsqu'il les contemple et une nostalgie qui va jusqu'au mal du pays lorsqu'il  les évoque, séparé d'eux par des centaines voire des milliers de kilomètres.

 

Ses ports d'attache indéfectibles restent les villes de Moscou et Saint-Pétersbourg, incarnant chacune un aspect de la Russie dont il tire son être littéraire et sa sensibilité musicale : le Moscou de Tolstoï, la capitale de la Russie traditionnelle avec ses alentours si campagnards, Kamenka Frolovskoie, Maidanovo (Klin), où Tchaïkovsky s'installe avec bonheur durant des années ; et Saint-Pétersbourg l'Européenne, la ville de la Russie des Lumières rêvée par Pierre le Grand, exaltée par Pouchkine, le point de départ du rayonnement international du compositeur et le lieu de sa consécration.

Amour du pays natal et voyages en Italie

(À partir des extraits de la biographie de Modest Tchaïkovsky, Life and Letters of P.I. Tchaïkovsky)

 
 
Berlin, 7 février 1884, à N. von Meck :

J'ai reçu un télégramme de Modest tôt ce matin. Il m'annonce que la représentation de Mazeppa à Saint-Pétersbourg a été un succès complet, et que l'Empereur est resté jusqu'au bout, et qu'il en était très content. Demain je continue mon voyage à Paris, et j'irai de là en Italie, où je vais certainement retrouver Kolya et Anna [le couple formé par le fils de Madame von Meck et la nièce de Tchaïkovsky], à moins que je ne dérange leur tête-à-tête. Je crains fort de rester seul...

 

 

Maidanovo, 5 mars 1885, à N. von Meck (LLT p. 476 seq.) 

[Lettre révélatrice des opinions politiques du compositeur, traduite par André Lischke, Tchaïkovsky au miroir de ses écrits, p.115 seq.] [ici trad. personnelle] :

Je ne suis absolument pas d'accord avec votre idée de dire que dans notre pays tout est toujours horrible, sombre, marécageux. De même que l'Esquimau ou le Samoyède aime (loves) sa terre gelée du Nord, j'aime (I love) notre contrée russe plus que tout autre, et le paysage russe en hiver a pour moi un charme incomparable. Cela ne m'empêche tout de même pas de bien aimer (liking) la Suisse ou l'Italie, d'une autre façon. Aujourd'hui, je trouve particulièrement difficile d'être d'accord avec vous sur l'indigence de notre paysage russe : le soleil est là, c'est une journée éclatante de lumière, et la neige scintille de ses millions de diamants. Une large vue s'étend devant ma fenêtre. Non, c'est beau ici, dans ce pays qui est celui des nôtres, et on respire si facilement sous cet horizon sans limites.

 

 

Modest Tchaïkovsky (M. T.), avril 1886 (LLT, p. 509) :

Tchaïkovsky doit se rendre à Paris pour une rencontre d'affaires.  Il décide de prendre le bateau jusqu'en Italie, puis de prendre le train jusqu'en France. Mais une épidémie de choléra qui sévit à Naples l'oblige à changer de projet et à se rendre directement à Marseille. Durant la traversée à bord du steamer "Armenia", il est en proie à la nostalgie et à un sentiment de solitude (lettre du 3 mai 1886) : "Je ressens un peu moins le mal du pays aujourd'hui, mais quelle stupidité d'être obligé d'être chacun seul dans sa cabine..." 

 

 

À M. T., Kamenka, le 1er janvier 1890 :

Est-ce que tu as eu le temps de penser à La Fille du Roi René ? Il est bien probable que je finisse par être obligé d'aller travailler en Italie. Et dans ce cas il faudrait que j'aie le livret entre les mains fin janvier... 

 

 

À M. T., 6 février 1890, de Florence :

Aujourd'hui pour la première fois, j'ai bien aimé ma visite en Italie. Jusqu'ici, je me sentais plutôt indifférent, et même hostile. Mais aujourd'hui, il faisait si divinement beau, et cela a été une telle joie de ramasser un petit bouquet de violettes sur le Cascino ! A Kamenka, on ne les voit apparaître qu'en avril ! 

 

 

M. T. (p. 559), Frolovskoe : 

"Ce paysage familier et sans prétention de la Russie centrale que Tchaïkovsky préférait à toutes les sublimités de la Suisse, du Caucase et de l'Italie... La forêt n'y aurait pas été progressivement abattue, il n'aurait jamais quitté Frolovskoe, et bien qu'il n'y soit demeuré que trois ans, il resta grandement attaché à cet endroit. Un mois avant sa mort, pendant un voyage qu'il fit de Klin à Moscou, il dit en regardant le cimetière de Frolovskoe : "C'est là que j'aimerais être enterré".

 

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