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Genèse de l'imaginaire

Jeunesse

"Avec un père libraire, éditeur et auteur, Schumann est dès l’enfance plongé dans la littérature. Son intérêt pour ce domaine se développe à l’adolescence, le poussant à esquisser plusieurs romans, Soirs de juin et Séléné (1828). Très sensible, le jeune homme se passionne aussi pour la poésie, vouant une admiration sans borne à Jean Paul Richter (1763-1825).

S’il se détourne finalement du métier d’écrivain pour devenir compositeur, Schumann ne laisse pas tomber sa plume pour autant. A 24 ans, il lance une revue musicale, la Neue Leipziger Zeitschrift für Musik, dans laquelle il exprime ses opinions musicales et défend les compositeurs qui lui tiennent à cœur : Mozart, Beethoven, Weber mais aussi Berlioz et Chopin.

L’amour de Schumann pour les mots se ressent partout dans sa musique : des titres évocateurs de ses pièces (Scènes d’enfants, Les Amours du poète…) aux Lieder écrits sur des poèmes choisis, en passant par ses thèmes codés, dont les notes évoquent des noms (Carnaval, Six fugues sur le nom de Bach…) : Schumann est un véritable poète des sons."

(Source : Chloë Richard-Desoubeaux. Robert Schumann : 10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur le compositeur romantique. France Musique, 7 juin 2018)

"Né en 1810 à Zwickau, en Saxe, Robert Schumann est le petit dernier d’une famille de cinq enfants. Les circonstances de sa conception sont pénibles : déjà âgée et dépressive, sa mère vient de perdre Laura, son cinquième enfant. Il découvre le romantisme sur les rayons de la librairie de son père, également éditeur et auteur. Homme ardent et mélancolique, Friedrich August a créé une revue, une collection de biographies d’hommes célèbres et édité la traduction des poèmes de Byron et de Shelley . Il espère réaliser, à travers son fils, ses plus chères ambitions. Aussi s’applique-t-il très tôt à stimuler sa passion littéraire et artistique.

À sept ans, Robert suit déjà ses premières leçons de piano avec Johann Kuntsch, l’organiste de Zwickau. Cinq ans plus tard, il forme un orchestre avec des camarades, compose un psaume, découvre Mozart et Weber. Cependant, la littérature exerce sur lui un profond attrait : il écrit de petits essais, une dissertation sur l’art et signe des textes poétiques. Il développe ainsi une sensibilité pour le romantisme qui « permet au musicien d’être aussi poète ». Mais, à l’adolescence, il se trouve confronté à son indétermination : charme des mots et des images, enchantement des sons ? Une lutte, de plus de vingt années, entre la poésie et la musique, qui ne fera qu’ajouter à son désordre intérieur. Peu à peu, il devient taciturne et mélancolique : « Un être inconnu, hier apparu, se forme et s’impose à l’intérieur de lui-même ; un être étrange, attirant, qui a le goût des larmes et se complaît dans le silence… Il découvre une certaine volupté du malheur, il jette sur le monde de funèbres regards. » Tout en lui se fait source de tourment, de déchirement ou d’exaltation. Tout l’effraie ; tout le blesse.

 

Le ciel s’obscurcit. Le garçon de seize ans rencontre, par deux fois, la mort. Il est d’abord marqué par la disparition d’Émilie, dans des conditions psychologiques éprouvantes. Dans un accès de folie, cette sœur unique, encore adolescente, probablement défigurée, se noie dans la Mulda, rivière de Zwickau. Il n’en parle qu’une seule fois, s’accusant, comme souvent : « Moi qui ne remplis la maison des miens que de pénibles incertitudes sur mon avenir. Et alors, je vois une gracieuse femme, faite de jeunesse, me jeter un regard plus miséricordieux qu’irrité, et l’appelant de ce cher nom d’Émilie, je ne puis répondre à ce regard que par ces mots : Tu m’en veux ? Tu as raison, sois assurée cependant que je t’aime bien . » Quelques mois après, son père meurt, peut-être de la tuberculose. Ce guide, avec lequel il vivait en intimité et qui, seul, comprenait sa nature complexe et sa sensibilité excessive, lui manque cruellement : « Il faut maintenant que l’homme véritable, caché jusqu’ici, entre en scène et montre ce qu’il est. Projeté dans le grand tout, ballotté dans les ténèbres du monde, sans guide, sans maître, sans père », déclarera-t-il deux ans plus tard à un ami. Il se sent de plus en plus en proximité avec la nuit, s’abandonnant à la passivité et à de morbides pressentiments. Il tente d’apaiser sa mélancolie, qui va jusqu’aux ténèbres, par le recours au tabac et à l’alcool, dont il ne parviendra plus à se défaire.Le tempérament neurasthénique de sa mère et ses tendances dépressives, exacerbées par la disparition de son mari et d’Émilie, ont déteint sur lui. Il le déplore : « Si parfois tu avais été plus gaie, rien n’aurait manqué à mon bonheur… Sois plus gaie et ne gaspille pas ainsi, sans en jouir, les dons de la vie et du ciel. Entends-tu, petite mère chérie  ? » Johanna Christiana aime, de manière trop étroite et possessive, celui qu’elle appelle « mein lichter Punkt », mon point lumineux. C’est pourquoi, une fois éloigné de Zwickau, il verra le moins possible cette mère, dont il rêve sous forme de cauchemar. Qui plus est, désireuse de l’engager dans une carrière lucrative, elle ne peut se résigner à faire de lui un artiste.

 

Dans ses multiples moments de désarroi, Robert livre à son piano ses pensées angoissées et nébuleuses. Il voyage aussi avec les poètes du siècle, s’abandonnant à l’influence de Jean-Paul Richter, dont il dévore le Titan, Hespérus et La loge invisible. Il se perd dans les dédales de ses romans luxuriants et ésotériques, où se mêlent, inextricablement, rêve et réalité. Amoureux de l’ineffable, il vibre avec ses mots et, sous son emprise, il commence même deux romans et trois drames, qui resteront inachevés. Il sait désormais où s’évader de la fadeur quotidienne et s’exhausser dans la souffrance. Fasciné par la nature double de Jean-Paul, il en fait son idole, son dieu : « Comme Jean-Paul, il rêve d’un amour si vaste qu’il embraserait les saisons, les animaux, les enfants, les œuvres d’art et les dieux. Comme Jean-Paul, il s’exalte en bonheurs inexplicables, déborde en effusions vertigineuses. Comme Jean-Paul, il a des visions et de mystiques extases . » Le voilà immergé dans le romantisme, qui croit tout autant au fantastique, à la magie qu’à l’harmonie entre l’homme et la nature. Il va rejoindre l’idéal des artistes dévorés par la passion de créer : Schubert, Novalis , Brentano , Chamisso , Hölderlin et sa folie inspirée.

 

Mais la mort vient encore frapper à la porte. De Leipzig, en 1833, il apprend la mort de sa belle-sœur Rosalie et de son frère Julius, rongé par la tuberculose. Voilà Émilie et Rosalie, ses deux « sœurs », successivement emportées par la « grande faucheuse » ! La douleur et la désolation provoquent d’irréparables dégâts et, dans la nuit du 17 au 18 octobre, il connaît sa première crise grave : la pensée paroxystique qu’il devient fou s’impose à lui et ses premières pensées suicidaires le submergent. Dans une intuition du tragique scénario qui le fera sortir du monde des vivants, il tente de se jeter par la fenêtre. Dès lors, il ne supporte plus ni les étages élevés, ni la vue d’instruments tranchants. Son angoisse le poursuit en tout lieu. Il n’ose dormir seul, car il est en proie à des phobies irraisonnées, passant de l’excitation à la prostration : « Je n’étais rien de plus qu’une statue sans chaud ni froid, raconte-t-il. Grâce à un travail violent la vie est revenue peu à peu […]. De brusques congestions, une inexprimable angoisse, des manques de souffle, de soudaines pertes de conscience se succédaient rapidement, pourtant moins maintenant que les jours passés.» Sa dépression persiste.

 

Deux ans et demi après la mort de Rosalie et de Julius, il apprend celle de sa mère. La souffrance est insurmontable. Dès lors, un sentiment d’abandon l’accompagnera toute sa vie, augmenté par le décès de son frère Édouard, « le seul sur qui je pouvais m’appuyer comme sur un protecteur […] Sans toi, dit-il à Clara, qui va devenir sa femme, je serais depuis longtemps là où Édouard est à présent ». Il s’en souvient, des prémonitions funèbres lui ont révélé la mort de son aîné. Dans une sorte d’engrenage fatal, une autre tombe se creuse à côté de celles de son père, d’Émilie, de Julius, de Rosalie, de sa mère. En 1849, son frère Karl les rejoint. Une véritable hécatombe ! Il n’a que vingt-neuf ans et tous les siens, les uns après les autres, s’en sont allés. Habité par une tristesse gluante et par l’idée de sa propre mort, il reste le seul de sa famille."

Source

Gardou, C. (2006) . Robert Schumann : de l'ombre de la folie à l'éclat de la musique

Reliance, no 19(1), 98-106 (sur Cairn.info)

Licence CC 2025

Centre de Musique de Chambre de Paris

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