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STALINE ET CHOSTAKOVITCH

Lénine, Staline et la musique

Exposition du 12 octobre 2010 au 16 janvier 2011 - Musée de la musique, Paris

Catalogue Lénine, Staline et la musique, 2010

Résumé aimablement fourni par Elisabeth Brisson, merci à elle.

p.18 : Par son caractère abstrait, la musique est suspecte. Pour se réformer et quitter le champ de la suspicion, la musique doit se réformer en puisant dans le panthéon russe (Glinka, Tchaïkovski), privilégier les formes illustratives, éviter les complexités techniques et formelles, sous peine de perdre contact avec le peuple

Secteur le moins exposé aux répressions staliniennes, mais soumis à la lutte contre les « déviations formalistes » - pour le pouvoir, la musique est moyen de propagande destinée à atteindre les masses.

p.21 : Après 1917, départs : Rachmaninov, Prokofiev, Glazounov, et nombre d’autres

Stravinski et Diaghilev ne sont pas rentrés de tournée

Des interprètes émigrent : Siloti, Chaliapine, Koussevitzsky

En effet, la majorité des acteurs de la culture refusent les bolchéviks, mais des illusions sont conservées par certains de l’avant-garde : par exemple, à la direction du commissariat du peuple à l’instruction publique : Anatoli Lounatcharski, croit en la force transformatrice de l’art (il démissionne en 1929)

Meyerhold, metteur en scène – théâtre

Arthur Lourié – musique : restructure enseignement et vie musicale – il démissionne en 1921 et émigre

p.24  : AMC Association pour la musique contemporaine créée en 1923

L'Association russe des musiciens prolétariens (ARMP), est créée aussi en 1923 pour diffuser une culture musicale nouvelle, pour le prolétariat, contre l’art bourgeois,  contre l’héritage musical classique, musique savante et musique légère : « fox-trotterie » ou « tsiganerie » mais pour des chansons faciles, pour des chœurs amateurs, sur des textes politiques d’actualité.  Beethoven (de sa période intermédiaire) et Moussorgski sont acceptés car porteurs de vues progressistes, mais on rejette le dernier style de Beethoven, de Bach, et dénonciation de Stravinski et Prokofiev en tant que laquais de l’impérialisme. 

Opéras, oratorios, cantates, concertos sont des genres douteux, relégués au profit de « mystères » théâtralisés.

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Déclin de la musique symphonique

1924, 1ère Constitution soviétique et ouverture diplomatique. L'AMC établit des contacts avec l’étranger.

La gloire internationale de Chostakovitch commença avec l’exécution en 1927 à Berlin de sa 1ère Symphonie dirigée par Bruno Walter.

Des compositeurs  se rendent en URSS : Berg en 1927 avec Wozzeck à Léningrad, Bartok en 1929.

Première tournée russe de Prokofiev en 1927 : succès.

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p.28 : 23 avril 1932 : un arrêté du Comité central du PC « Sur la restructuration des organisations littéraires et artistiques » liquide les associations antérieures pour créer des Unions (écrivains, peintres, compositeurs etc.). S'y ajoute la doctrine esthétique du réalisme socialiste, avec la dénonciation du « formalisme » (lorsque la forme est placée au-dessus au contenu) ennemi de l’art soviétique qui répond aux principes de « caractère populaire », de « mélodicité ». « L’esprit idéologique » s'oppose à la complexité du langage musical. 

Tchaïkovski, Chopin, Schubert, Bach sont « requalifiés » en artistes progressistes proches du prolétariat triomphant  - mais toute musique nouvelle est exclue (Mahler, Schoenberg) et toute la musique du « modernisme » russe des années 20 est condamnée.

Lady Macbeth : en 1934 est considérée par les instances idéologiques et critiques comme une victoire du théâtre musical russe, un pas important dans la voie du réalisme. Janvier 1936, indignation et menaces de Staline : « le chaos remplace la musique ». 

1936 : Prokofiev est de retour au pays : le pouvoir lui pardonne son émigration et « oublia » qu’il l’avait qualifié de fasciste (avec Eisenstein en 1938 pour son film Alexandre Nevski)

La formation de virtuoses (piano et violon) est mise au service de la propagande soviétique pour démontrer les avantages du régime socialiste. La répression  de1937-38 touche peu le milieu musical pour ne pas compromettre cette image… Mossolov arrêté est vite libéré.

Un agrément officiel donné à la 5e Symphonie de Chostakovitch en 1937, avec une levée de sa disgrâce.

p.31 : Propagande de Staline : « La vie est devenue meilleure, la vie est devenue plus gaie. »

p.33  : Pasternak dans Le Docteur Jivago : « Lorsque la guerre a éclaté, ses horreurs réelles, ses dangers réels et la menace d’une mort réelle furent une bénédiction en comparaison du règne inhumain du mensonge. »

p.35 : Campagne de « serrage de vis » idéologique après la victoire pour étouffer les velléités de liberté de penser : l'organisateur en est Jdanov.

p.37 : En 1949, Tikhon Khrennikov dirige l’Union des compositeurs (jusqu’en 1991). Il défend le réalisme socialiste, s’oppose au modernisme, en fonctionnaire habile et souple.

 

p.53 « Sons de rue – Mystères et spectacles de masse »

A partir de 1917, la population des villes est invitée à participer à manifestations de rues, dans des actions théâtralisées. On trouve des échos de ces manifestations dans les œuvres de Chostakovitch entre autres. Par exemple, sont organisées des marches funèbres pour les victimes de la révolution, frères tombés pour la cause commune. 

Le 23 mars 1917 à Pétrograd, sont organisées des funérailles des victimes de la révolution, avec une procession au son de Marches funèbres pour les victimes de la révolution, frères tombés pour la cause commune – Dmitri, âgé de 10 ans, participa à cette manifestation et en rentrant composa un morceau intitulé Marche funèbre à la mémoire des victimes de la Révolution. On en retrouve des échos dans sa 11e symphonie « 1905 » « vous êtes tombés victimes de la lutte funeste »). 

 

P.87 : « La politique musicale de Lounatcharski – l’art pour le peuple »

Années 30 : censure, répression

Années 20 : imagination, richesse

Spectacles de masse faisant appel à différents médias

Lutte entre partisans d’une nouvelle musique et chantre d’un culture prolétarienne

Il est difficile de prescrire des normes esthétiques pour la musique : comment définir le « contenu » d’un art immatériel ? mais la musique qui déclenche des émotions peut servir la propagande.

p.90 : Lounatcharski nationalise les conservatoires, soutient le Bolchoï ; Une éducation culturelle se met en place : musique classique, chants révolutionnaires, airs et instruments folkloriques.

Le peuple doit avoir accès aux trésors passés de l’art ; l’art du futur ne peut se faire que sur les fondations du passé

p.93 : il rejette musique populaire urbaine, tsigane, le jazz, la musique de variétés.

1927 : le centenaire de Beethoven est fêté.

 

p.107 : « Le théâtre musical soviétique »

Vladimir Maïakovski, Kazimir Malévitch, Meyerhold vont mettre leur art au service de la révolution, pour un art d’avant-garde.

p.116 : Lady Macbeth = l'opéra réhabilite les détenus sibériens, victimes de l’ancienne politique, et avec eux Lady Macbeth conduite au meurtre par les circonstances. 

p.134 : D’après la police secrète chargée de voir ce qui se dit en privé, la disgrâce de Chostakovitch en 1936 est critiquée par beaucoup d’écrivains, d’hommes de théâtre, de musiciens, même par ceux qui ne sont pas grands amateurs d’opéra. Cette réaction contribue peut-être au rapide retour en grâce de Chosta

p.138 : il faut prendre acte des revirements incessants et réguliers de la politique culturelle soviétique : Chostakovitch a été soumis à ces revirements  : critique dévastatrice dans la presse en 1936 pour son opéra Lady Macbeth, puis prix Lénine en 1945,  puis nouvelle disgrâce…

 

p.151 : « Chostakovitch et Staline – une relation particulière ? »

Compositeur, professeur, fonctionnaire, icône musicale de l’URSS, artiste international et figure publique soviétique, Chostakovitch a incarné la figure du « grand compositeur ».

Il fallait faire oublier les aspects de sa carrière qui n’entraient pas dans le schéma du compositeur-héros. Ses amis et contemporains ont compris la complexité de son double rôle d’artiste et de personnalité publique.

Volkov, 1979 : Chostakovitch est dissident victime du contexte historique.  

p.152 : Pourquoi ses œuvres composées sous un régime répressif ont-elles une popularité internationale ? Comment ce compositeur « opprimé » a-t-il accédé à une stature internationale ?

Staline a fait exécuter nombre d’artistes mais Chostakovitch contribuait à la gloire de l’art de l’URSS pour Staline.

Conservatisme musical de Staline

p.155 : Les compositeurs avaient plus à craindre de l’ingérence du Comité des affaires artistiques et de l’hostilité de leurs confrères, plus que du Politburo. Pourtant 2 événements témoignent de l’intervention venue d’en haut : 1936 avec l'article paru dans la Pravda et 1948.

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Le programme d’interprétation de la 5e Symphonie est opportuniste : lutte de l’âme pour sortir de l’individualisme – en fait son finale est loin d’être une « affirmation de la vie » - un critique y entend la rupture avec la période formaliste.

Il fallait que tous ceux qui étaient concernés par l’exécution de cette symphonie puisse en parler d’une manière idéologiquement acceptable : « formation d’une personnalité » pour une symphonie soviétique populaire. 

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p.158 : effet de Staline sur le compositeur : Chostakovitch abandonne sarcasme, satire, pour un style plus complexe, plus ouvert à une diversité d’interprétations. Il fait de la symphonie et du quatuor ses moyens d’expression.

    

p.161 : Bénéficiant de l’élimination des concurrents, Chostakovitch, par sa survie, son succès et son immense talent, est devenu le plus grand compositeur d’URSS. Sa musique est une caisse de résonance sensible pour toute une génération sensible à la terreur. Mais son oeuvre dépasse les contingences terrifiantes de la période historique.

 

p.189 : « Le blocus de Leningrad – la musique et le pouvoir »

Blocus, 900 jours à partir de septembre 1941 avec des tirs d’artillerie.

La photo de Chostakovitch en soldat du feu sur le toit de conservatoire de Leningrad, le 29 juillet 1941 va faire le tour du monde. Il fait partie de l’équipe des pompiers pour neutraliser les bombes incendiaires.

Le Comité des affaires artistiques de Leningrad choisit de maintenir une vie culturelle : on donne des concerts de la Philharmonie, des spectacles de théâtre.

Chostakovitch est considéré comme la personnalité la plus brillante, la « réserve d’or de la culture » : il devait être évacué, le 1er octobre. Il est resté moins d’un mois à Léningrad.

5 mars 1942 :  première de la 7ème symphonie, sur la Grande Terre ; elle sera ensuite donnée à l’étranger. On demande la partition à Chostakovitch. Cette partition est  envoyée par avion à Leningrad où la symphonie est donnée le 9 août 1942. La salle est comble et c'est un immense succès.

Le blocus est brisé le 18 janvier 1943, et prend fin le 27 janvier 1944, après une période de famine épouvantable.

STALINE ET CHOSTAKOVITCH
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Solomon Volkov (Auteur) Anne-Marie Tatsis-Botton (Traduction) Chostakovitch et Staline : L'artiste et le tsar. Éditions du Rocher,  2005

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​" La musique illumine les hommes et leur donne leur dernier espoir ; Staline lui-même, ce boucher, le savait. " Ainsi parla le compositeur russe Dmitri Chostakovitch, que ses premières œuvres, dans les années 1920, avaient désigné comme l'enfant prodige de l'avant-garde. Mais cette singularité même devait lui nuire dix ans plus tard, sous le régime stalinien totalitaire, dont les raisons de persécuter les artistes étaient si imprévisibles. Solomon Volkov - qui a collaboré aux mémoires de Chostakovitch, parus en 1980 en français sous le titre Témoignage - décrit de quelle façon cette meurtrière incertitude affecta la vie et l'œuvre du compositeur. Volkov, grand connaisseur de la vie culturelle en Russie soviétique, nous montre le " fou de Dieu " qui existait chez Chostakovitch : un homme qui disait la vérité et osait contester l'autorité suprême. Nous voyons comment le musicien a lutté pour rester fidèle à lui-même dans sa musique et de quelle façon Staline alimentait cette lutte, tantôt interdisant ses œuvres, tantôt les encourageant. Nous voyons comment certains des contemporains de Chostakovitch - notamment Mandelstam, Boulgakov et Pasternak - furent victimes des manipulations de Staline et de quelle manière le compositeur échappa de justesse au même sort. Nous découvrons enfin quel prix psychologique il dut payer pour préserver ce que d'aucuns percevaient comme une réserve ne visant qu'à servir ses propres intérêts et d'autres comme une individualité qu'il avait. raison de défendre. Voici mi compte rendu révélateur des rapports unissant un des plus grands compositeurs du vingtième siècle à l'un de ses plus impitoyables tyrans.

 

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Résumé du livre de Volkov

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Il y a des messages cachés, des codes dans les œuvres de Chostakovitch, par exemple des mélodies populaires géorgiennes. Ce sont des références à Staline, Géorgien d’origine. 

 

Autre exemple : des lieder de Mahler, par exemple une mélodie de Mahler dont les paroles expriment la souffrance. Dans les symphonies également. Volkov va chercher les racines de la relation russe entre les dirigeants et les poètes. Par exemple Pouchkine et Nicolas Ier.

 

Il y a la mention du Iourodovi. Un personnage typiquement russe utilisé par Pouchkine. Cela signifie le fou en Christ, la folie en Christ.  C'est une des clés pour comprendre la relation entre Chostakovitch et Staline. Le Iourodivi dit des vérités qui ne sont pas faciles à comprendre.

La Iourodiva est une forme de sainteté reconnue par l'Église orthodoxe au 15e siècle : c'est la sainteté des Béatitudes, le dépouillement, l'humilité. Le Iourodivi s'exprime dans un monologue tragique. Ce monologue a une grande puissance artistique et un grand pouvoir sur les esprits et les cœurs.  On le retrouve dans Boris Godounov et il y a un lien fort de Chostakovitch avec Boris Godounov.

 

La poésie de Pouchkine est prophétique. Le rôle du poète est de donner un sens à l'histoire nationale. Le poète apparaît dans Boris Godounov à travers trois personnages :

  • Pimène, le moine, enfantin et sage, loin de la vaine agitation ;

  • L'imposteur, qui veut s'inscrire dans l'Histoire ;

  • Le Iourodivi, typique de l'ancienne Russie. Chostakovitch le choisit consciemment. 

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Staline endosse consciemment lui aussi le rôle du tsar.  Staline se piquait d'avoir des qualités d'artiste et de critique artistique, par exemple dans son écriture qu'il définissait comme simple et claire, classique.  Il est fasciné par les artistes, dont  Pasternak Eisenstein Prokofiev. Il y a des liens politiques entre Staline et Chostakovitch,  ils ont tous les deux une mémoire phénoménale, mais “Staline savait comment tuer la mémoire historique d'un pays.” Il va lourdement peser sur la création artistique pour la contraindre à servir pleinement l’idéologie de l’Empire soviétique qu’il met en place.

 

1 Les racines

2 L’année 1936, causes et conséquences. 

3 L’année 1936. Devant le Sphinx

4 La faveur du Tsar, de 1938 à 1940

5 La guerre, tribulations et triomphe, 1940-1945

6 “Extirpe l’ennemi de tes rangs” 1945-1953

7 Les dernières convulsions et la mort du Tsar 1953

8 L’après Staline (et toujours l’ombre de Staline)

 

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1 Les racines

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L’art est toujours politisé. “Le matin dans la Gazette, le soir dans la chansonnette” Staline comprend l'importance de l'exportation des virtuoses soviétiques. Année 1927 :  Chostakovitch est sur la liste des participants au concours Chopin de Varsovie. Staline signe la liste. Chostakovitch est recalé. Cela provoque chez lui une crise, un changement de cap. Il a l'obsession de l'argent. Il est dans la misère, il perd courage. Il est prêt à faire de l’art alimentaire, à prendre des commandes de l'État. De plus il subit le poids de l'idéologie qui réclame la loyauté des artistes.

Année 1926 c'est l'année de la Première Symphonie avec un succès mondial.

Puis vient la Deuxième Symphonie dédicacée à la Révolution d'octobre.

Puis vient la Troisième Symphonie dédicacée au 1er mai.

Chostakovitch écrit aussi un opéra, Le Nez, tiré d'une pièce de Gogol (1836). Dans cet opéra, il y a une absence revendiquée d'idéologie. L'opéra est produit en 1930 (Kovaliov). Il y a 16 représentations mais l'opéra mécontente Kirov, le tout-puissant chef du Parti communiste à Léningrad. C'est un événement minime mais c'est une tragédie pour Chostakovitch. Ceci est contemporain du grand tournant qui a commencé en 1929 avec les purges staliniennes. Chostakovitch sensible et impressionnable ressent ce qui est en train de se mettre en place. Maïakovski se suicide le 14 avril 1930.

 

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2 L’année 1936, causes et conséquences. 

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1936 est l'année de l'opéra Lady Macbeth sur un texte de Leskov.

Un exemple des manières de Staline : l’écrivain Boulgakov est sous la surveillance personnelle de Staline qui l’encense puis le rejette et le tient à l'étroit. Le 18 avril 1930 Staline lui téléphone car il a peur que Boulgakov ne se suicide comme Maïakovski. “Voulez-vous partir à l'étranger camarade Boulgakov ?” Boulgakov trouve une réponse : “Un artiste russe ne quitte pas sa patrie”. Staline satisfait lui propose le Théâtre d'art  et ajoute “je pense qu'ils vous prendront”. Il lui dit aussi qu’il souhaite le rencontrer un jour. Dès qu'il voit que Boulgakov mord à l'hameçon, il raccroche... Il n'y aura jamais de rencontre entre Boulgakov et Staline. Mais Boulgakov attendra cette rencontre jusqu'à l'année de sa mort en 1940.  

 

Staline et Pasternak. Pasternak écrit un vrai mot de condoléances à Staline après la mort de la femme de Staline. Il a rencontré Staline en 1924. Description de l'aspect physique de Staline. Gorki soutient Pasternak contre Maïakovski de même qu'il soutient Boukharine. Gorki considérait l'URSS comme le dernier bastion de la culture en Europe. Le réalisme soviétique était un slogan qui plaisait à Staline qui prônait ce qui était court, clair, lié à la tradition du réalisme critique. Gorki convainc Staline de nommer Boukharine rédacteur en chef de l'Izvestia.

 

L'opéra Lady Macbeth de Mtsensk est dans la lignée du naturalisme. Le jeune Chostakovitch n'était jusque-là pas rentré dans le champ de vision de Staline. Le peintre Koustodiev est l'illustrateur de la nouvelle de Lescov. Une publication est faite de cette nouvelle avec des illustrations érotiques qui n'étaient pas destinées à la publication. Cette édition est vue par Chostakovitch. Il vit par ailleurs des relations passionnelles avec Nina Varzar, sa future épouse. Lady Macbeth est dédié à Nina Varzar, avec un parallélisme entre la femme réelle et l'héroïne de l'opéra.

Dans le régime soviétique d'alors, le bruit d'un baiser effraie plus qu'un obus qui explose. D'autant que comme dit Prokofiev "ça y va ça y va". Prokofiev signale la "sensibilité cyniquement exhibitionniste de l'opéra de Chostakovitch". Chostakovitch ne lui pardonnera jamais cette expression. Mais il est vrai que les glissando au trombone accompagnant les duos autour d’un lit installé au milieu de la scène peuvent véritablement faire penser à de la pornophonie. 

La première représentation à Leningrad reçoit un accueil époustouflant. La jeunesse de l'auteur qui a alors 27 ans frappe beaucoup : on parle d'un nouveau Mozart, d'un véritable génie. 50 représentations auront lieu à guichet fermé à Leningrad. Romain Rolland écrit à Gorki une lettre élogieuse sur ce Lady Macbeth. Mais ce succès va se retourner contre Chostakovitch qui va être pointé du doigt comme un gauchiste, un dangereux formaliste 

qui entraîne la décadence de l'art ancien.

Le 26 janvier 1930, Staline, Jdanov, Molotov, viennent assister à la représentation qui se déroule au Bolchoï de Moscou. Malheureusement l'orchestre est un peu trop excité. Les instruments à vent sonnent trop fort, Chostakovitch en est très inquiet. Staline ne reste pas jusqu'à la fin du spectacle. Il quitte la salle, pendant la représentation, ce qui n'est pas de bon augure. Effectivement, un article paraît le 28 janvier 1936 dans la Pravda. En 3ème page. L'article parle d'un “galimatias musical” ou encore “L'amour tartiner dans tout l’opéra sous sa forme la plus vulgaire”. Il y est question des mouvements honnis du formalisme et de naturalisme.  Il s'agit d'un “hymne à la luxure des marchands”. L'article n'est pas signé. Cette absence de signature est en fait la signature possible de Staline. Une menace apparaît à la fin : “ce petit jeu hermétique pourrait très mal se terminer”. Après cette page le spectacle est immédiatement annulé. Chostakovitch avait également écrit une comédie-ballet intitulée Le Clair Ruisseau. Elle plaisait à peine davantage à Staline. Pourtant un slogan de Staline y a été répété deux fois. “On vit mieux, la vie est devenue plus gaie” (avec peut-être, il est vrai, une intention ironique ?). Réponse dans le journal du 5 mars 1936 :  “Sa musique est sans caractère. Elle fait du bruit pour rien. Simplicité, clarté, franchise, tel est le modèle à suivre”.

Gorki rencontre Malraux qui s'intéresse à Chostakovitch. Il comprend qu’il a raté son coup. Gorki fait savoir à Staline que “ce garçon est complètement anéanti”. Le suicide de Chostakovitch, musicien par ailleurs connu et encensé au niveau international, pourrait devenir un scandale diplomatique.

 

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3 L’année 1936. Devant le Sphinx

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Staline a désigné les deux ennemis du pouvoir soviétique, l'impérialisme et le formalisme. Tous les moyens nécessaires seront employés pour les éradiquer, y compris la force : arrestations brutales et déportations dès 1932. Staline se déchaîne contre Léningrad dès 1934. Vague de Kirov. Les arrestations sont inexplicables, irréversibles. “Nous sommes tous coupables sans avoir rien fait” dit Chaporina, une proche de Chostakovitch dans son journal.Chostakovitch est à 2 doigts du suicide. Sa mère le voit marcher de long en large sans rien dire en mouillant de ses larmes des serviettes de bain. Un rapport est communiqué à Staline. 1936 est vraiment l'année du modèle de Pouchkine. Chostakovitch suit d'instinct Pouchkine dans ce rôle de Iourodivi. Le Iourodivi est vraiment la clé de compréhension de Chostakovitch.  Par ailleurs le musicien se sent un don de chroniqueur national :  il écrit un article sur la 4ème symphonie dans la Pravda en 1934, dans le même numéro qui appelle à la liquidation de l’intelligentsia, considérée comme de la vermine.

1934. La vague de Kirov. 1er décembre 1934 : Kirov est assassiné, sans doute sur l'ordre de Staline qui l’avait reçu amicalement quelques jours auparavant, et qui immédiatement met en place des représailles contre ceux qui auraient cherché à se débarrasser de lui.

Chostakovitch met alors sur son visage le masque du bouffon, masque tout de même compromettant du Iourodivi. Il prend l'attitude opposée à ce que  l'on attend de l'artiste et de l'intellectuel, à cause de cette vague de terreur. Il utilise la langue de bois. Il est reçu en février 1936 par le président du comité artistique du moment. Staline fait savoir qu’il pardonne à Chostakovitch comme Nicolas 1er à Pouchkine. Mais il exige de Chostakovitch qu'il fasse quelques pas dans sa direction. Chostakovitch devra faire le travail de Rimsky-Korsakov, c’est-à-dire collecter le folklore musical slave. Saline lui demande également de lui envoyer les livrets de ses prochains opéras avant de les mettre en musique, et d'essayer des extraits devant un public d'ouvriers et de paysans. C'est la fin des opéras et des ballets pour Chostakovitch. 

Chostakovitch réitère le gambit (terme employé aux échecs, sacrifice du pion à l’ouverture) de Pouchkine :  il accepte la plupart des critiques du Parti mais il ne les a pas encore assimilées, dit-il. Mais il ne montre pas un repentir absolu. Du coup il risque sa vie et celle de ses proches mais c'est la bonne réponse devant le sphinx. “Au lieu d'écrire mon acte de contrition je fais la 4e symphonie”. “Si on me coupe les deux mains, je prendrai la plume entre les dents et je continuerai à composer”. Mais dès le 17 février Chostakovitch est réhabilité dans la Pravda. Staline l’a consolé en lui disant de ne pas croire tout ce qui est écrit dans les journaux (!) et en lui conseillant d'écrire de la musique populaire (!!).

En même temps, se tourne vers le et cela va sauver Chostakovitch. Staline adore le cinéma, il le considère comme une stratégie de propagande. Chostakovitch compose pour le grand cinéaste Eisenstein. Il se sauve ainsi. 1932, année du film Contreplans. Chostakovitch écrit une mélodie facile à retenir, la première chanson populaire issue du cinéma. “La fraîcheur du matin appelle…” Tout le monde la fredonne.

La musique de Chostakovitch est sans arrêt une bouteille à la mer. 1936 est l'année de l'assassinat de l’écrivain Kornilov, chargé comme Chostakovitch de tous les péchés du formalisme. Sa femme enceinte Olga est rouée de coups. On continue à chanter la chanson mais sans nommer l'auteur des paroles. Chouniatski, directeur du cinéma, note servilement toute la pensée de Staline sur le cinéma pour savoir comment agir. Il défend quand même Chostakovitch lors de l'affaire de Lady Macbeth en rappelant que Chostakovitch est le compositeur de cette belle chanson. “C'est là où le bât blesse”, répond Staline, “les gens ne sont pas dirigés”.

À partir de là, Chostakovitch décide de ne plus se montrer et de tout mettre dans sa musique. Il espère qu'un jour le public décryptera sa musique. Il met des clés parfois très visibles ; par exemple la marche finale de la 4ème symphonie est inspirée de la fin du Chant d'un compagnon errant de Mahler. Les paroles ne sont pas données mais elles donnent tout leur sens au passage. “Affliction et tourment, c'est mon lot pour toujours” Ou encore l'on retrouve encore une allusion à la fin à l’Oedipe Roi de Stravinsky. “Thèbes pestiférée”. Le règne de Staline c'est le festin pendant la peste. Le gros de la recherche de ses clés est encore à faire. Staline ne dévoile jamais toutes les règles du jeu culturel liées à la révolution. Les paramètres restent ambigus. Cette ambiguïté est machiavélique. Elle permet à Staline de corriger les erreurs des artistes comme un bon père de famille corrige ses enfants inexpérimentés et indociles. On est prié d'être utile. Le malheureux Chostakovitch comprend brutalement les règles en lisant la Pravda de janvier 1936 à Arkhangelsk. Il s'agit d'un programme de survie.

 

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4 La faveur du Tsar, de 1938 à 1940 

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Les oeuvres attendues doivent être rectilignes, univoque, mais elles sont souvent ambivalentes par exemple la 5ème symphonie en 1937. Beaucoup ont pleuré en l'écoutant. Le concert a été suivi d'une standing ovation pendant une demi-heure. Chaporina écrit dans son journal de 1936 “Il a répondu et bien répondu” (sous-entendu à l’article de 1936). Brusquement le vent tourna, devint favorable à Chostakovitch. Un écrivain soutenu par Staline (Alexis Tolstoï), mentionne “le grand art réaliste de notre époque”. Pendant ce temps, un proche de Chostakovitch est fusillé, un homme que Chostakovitch aimait bien.

 1938 : Chostakovitch publie un texte inhabituel et énigmatique avant la première représentation de sa 5ème symphonie à Moscou.Il déclare que la 5e symphonie est “la réponse  concrète et créative d'un artiste soviétique  à une critique justifiée”. Il s'agit là du sous-titre officiel donné par l'auteur lui-même à sa 5ème symphonie. C'est sans doute la formule de Staline lui-même.  En tous les cas l'article a été relu et approuvé en haut lieu et c’est ainsi qu’il a réussi à être l'artiste du régime. Pasternak soulignera : “Il a tout dit comme ça, ça lui a valu aucun ennui”. Chostakovitch avait été considéré par le NKVD comme “saboteur trotskiste”. Mais ni lui ni Pasternak ni Eisenstein ne furent arrêtés,  alors que d'autres écrivains (Babel, Meyerhold)  furent fusillés en 1940 après quelques interrogatoires musclés.

 La 5ème symphonie fut un phénomène culturel de résonance mondiale. 

Novembre 1940.  c'est l'année du quintette. “Même sous terre nous chanterons des hymnes”. (Les Frères Karamazov). Grand succès. Chostakovitch obtient le prix Staline de 1re classe... Prokofiev avait attaqué le quintette et il a dû attendre 2 ans avant de recevoir ce même prix.

Mais le dialogue avec le “guide” (Staline) était un duel épuisant.

 

5 La guerre, tribulations et triomphe, 1940-1945

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Chostakovitch insuffle une nouvelle vie au genre symphonique en le politisant. La 7ème symphonie dite Léningrad décrit officiellement l’horreur des combats contre l’Allemagne nazie. En réalité elle doit être comprise comme le reflet musical des cercles de l'enfer stalinien, selon l’expression de Volkov qui s’inspire avec cette formule d’une phrase de Galina Serebriakova, un amour de jeunesse de Chostakovitch : “un récit immortel comme l’oeuvre de Dante”. Staline utilise Chostakovitch pour la propagande durant le siège de Léningrad. Chostakovitch est évacué de Léningrad avec d'autres intellectuels après être entré dans une brigade des pompiers volontaires pour éteindre le feu des bombes incendiaires. Il est photographié casque de pompier sur la tête en 1941 et il fera la une du Times. Le siège de Léningrad, siège horrible, durera 3 ans de 1941 à 1944.

1944,  c'est l'année du 2ème Trio, dédié à la mémoire d’Ivan Sollertinsky. C'est une époque cruelle et dangereuse, douloureuse avec la mort de Sollertinsky, artiste ami de Chostakovitch, critique musical très érudit, conseiller et mentor irremplaçable. C'est lui qui a fait connaître Mahler à Chostakovitch. Il aura aidé Chostakovitch à se libérer des dangers et des tentations de l'imposture. Après Lady Macbeth, Sollertinsky va être le bouc émissaire. C'est la tactique de la terre brûlée chère à Staline, qui s'arrange toujours pour isoler ses opposants en s'attaquant à leurs proches autant qu’à eux. Sollertinsky est jugé comme idéologue de la tendance qui a dénaturé la musique de Chostakovitch. 

Chostakovitch ne pouvait rien faire pour protéger son ami. Le stress provoque une diphtérie chez Sollertinski.  Il en est paralysé et entre à l’hôpital. Là  il apprend le hongrois dans une sorte de défi et sort de l'hôpital guéri. Il a relevé le défi par un acte créateur. Mais il meurt le 11 février 1944 à 42 ans d’une crise cardiaque.

La dédicace du trio fait partie d'une habitude russe.  Tchaikovsky a fait de même pour Rubinstein. Cependant  selon Chostakovitch lui-même il s'agit d'”une masturbation trop rapide, pas très assurée, épuisante, pas très agréable, et à la fin on se demande si on n’a pas perdu son temps.”Le final est une danse tragique : “rire à travers les larmes et pleurer en riant”.  C'est l'époque où Chostakovitch découvre l’Holocauste.  Il perd un autre ami, Benjamin Fleischmann, élève engagé à 28 ans et mort au front.  Benjamin Fleischmann a écrit Le violon de Rothschild, opéra sur un sujet juif d'après Tchékov. Chostakovitch termine cet opéra  inachevé. Voilà le fonds historique et psychologique dont se nourrit le Trio. On peut rapprocher de cette époque le mot de Marina Tsevetaïeva. “Il est temps, il est grand temps de rendre à Dieu son billet”. Cette poétesse elle-même se pendit en août 1941, laissant cette phrase :  “à ton monde de folie une seule réponse : non”.

Chostakovitch reçoit de nouveau le prix Staline pour son trio. Le prix Staline de 2e classe. Sa 8ème symphonie avait été nominée mais écartée. Prokofiev reçoit en 1946 trois prix Staline de première classe.  Les relations entre Prokofiev et Chostakovitch sont compliquées, leurs caractères sont antithétiques. Les remarques acerbes de Prokofiev sur la musique de Chostakovitch marquent leur relation. 

À la fin de la guerre, Staline promet aux intellectuels de reprendre le temps de s'occuper d'eux… Il est furieux de la 9e symphonie de Chostakovitch, un pied de nez de 18 minutes pour répondre à la demande  du régime qui voulait une œuvre musicale grandiose pour célébrer la victoire russe de 1945.

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6 “Garde-toi derrière, garde-toi devant. Extirpe l’ennemi de tes rangs” 1946-1950

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Il y a sur cette période une insuffisance de documents essentiels. Staline donnait ses directives oralement. Il ne voulait sans doute pas de trace écrite. Chostakovitch est de nouveau accusé de formalisme.

Il y a là du revanchisme pur et simple. Jdanov sert de porte-parole à Staline. La musique de Chostakovitch est traitée de "grossière, vulgaire, inélégante, une fraise de dentiste, des cris d'abattoir". Chostakovitch est un écorché vif.  On le décrit comme "pâle, sourcils froncés, avec de petites convulsions". Il est de nouveau en ligne de mire. La création et encore une fois son salut et sa réponse.

11 mai 1946 : Lavrenti Beria téléphone en personne à Chostakovitch pour lui signaler qu'on lui accorde un grand appartement à Moscou, une datcha d'hiver, une automobile et 60 000 roubles. Chostakovitch tente de refuser au moins l'argent. Beria se met en colère. Chostakovitch est obligé d'accepter les largesses du Tsar. Il doit écrire une lettre de remerciements, sous la dictée de Beria.

Chostakovitch se débarrassera de la datcha stalinienne en la rendant gratuitement au gouvernement après la mort de Staline. Cela fut jugé suspect par le régime…

 

 1948 :  1er concerto pour violon, avec des allusions cryptées. Il écrit pour le tiroir. Il redoute cette année bissextile, Chostakovitch était connu comme superstitieux. Il faut dire que l'année 1936 également bissextile ne lui avait pas réussi.

Chostakovitch glisse les initiales de son prénom et de son nom, D-SCH dans le deuxième mouvement. Dans le 3e mouvement, il introduit une danse juive et une passacaille. Le mouvement commence par le thème de Staline avec le destin qui frappe à la porte comme dans la 5ème symphonie de Beethoven. Il parle aussi à mots couverts du "petit paradis anti-formaliste". C'est une satire qui décrit avec concision et mordant le lynchage culturel organisé par Staline en 1948. 

Le 11 février 1948 Jdanov initié une "résolution". Une liste est dressée des artistes à remettre dans le droit chemin. Dans l'ordre : Chostakovitch, Khatchatourian, Prokofiev. Cette nuit-là, la nuit du 10 au 11 février 48, le cinéaste Eisenstein meurt d'une crise cardiaque, sans doute après avoir pris connaissance de cette liste. Des mesures disciplinaires sont prises contre les musiciens. 

Le 11 février, le secrétaire de Staline, Psokrebychev, téléphone à Chostakovitch à 6h du matin pour le convoquer au Kremlin. Il lui lit à voix haute la résolution du parti. C'est une tactique sadique. "On fouette et on interdit de pleurer". Puis Staline lui-même veut savoir comment Chostakovitch a réagi à la raclée. Chostakovitch a baissé la tête pendant toute la lecture et son regard n'a cessé de se fixer  sur les chaussures de cuir jaune du lecteur. Petit fait cocasse : des retrouvailles auront lieu entre Chostakovitch et Psokrebychev en 1956 dans une queue devant une pharmacie. Chostakovitch reconnaît les chaussures de cuir jaune de son voisin. Psokrebychev lui raconte en toute cordialité que lui aussi est tombé en disgrâce, lui après la mort de Staline, et que les temps sont décidément bien durs pour tout le monde.  Mais il porte toujours ses chaussures de bonne facture européenne, en cuir inusable. 

Avec la résolution vient la rétorsion. Chostakovitch est  chassé de ses postes de professeur aux conservatoires de Moscou et de Leningrad. On n'a plus le droit de le jouer.

En avril 1948, nouvelle mise en scène. L'Union des compositeurs a été  mise en place pour une pérestroika culturelle totale, avec pour premier secrétaire un certain Khrennikov, 34 ans. "Il est temps de ramener notre musique sur la voie de la clarté et de la simplicité réaliste" etc. Les destinataires de ces injures devaient exprimer leur repentir en public. Chostakovitch est obligé de faire un discours. Il est très isolé, il n'a qu'une petite vingtaine de proches pour le soutenir. "Camarades, sachez-le, nous avons réglé son compte à Chostakovitch une bonne fois pour toutes."

 Le musicien sent ses forces morales et physiques l'abandonner. "Depuis longtemps, esclave las, je songe à fuir". Pouchkine

 

Boris Pasternak dédicace courageusement un de ses livres à Chostakovitch.

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7 Les dernières convulsions et la mort du Tsar 1953

 

Mars 1949. Chostakovitch est convoqué par Molotov, aux affaires étrangères, pour participer à New York à une conférence mondiale pour la paix. Il décline ou plutôt il tente de décliner car il se sent en mauvaise forme physique. Le 16 mars 1949, il reçoit un coup de fil lui annonçant que Staline allait l'appeler. Staline lui téléphone pour savoir pourquoi il refuse une mission aussi importante. Chostakovitch lui répond qu'il ne peut y aller en tant qu'auteur de musique interdite, de même que certains de ses collègues. Staline perd contenance, il feint l'ignorance. On ne vous joue pas ? Comment ça ? Il promet d'y remédier et prend des nouvelles de sa santé. Chostakovitch lui dit qu'il va mal, qu'il a des nausées. Staline lui répond qu'il va demander aux meilleurs médecins de lui faire passer des examens médicaux. Après les examens et les soins, Staline fait ordonner à Chostakovitch de partir aux États-Unis et l'ordre interdisant l'exécution des œuvres formalistes est annulé. Les bureaucrates qui avaient exécuté cet ordre reçoivent un blâme pour arrêté illégal.

L'idylle prit fin brutalement. En mars 1949 en pleine guerre froide a lieu la conférence de Waldorf. Aux États-Unis une délégation antisoviétique est financée par la CIA. À l'intérieur de cette délégation se trouvent des artistes russes. Un duel dégradant a lieu entre Nabokov le musicien, frère de Nabokov l'écrivain, et Chostakovitch, otage de Staline, obligé de tenir son rôle de partisan du communisme soviétique. Chostakovitch fut désormais considéré en Occident et pendant 30 ans comme le porte-parole de Staline.

au 1959, Chostakovitch se rendre à Varsovie, toujours contraint et forcé par le pouvoir soviétique, pour une nouvelle conférence pour la paix. Il retire alors la prise de son casque pendant les interventions des conférenciers. Il jugera sévèrement Picasso qui adhère au régime soviétique en toute liberté. Revenons au début des années 1950. Staline procède à un lavage de cerveau organisé. Obligation d'étudier le marxisme-léninisme avec fiches de lecture et examens de contrôle. On désigne un instructeur pour Chostakovitch avec cours particuliers à domicile. L'instructeur remarque qu'il n'y a pas de portrait de Staline chez Chostakovitch. Chostakovitch trouve une parade : il n'est qu'un ver de terre comparé à Staline, il ne se juge pas digne d'avoir son portrait dans son bureau…

Chostakovitch a toujours pris la défense des Juifs dès 1933 avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler puis en 1938. Il se fait défenseur de la musique juive, il se sent profondément en communauté de destin en ces temps de persécution.

6 mars 1953 : mort de Staline. Enterrement grandiose, larmes générales. Pour Chostakovitch c'est le soulagement mais ce n'est pas l'euphorie. Il craint un durcissement et de plus Prokofiev est mort le même jour. Les deux musiciens se sont réconciliés lors de la campagne anti formaliste de 1948. "Je suis fier d'avoir eu la chance de travailler et de vivre à proximité de Prokofiev." Il accompagne le cercueil au cimetière, à contre-courant. Mais lui, Chostakovitch, est toujours vivant et toujours habité par la volonté de créer.

 

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Épilogue

 

Même après la mort de Staline tout ce que Chostakovitch a créé est inspiré par la tyrannie du "petit père des peuples". On le voit dans la 10ème symphonie. Les initiales du compositeur DSCH envahissent cette symphonie. Il sort victorieux du duel avec le thème musical de Staline. Vient une courte période de libéralisme avec Khrouchtchev : on parle d'un "incertain dégel". 

En 1958 Khrouchtchev désavoue avec prudence la résolution de Jdanov. Chostakovitch reconnaît cette bonne volonté mais Khrouchtchev montre aussi rapidement un visage de dictateur. Contrairement à Staline il ne connaît rien ni à Chostakovitch ni à Pasternak, et il n'est pas intrigué par le génie.

Chostakovitch aimait la vie publique. Ce n'était pas un reclus. Il aimait le peuple et le travail social. Il a été nommé premier secrétaire de l'Union des compositeurs de l'URSS en 1960. C'est un poste important. La ligue est composée de 500 compositeurs et musicologues. Il est également député de Léningrad depuis 1947.

 

 1960 est une année néfaste de nouveau (bissextile…). Il est obligé malgré lui d'adhérer au parti communiste. Il a cédé à la pression des autorités. Il entame une dépression, on le voit pleurer souvent, abuser de la vodka. Son 8ème quatuor écrit à ce moment-là est un commentaire musical de son état d'esprit. "Contre le sort, point de défense". (Pouchkine).

 Ce huitième quatuor et un requiem de l'auteur pour lui-même, comme le fit Tchaikovsky Avec sa 6ème symphonie. Chostakovitch avait déjà écrit un requiem en 1948 dans le film La Jeune Garde. On y trouvait une marche funèbre, la mort des héros, avec une allusion directe au compositeur. Dans ce quatuor se trouvent des citations et des auto-citations musicales, avec de nouveau une marche funèbre, la "mélodie des victimes du devoir". Les initiales DSCH sont de nouveau les unificateurs. Le quatuor est écrit en 3 jours, il s'agit d'une confession ardente à la russe, à la Dostoïevski.

 

La fin de la vie de Chostakovitch est de nouveau attristée par la politique : en 1973 Chostakovitch est un des signataires du manifeste contre les dissidents, en particulier Andreï Sakharov. Une fois de plus il a été embarqué contre sa volonté. Mais c'est considéré comme une faute lourde entraînant la sourde hostilité des dissidents et peut-être de l'Occident contre Chostakovitch. 

 

Le 14 août 1975 ont lieu les obsèques de Chostakovitch sur des poèmes de Tsetaïeva qu'il a mis en musique avant de mourir. Chostakovitch c'est l'art de survivre au pire des régimes tout en accomplissant malgré tout une œuvre de création.

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Europe 1, podcast du 8 août 2020 présenté par Laure Dautriche. Au coeur de l'histoire - Chostakovitch, le jouet de Staline. 20 mn.

Dans le milieu des années 1930, le compositeur russe Dimitri Chostakovich subit les foudres de Staline. Il est à la fois compositeur officiel du régime mais est aussi victime permanente de la censure. Dans cet épisode de la série spéciale de "Au Cœur de l’Histoire" dédiée aux liens surprenants entre la musique et la politique, produit par Europe 1 Studio, Laure Dautriche vous raconte comment le musicien est devenu le jouet personnel du petit père des peuples.

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