Le Poète parle









Influence d'Ernst Theodor Amadeus (E.T.A.) Hoffmann (1776-1822).
E.T.A. Hoffmann (1776–1822) a exercé une influence profonde sur le romantisme, tant en littérature qu'en musique, et a marqué de façon durable des artistes comme Robert Schumann. Voici un aperçu de son impact :
1. Influence d'Hoffmann sur le romantisme :
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Exploration de l'inconscient : Hoffmann a incarné l'esprit romantique en explorant des thèmes tels que l'irrationnel, le fantastique, les rêves et l'inconscient. Ses œuvres comme Le Vase d'or et Les Élixirs du Diable plongent dans des mondes où la frontière entre réalité et imagination est floue.
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La figure de l'artiste romantique : Il a popularisé l'idée de l'artiste comme un génie torturé, souvent incompris, cherchant à transcender la réalité par l'art. Cette vision a influencé le romantisme européen dans son ensemble.
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Mélange des arts : Hoffmann, étant à la fois écrivain, compositeur et critique musical, a incarné l'idée romantique de la convergence des arts, qui a inspiré des générations de créateurs.
2. Influence d'Hoffmann sur Robert Schumann :
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Une source d'inspiration littéraire :
Schumann était profondément fasciné par les récits d'Hoffmann. Le monde fantastique, parfois inquiétant, d'Hoffmann, a nourri l'imaginaire musical de Schumann, notamment dans son goût pour l'expressivité et les contrastes. -
Les Kreisleriana (1838) :
Schumann a dédié son cycle de pièces pour piano, Kreisleriana, à la figure du Kapellmeister Kreisler, un personnage excentrique et génial créé par Hoffmann. Ce cycle reflète l'esprit contrasté du personnage, oscillant entre lyrisme et folie. -
Théorie musicale :
Hoffmann était également un critique musical influent, célèbre pour son analyse de Beethoven, qu'il considérait comme un compositeur "romantique" par excellence. Cette vision a contribué à façonner la pensée musicale de Schumann, qui voyait en Hoffmann un guide spirituel. -
Le fantastique musical :
Schumann a hérité d'Hoffmann une fascination pour le fantastique et l'ambiguïté émotionnelle, caractéristiques qu'on retrouve dans ses œuvres pianistiques et ses cycles de lieder.
3. Une filiation esthétique :
L'œuvre d'Hoffmann, à travers ses thèmes et son esthétique, a marqué un tournant pour les artistes romantiques comme Schumann, en les incitant à repousser les limites de l'art et à explorer les mondes intérieurs. Cette connexion entre littérature et musique a contribué à définir l'esprit du romantisme allemand.
Les Kreisleriana
Le Kapellmeister Johannes Kreisler, personnage excentrique et génial créé par E.T.A. Hoffmann, apparaît dans plusieurs œuvres littéraires, souvent comme un alter ego de l'auteur lui-même. Voici les principales œuvres où il figure :
1. Les recueils de textes musicaux et satiriques :
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"Fantaisies à la manière de Callot" (Fantasiestücke in Callots Manier, 1814-1815)
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C'est dans ce recueil que le Kapellmeister Kreisler fait sa première apparition. Il y figure dans des essais et récits satiriques, comme Lettre sur la musique et Kreisleriana.
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Kreisler est présenté comme un compositeur et chef d'orchestre génial mais tourmenté, qui lutte contre l'incompréhension du public et les conventions rigides du milieu musical.
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2. Le roman inachevé :
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"Les Opinions du chat Murr" (Lebensansichten des Katers Murr, 1819-1821)
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Ce roman, considéré comme l'une des œuvres majeures de Hoffmann, est à la fois un récit burlesque et une réflexion profonde sur l'art.
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Il alterne entre les mémoires fictifs d’un chat vaniteux, Murr, et la biographie de Johannes Kreisler, décrivant ses aventures et ses désillusions dans le monde artistique.
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3. Autres mentions :
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"Die Fermate" (1815)
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Une courte nouvelle où Kreisler apparaît indirectement, discutant de la musique et de son pouvoir spirituel.
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Essais et critiques musicales :
Hoffmann utilise parfois le personnage de Kreisler pour exprimer ses propres théories musicales. Par exemple, Kreisler devient la voix de Hoffmann pour exalter la musique comme un art romantique par excellence.
Kreisler : une figure récurrente du romantisme
Kreisler incarne l’idéal romantique de l’artiste incompris, un génie visionnaire confronté à une société philistine. Ce personnage, à la fois comique et tragique, a influencé non seulement la littérature, mais aussi la musique, notamment Schumann, qui s’en est inspiré pour son célèbre cycle pianistique Kreisleriana (1838).
Hoffmann critique musical a défini le romantisme à travers sa présentation de Beethoven.
E.T.A. Hoffmann a joué un rôle clé dans la perception romantique de Beethoven en tant que compositeur révolutionnaire. Ses analyses, particulièrement dans sa critique de la Symphonie n°5, ont marqué l'histoire de l'esthétique musicale. Voici un aperçu des points principaux :
1. Texte fondamental : l'analyse de la Symphonie n°5 (1810)
Hoffmann a publié une critique dans le journal Allgemeine musikalische Zeitung, où il fait l'éloge de Beethoven et établit son rôle central dans le romantisme musical.
Principaux éléments de l'analyse :
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La musique comme un art romantique suprême :
Hoffmann considère la musique instrumentale comme l'art romantique par excellence, car elle exprime l'infini et l'inexprimable. Selon lui, Beethoven atteint ces sommets en transcendant les limites du langage et de la narration. -
L'exploration de l'infini :
Hoffmann écrit que la musique de Beethoven "ouvre au sentiment un royaume immense où s'exprime l'infini". La Symphonie n°5, avec son célèbre motif initial, incarne pour lui une lutte existentielle qui se résout en triomphe, évoquant des émotions profondes et universelles. -
Une opposition à la musique descriptive :
Contrairement à Haydn et Mozart, qui utilisaient parfois des éléments descriptifs ou galants, Hoffmann considère Beethoven comme entièrement tourné vers l'intériorité et les émotions abstraites. -
Structure et cohérence dramatique :
Hoffmann loue la Symphonie n°5 pour sa construction parfaite, où chaque élément contribue à un récit musical cohérent. Il admire particulièrement le développement des motifs, qu'il qualifie de "dialogue entre l'homme et le destin".
2. Vision de Beethoven comme un compositeur romantique :
Hoffmann est l'un des premiers à qualifier Beethoven de "romantique", bien que ce terme ait une connotation différente de celle qu'il aura plus tard :
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Beethoven est romantique car il exprime des sentiments profonds, au-delà du monde matériel.
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Il dépasse les conventions classiques pour atteindre une vérité artistique plus spirituelle et subjective.
3. Opposition entre Beethoven, Mozart et Haydn :
Hoffmann admire également Mozart et Haydn, mais il distingue Beethoven par son intensité émotionnelle :
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Haydn : Hoffmann voit en lui une représentation de la nature idyllique et joyeuse.
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Mozart : Il le décrit comme un maître de l'expression humaine et du drame.
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Beethoven : Il considère Beethoven comme le visionnaire qui explore les dimensions les plus profondes de l'âme humaine et de l'infini.
4. Influence de cette analyse :
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Hoffmann a contribué à établir Beethoven comme le modèle du génie romantique, influençant toute une génération d'artistes et de critiques.
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Il a posé les bases de l'interprétation romantique de la musique, où le ressenti et l'imagination sont au cœur de l'expérience artistique.
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Schumann, Wagner et bien d'autres ont repris les idées de Hoffmann pour développer leur propre vision de Beethoven.
Pour Hoffmann, Beethoven n'est pas simplement un compositeur : il est un prophète musical, un créateur capable de capter l'essence de l'infini. Sa Symphonie n°5, en particulier, illustre cette quête spirituelle, reliant la musique à une expérience profondément humaine et universelle.
Le thème du double
Le thème du double est récurrent chez E.T.A. Hoffmann et occupe une place centrale dans son œuvre. Ce motif, profondément ancré dans le romantisme, reflète les préoccupations existentielles et psychologiques de l’époque. Chez Hoffmann, il est utilisé pour explorer la dualité de l’âme humaine, les conflits entre le réel et l’imaginaire, et les mystères de l’identité.
1. Le double comme exploration de l’identité :
Hoffmann met souvent en scène des personnages qui se confrontent à une autre version d’eux-mêmes ou à une figure qui leur ressemble de manière troublante. Cette dualité reflète des luttes internes, notamment entre :
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Raison et folie
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Réalité et imagination
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Lumière et ombre
2. Exemples dans les œuvres d’Hoffmann :
a. Les Élixirs du diable (Die Elixiere des Teufels, 1815-1816)
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Ce roman met en scène Medardus, un moine qui boit un élixir maudit et commence à sombrer dans une série de péripéties marquées par l’apparition de son double.
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Le double, ici, incarne les pulsions refoulées, les désirs inavoués et la culpabilité. Il symbolise la lutte entre la moralité et les forces destructrices de l’inconscient.
b. Le Vase d’or (Der goldne Topf, 1814)
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Dans ce conte, la tension entre deux mondes — le monde réaliste de la bourgeoisie et le monde fantastique des esprits — reflète une forme de dualité chez le protagoniste, Anselme.
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Bien que le double ne soit pas directement une figure physique, la scission intérieure du héros, tiraillé entre ces deux réalités, illustre le thème.
c. Le Chat Murr (Lebensansichten des Katers Murr, 1819-1821)
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Ce roman alterne entre les mémoires fictifs d’un chat, Murr, et la biographie de Johannes Kreisler, un musicien génial mais tourmenté.
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Les deux récits, par leur contraste, créent une dualité thématique. Le chat Murr représente l’ordre et l’égoïsme bourgeois, tandis que Kreisler incarne le chaos créatif et l’angoisse de l’artiste romantique.
3. Fonction du double chez Hoffmann :
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Conflit psychologique : Le double incarne souvent les pulsions inconscientes et les désirs refoulés. C’est un miroir de l’âme humaine, révélant ce que le protagoniste tente de nier ou de cacher.
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Tension entre réel et imaginaire : Le double crée une ambiguïté, troublant les frontières entre le réel et le fantastique, un thème cher à Hoffmann.
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Critique sociale : À travers cette dualité, Hoffmann questionne les normes et valeurs de son époque, notamment la rigidité du rationalisme.
4. Une thématique romantique :
Le double est un motif emblématique du romantisme, que l’on retrouve également chez des contemporains d’Hoffmann, comme :
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Jean-Paul Richter (Siebenkäs),
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Mary Shelley (Frankenstein),
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Edgar Allan Poe (William Wilson).
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Puis plus tard chez Musset, (Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère, Nuit de décembre, 1835) -
ou chez Maupassant (Le Horla, Pierre et Jean).
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Stevenson (L'Étrange cas du Docteur Jekyll et Mister Hyde, 1886)
Hoffmann s’inscrit dans cette tradition, mais il y apporte une dimension unique grâce à son mélange de fantastique, de psychologie et de satire.
Le thème du double chez Hoffmann n’est pas seulement un motif narratif, mais un outil puissant pour explorer les profondeurs de l’âme humaine, les tensions entre réalité et illusion, et les contradictions de la condition humaine. Ce thème contribue à faire de son œuvre une pierre angulaire du romantisme fantastique.
Jean Paul Friedrich Richter (1763-1825)
Jean Paul Friedrich Richter (1763-1825), plus connu sous le nom de Jean Paul, était un écrivain allemand du début du XIXe siècle, célèbre pour son style exubérant, son imagination foisonnante et ses réflexions philosophiques. Bien qu'il soit moins connu à l'international que ses contemporains Goethe ou Schiller, il a eu une influence durable sur la littérature allemande et la pensée romantique.
1. Biographie
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Naissance et enfance : Jean Paul est né le 21 mars 1763 à Wunsiedel, en Bavière. Il était le fils d'un pasteur protestant. Son enfance a été marquée par des épreuves, notamment la mort prématurée de son père, qui a laissé la famille dans une situation financière précaire.
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Études et carrière : Il a étudié la théologie et la philosophie à Leipzig, mais il a rapidement abandonné ces disciplines pour se consacrer à l'écriture. Il a commencé par publier des satires avant de développer un style littéraire propre, mêlant humour, mélancolie et réflexions philosophiques.
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Vie personnelle : Jean Paul a mené une vie modeste, se consacrant à son art et à sa famille. Il est mort le 14 novembre 1825 à Bayreuth.
2. Œuvre et style littéraire
Jean Paul était un écrivain inclassable, souvent associé au romantisme allemand, bien qu'il conserve des traits distinctifs.
a. Caractéristiques stylistiques
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Digressions et complexité : Ses textes sont célèbres pour leurs longues digressions, où des réflexions philosophiques et des anecdotes s'entrelacent.
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Mélange des registres : Il mêle humour, ironie et profondeur émotionnelle, oscillant entre légèreté et gravité.
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Exploration des mondes intérieurs : Ses œuvres plongent dans la psychologie des personnages, explorant les rêves, les émotions et les contradictions humaines.
b. Thèmes récurrents
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Quête existentielle : Jean Paul s'intéresse aux grandes questions de la vie : l'immortalité, la nature de l'âme, la quête de bonheur.
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Fantaisie et imagination : Ses récits incluent souvent des éléments fantastiques ou oniriques.
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Humanisme : Malgré ses réflexions mélancoliques, Jean Paul croyait en la bonté et la capacité de l’humanité à évoluer.
3. Œuvres principales
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"Hesperus" (1795) : Ce roman philosophique a établi sa réputation, combinant intrigue amoureuse et méditations profondes.
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"Titan" (1800-1803) : Considéré comme son chef-d'œuvre, ce roman explore les aspirations humaines et les désillusions.
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"Siebenkäs" (1796): Ce récit semi-satirique traite du mariage et des conflits intérieurs.
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"Flegeljahre" (1804-1805): Une œuvre comique et introspective sur l'adolescence et le passage à l'âge adulte.
4. Héritage
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Influence sur les arts : Jean Paul a inspiré des écrivains (E.T.A. Hoffmann, Thomas Mann) et des compositeurs comme Robert Schumann, qui admirait son imagination et sa richesse émotionnelle.
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Un auteur culte : Ses œuvres continuent d'être étudiées pour leur profondeur philosophique et leur contribution au romantisme.
Jean Paul reste une figure littéraire unique, un pont entre le classicisme allemand et le romantisme, dont l'imaginaire exubérant a marqué son époque et au-delà.
Influence de Jean Paul Friedrich Richter (1763-1825) sur Schumann
L'influence de Jean Paul Friedrich Richter (1763-1825), souvent simplement appelé Jean Paul, sur Robert Schumann a été profonde et multiforme, en grande partie littéraire et philosophique. Voici les principales façons dont Jean Paul a marqué l'œuvre et la pensée de Schumann :
1. Un modèle littéraire et imaginaire
Jean Paul était un écrivain romantique allemand célèbre pour son style imaginatif, ses digressions et son exploration de mondes intérieurs complexes. Ces caractéristiques ont directement influencé Schumann, qui voyait dans l'œuvre de Jean Paul une résonance avec sa propre sensibilité artistique.
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Goût pour le fantastique et l'introspection : Schumann s'est inspiré des univers oniriques et introspectifs de Jean Paul pour ses œuvres musicales. On retrouve cette influence dans des cycles comme Carnaval, où les personnages imaginaires Florestan et Eusebius représentent différentes facettes de sa personnalité, une idée similaire à la multiplicité de voix que Jean Paul utilise dans ses romans.
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Symbolisme et associations : Comme Jean Paul, Schumann aimait utiliser des symboles et des motifs récurrents pour créer une cohérence interne dans ses œuvres, reliant ainsi musique et littérature.
2. Un esprit romantique et idéaliste
Jean Paul incarnait l'idéal du romantisme allemand, qui mêlait un regard mélancolique sur le passé à une aspiration à des idéaux transcendants. Schumann partageait cet état d'esprit et l'a transposé dans son art.
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Élévation artistique : Pour Schumann, la musique n'était pas seulement un divertissement, mais un moyen d'expression profonde et spirituelle, tout comme Jean Paul voyait la littérature comme un outil d'exploration de l'âme humaine.
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Fusion des arts : Inspiré par Jean Paul, Schumann cherchait souvent à unir musique et littérature, comme en témoigne son intérêt pour les Lieder, où poésie et musique s'entrelacent.
3. Un style fragmenté et émotionnel
Jean Paul écrivait souvent en fragments, alternant entre des moments d'exaltation et de mélancolie. Cette approche a influencé Schumann dans la structure de certaines de ses œuvres.
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Mosaïques musicales : Des pièces comme Carnaval ou Kinderszenen présentent une série de vignettes courtes mais connectées, rappelant le style fragmenté de Jean Paul.
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Contrastes émotionnels : Schumann a également adopté cette alternance entre des émotions extrêmes, passant de la joie à la tristesse dans des moments rapprochés, un trait caractéristique des écrits de Jean Paul.
4. Une influence directe dans ses écrits musicaux
Schumann était non seulement compositeur, mais aussi écrivain, en particulier dans sa critique musicale. Dans ses articles pour le Neue Zeitschrift für Musik, il adopte un ton et une approche souvent inspirés par Jean Paul, mélangeant observation critique, poésie et humour.
Conclusion
Jean Paul a offert à Schumann une vision artistique dans laquelle l'imagination, la subjectivité et la multiplicité des voix étaient essentielles. Cette influence a permis à Schumann de développer un langage musical et littéraire unique, profondément romantique et introspectif, tout en consolidant ses liens avec l'univers littéraire allemand de son temps.
Doubles et masques
Une variation esthétique
Schumann et la « variation kaléidoscopique », Lettre au baron von Fricken, septembre 1834
"Das Objekt soll zwar immer fest vor einem liegen, aber das Glas, mit dem man es ansieht, ein verschieden gefärbtes sein, ähnlich wie es in Parken aus buntem Glase zusammengesetzte Scheiben giebt, wodurch die Gegend jetzt rosaroth wie im Abendglanz, jetzt golden wie bei einem Sonnenmorgen erscheint u. dgl."
Robert Schumann, Briefkonzeptbuch, p. 129-132
"L’objet [le thème] doit certes être toujours posé solidement devant soi, mais le verre avec lequel on l’observe doit être d’une autre teinte, comme celle des vitres aux carreaux multicolores dans les parcs, à travers lesquels le paysage est baigné tantôt de la lumière rouge rosée de la lueur du soir, tantôt de la couleur dorée du soleil matinal etc."
Johannes Kreisler : Hoffmann ou Schumann ?
(Hoffmann. Kreislariana.)
"Ses amis prétendent que la nature, en lui donnant son organisation, a essayé une nouvelle création et que l’essai n’a pas réussi en ce que l’irritabilité de ses nerfs, sa fantaisie, qui va jusqu’à devenir une flamme brûlante, sont trop peu mêlées de flegme et que l’équilibre se trouve détruit, ceci étant de toute nécessité pour que l’artiste qui vit dans le monde fasse des œuvres conformes au goût et aux habitudes de ce même monde. Qu’il en soit de lui ce qu’on voudra, toujours est-il que Jean fut ballotté çà et là pour ses rêves et ses apparitions intimes comme par les vagues d’une mer irritée, et sembla chercher en vain le port où il devait trouver le repos et la gaieté sans lesquels l’artiste ne peut rien produire. Et il arriva aussi que ses amis ne purent jamais l’amener a écrire une composition ou l’empêcher de la déchirer après qu’elle était écrite. Quelquefois il composait la nuit dans la disposition d’esprit la plus nerveuse et réveillait l’ami qui demeurait dans son voisinage pour lui jouer, dans un enthousiasme extrême, ce qu’il avait écrit avec la plus incroyable rapidité. Il versait des larmes de joie de la réussite de son œuvre, il se regardait lui-même comme le plus heureux des hommes, et le jour suivant l’œuvre magnifique était au feu. Le chant avait sur lui un effet nuisible, parce qu’alors sa fantaisie s’irritait et que son esprit entrait dans un royaume où personne ne pouvait le suivre sans danger. Il trouvait souvent du plaisir à étudier des heures entières sur le piano les thèmes les plus singuliers avec des tournures et des variations de contre-point dans les passages les plus travaillés. Si cela lui avait réussi, il était pendant plusieurs jours d’une humeur charmante et une certaine ironie assaisonnait les entretiens dont il réjouissait le gai cercle de ses amis. Un jour il disparut on ne sait ni pourquoi ni comment. Plusieurs prétendaient avoir remarqué en lui des signes de folie, et véritablement on l’a vu sortir en chantant et en sautillant de la porte avec deux chapeaux enfoncés l’un sur l’autre, et deux tire-lignes qui sortaient de ses poches comme deux poignards. Toutefois ses plus intimes amis n’avaient rien remarqué qui annonçât une attaque de violent chagrin ou autre chose de ce genre. Et lorsque toutes les recherches eurent été vaines, et au moment où ses amis rassemblé délibéraient sur l’emploi des quelques œuvres musicales et de plusieurs écrits qu’il avait laissés, mademoiselle de B… apparut et déclara qu’à elle seule appartenait le droit de conserver les productions de son maître et ami, qu’elle ne croyait nullement perdu. Tous s’empressèrent de lui remettre ce que l’on avait trouvé ; et comme dans ses moments de bonne humeur il avait tracé rapidement au crayon, sur le revers des feuilles de musique, des observations presque toujours humoristiques, la fidèle écolière de l’infortuné Jean permit à un de ses anciens amis d’en prendre copie et de les livrer à la postérité comme des créations ébauchées par la fantaisie du moment."