biedermeier
Thomas Lawrence — Kunsthistorisches Museum, Wien
Remarquer l'ordre de marche, ainsi que la capeline et l'étole, ornements féminins obligatoires
Schackgalerie Munich 1858
Le Matin du Saint Sacrement (Am Fronleichnamsmorgen)
La situation politique
Après la chute de Napoléon à la bataille de Waterloo et son bannissement, les résolutions négociées au Congrès de Vienne furent mises en application. L'ordre de Vienne s'établit en Europe selon les idées directrices de la Restauration. À cette fin, le monarque conservateur François Ier d'Autriche, l'empereur Alexandre Ier de Russie et le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse conclurent la Sainte-Alliance. Ils y furent poussés en dernier lieu par le spectre de la Révolution française, dont ils voulaient éviter à tout prix la répétition.
Le prince Klemens Wenzel von Metternich, rhénan de naissance et travaillant au service de l'empereur d'Autriche, joua un rôle politique de premier plan. Il fit adopter les « décrets de Karlsbad » de 1819, qui restreignirent fortement les activités politiques. Une stricte censure de toutes les publications fut introduite, y compris pour les œuvres musicales. Des écrivains comme Heinrich Heine et Georg Büchner émigrèrent, de même que Karl Marx, alors rédacteur en chef de la Rheinische Zeitung à Cologne.
Sans les décrets de Karlsbad, l'époque Biedermeier est impensable. Hors d'Europe centrale et de Scandinavie, le terme Biedermeier n'existe donc pas, car le développement des sociétés prit ailleurs d'autres voies.
Origine du Biedermeier
Le terme de Biedermeier n'apparut pour désigner une époque que vers 1900. Il vient du pseudonyme Gottlieb Biedermeier, que le juriste et écrivain Ludwig Eichrodt et le docteur Adolf Kußmaul prirent à partir de 1855 pour publier des poèmes variés dans les Fliegende Blätter munichoises, parodiant en partie les poésies du bien réel instituteur de village Samuel Friedrich Sauter. Le nom vient de deux poésies, Biedermanns Abendgemütlichkeit (Le Bonheur vespéral de Biedermann) et Bummelmaiers Klage (La Plainte de Bummelmaier), publiées en 1848 par Joseph Victor von Scheffel dans le même magazine. Jusqu'en 1869 on écrivit « Biedermaier », l'usage du « ei » ne vint qu'ensuite. Le Monsieur Biedermeier fictif était un instituteur de village souabe écrivant de la poésie, à l'âme simple, et que selon Eichrodt « sa petite chambre, son étroit jardin, son insignifiante bourgade et le pauvre destin de maître d'école méprisé portaient à la félicité terrestre ». Dans les publications l'on caricature et moque la probité, la mesquinerie et les positions apolitiques d'une grande partie de la bourgeoisie.
Il est vrai que le poète révolutionnaire Ludwig Pfau avait écrit dès 1847 un poème titré Herr Biedermeier, dénonçant la prudhommerie et la duplicité morale. Il débute par ces vers :
« Schau, dort spaziert Herr Biedermeier
und seine Frau, den Sohn am Arm;
sein Tritt ist sachte wie auf Eier,
sein Wahlspruch: Weder kalt noch warm. »
« Vois là-bas se promène Monsieur Biedermeier
et sa femme, le fils au bras ;
son pas est précautionneux comme sur des œufs,
sa devise : ni froid, ni chaud. »
Eichrodt n'aurait eu connaissance de ce poème que bien après la publication de ses propres poèmes Biedermeier. Cette affirmation est à vrai dire invérifiable.
Après 1900, le terme Biedermeier devint pratiquement neutre, synonyme de la nouvelle culture bourgeoise centrée sur le chez-soi et la vie privée, ayant marqué la période de paix avant les grands bouleversements. Il en vint à qualifier au sens large l'art, la littérature et la mode de cette époque.
Une nouvelle culture bourgeoise
Le terme de Biedermeier désigne avant tout la culture bourgeoise qui apparut pendant la première moitié du xixe siècle. La bourgeoisie cultiva la vie privée et familiale à un point inégalé jusque-là. Les marques extérieures de prospérité passaient au second plan, derrière le bonheur domestique entre quatre murs, dans ce qui devenait un lieu de retraite. Des vertus bourgeoises comme le zèle, la probité, la fidélité, le sens du devoir, la modestie, furent élevés au rang de principes universels. La chambre de séjour du Biedermeier est l'ancêtre de l'actuelle salle de séjour, et l'expression de confort domestique fut probablement introduite à cette époque. La sociabilité fut cultivée dans des cadres restreints, dans les cercles, aux tables des habitués, à travers la musique de salon, mais aussi dans les cafés viennois.
La structure familiale bourgeoise était patriarcale, l'homme était le chef de famille, et la femme voyait sa sphère d'activité limitée au ménage. Le bourgeois aisé employait du personnel, entre autres une cuisinière, un cocher, une gouvernante, pour les nouveau-nés une nourrice, et parfois un précepteur. Les loisirs féminins prédominants étaient les travaux manuels et le piano, que chaque fille de bourgeois devait apprendre. Une attention considérablement plus importante qu'avant fut portée à l'éducation des enfants et à leurs chambres. Une mode enfantine apparut, qui n'était pas seulement une copie de la mode des adultes. L'industrie du jouet connut un premier apogée. Friedrich Fröbel créa en 1840 à Bad Blankenburg le premier jardin d'enfants.
Au temps du Biedermeier, la fête de Noël prit dans les maisons la forme que nous connaissons tous aujourd'hui, avec le sapin de Noël, les chants et la distribution des cadeaux.
L'homme de l'époque Biedermeier vu par les caricaturistes est dépolitisé, c'est un petit bourgeois aux aspirations naïves et respectueuses des autorités et il est maniaque de l'harmonie. Ces caractéristiques et quelques autres du même genre restent attachées à la littérature Biedermeier jusqu'à nos jours, comme dans Der Traum eines Lebens (Le Rêve d'une vie) de Franz Grillparzer, que l'on peut difficilement lire sans ironie aujourd'hui :
« Eines nur ist Glück hienieden,
Eins: des Innern stiller Frieden
Und die schuldbefreite Brust!
Und die Größe ist gefährlich,
Und der Ruhm ein leeres Spiel,
Was er gibt, sind nicht'ge Schatten,
Was er nimmt, es ist so viel! »
« Un seul bonheur ici-bas,
Un : la calme paix intérieure
Et le cœur innocent !
Et la grandeur est dangereuse,
Et la gloire un vain jeu,
Ce qu'elle donne, des spectres futiles,
Ce qu'elle prend, si démesuré ! »
La musique fut aussi marquée par le goût bourgeois pendant la période du Biedermeier. La musique de salon prit une grande importance. Un piano trônait dans presque chaque salle de séjour. Les pièces de musique de chambre étaient recherchées. Partout dans les villes furent créées des sociétés de musique et des chorales. Les maisons d’édition musicale diffusaient les œuvres légères et joyeuses des compositeurs, car le goût des clients déterminait les ventes. Auparavant on ne composait jamais uniquement pour les salons, on n’y jouait que des arrangements. Les morceaux de piano étaient le plus souvent deMendelssohn ou Robert Schumann, qui n’était pourtant pas un compositeur Biedermeier.Franz Schubert qui a composé beaucoup de musique de salon (valses, ländler, duos à 4 mains, impromptus, etc.) est souvent associé à cette catégorie. Il faut en plus citer Ludwig Berger, Christian Heinrich Rinck ou Leopold Schefer. Les lieder de Wilhelm Müller étaient par exemple populaires.