Images de Contes de Fées pour alto et piano op. 113
1851
(III. Rapide)

Présentation d'Elisabeth Brisson pour le Club des Mélomanes (7 décembre 2024).
Les Mä(h)rchenbilder, contes de fées ou cauchemars ?
"Deux sources authentiques, son manuscrit (de premier jet) écrit à Düsseldorf et son « Livre de raison » (Haushaltbuch) témoignent de l’intention secrète (non formulée consciemment) de Schumann au moment de la composition de ces quatre morceaux associés dans cette œuvre.Märchenbilder pour alto et piano, op.113 – mars 1851 – publié 1853 – 15 à 16’ Sur son manuscrit originel (premier jet) Schumann a écrit « Mährchenbilder » avec les dates de commencement du travail : « d. 1 März 51“ et de la fin du travail après le quatrième morceau : „d. 4 März 1851“. Parallèlement il inscrivait sur son Livre de raison : « 1. März 1851 „Violageschichten“, am 2. März „Mährchengeschichten“, am 3. März „Mährchen“ und am 4. März „4tes Mährchen“.
Ces références manuscrites témoignent et de l’insistance du terme « Mährchen », remplacé une fois par « Viola » (alto), et de l’incertitude sur le mot adéquat caractérisant ces « Mährchen » : « Bilder » (images) ou « Geschichten » (histoires). Et, de surcroît, il a donné une orthographe peu courante au mot Mährchen qui revient à plusieurs reprises en ajoutant un « h » après le « ä » : écrivant donc « Mährchen » au lieu de « Märchen », Märchen (sans « h ») signifiant « conte » : or, l’orthographe « Mährchen » qui procède de son invention, donne un mot dérivé de « Mahr » qui signifie « cauchemar ».
Comme si la référence évidente au conte (de fée), Märchen, recouvrait en fait (inconsciemment) l’évocation d’un cauchemar : autrement dit, les images de cauchemar seraient dissimulées par la référence manifeste à des récits de contes. Freud a mis en évidence la différence entre le contenu manifeste et le contenu latent d’un rêve…Un autre indice de ce contenu latent : Schumann aurait dit après la première audition de sa composition, le 15 mars 1851, alors assurée dans l’intimité par Clara et par le dédicataire Wilhelm Joseph von Wasielewski, le Konzertmeister de Düsseldorf, qu’il s’agissait de « Kinderspässe, es ist nicht viel damit » (pochade d’enfant de peu de valeur), tout en acceptant tacitement la remarque de Wasielewski que toutefois l’œuvre était « reizend » (charmante, séduisante).En qualifiant sa composition toute neuve de pochade d’enfant, Schumann établissait donc de facto un lien avec du vécu lointain. Et comme Schumann semble d’accord avec le mot « reizend » employé par le dédicataire pour qualifier l’effet de ces quatre pièces, il est possible de repérer dans cette composition un écho, entre autres références propres à Schumann, de la chevauchée cauchemardesque du poème de Goethe mis en musique par Schubert, arrangé par Liszt pour piano, Le Roi des Aulnes… L’enfant dans les bras de son père, alors affolé, impuissant, délire, attiré inexorablement par la séduction du Roi qui flatte son charme…
En composant ces quatre morceaux contrastés et d’atmosphère différente, Schumann a vraisemblablement vécu une plongée fulgurante (il a composé ces quatre pièces en quatre jours) dans l’univers fantastique et cauchemardesque propre aux contes de fée destinés aux enfants, revivant et nous invitant à vivre ce voyage intérieur (ces visions terrifiantes) qui passe par l’enlacement, l’exaltation, l’énigmatique, l’apaisement, le plus souvent dans une alternance d’humeurs qui se situent entre délire et appel de la mort.
Il est remarquable de constater que ces quatre pièces n’ont pas de titres empruntés à des contes de fée, mais que Schumann les nomme par des indications de tempo. Et pour cause…
1. Nicht schnell, ré m, ¾Une longue mélodie à l’alto, puis enchevêtrement des voix, enlacement, balancement
2. Lebhaft, fa M, 2/4 - abab’ab’’Contrasté : alternance de l’emportement, de la véhémence et de la retenue· Rythme pointé emporté = a· Retenu vers une autre texture, lisse = b· Reprise de a, véhément, puis b’ plus incisif…
3. Rasch, ré m, 2/4 – aba’codaExalté. Alto très rapide, pressé. Piano agitéPlus calme, énigmatique : b.
4. Langsam, mit melancholischem Ausdruck, ré M, 3/8 – abaHomorythmique, cantabile : aEmotion plus intense : bCalme, apaisé.
Dans un surgissement intempestif d’inspiration, Schumann a donc exprimé en musique ses visions cauchemardesques héritées de son enfance, les déguisant sous l’euphémisme d’images de contes (de fée). Et il invite les auditeurs, ceux qui liront, joueront, écouteront ces quatre pièces de musique à s’évader dans un univers onirique inquiétant.
Après la première exécution en privé, la partition a été mise au net par le dédicataire Wilhelm Joseph von Wasielewski (1822-1896), puis confiée à l’éditeur Carl Luckhardt en juillet 1852 à Cassel. La première édition de la partition et des parties séparées date de 1853. Puis la première exécution publique eut lieu le 12 novembre 1853, avec Clara et Wasielewski à Bonn, à l’auberge „Zum goldenen Stern“ (A l’étoile d’or), comme l’indique le Journal intime des Schumann."