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STALINE : TRAITS DE CARACTÈRE

En famille
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Premier mariage

 

La première femme de Staline, Ekaterina Svanidzé dite « Kato », qu’il ne voyait qu’épisodiquement , meurt du typhus[réf. nécessaire] ou de la tuberculose en 1907, quatre ans seulement après leur mariage. À ses funérailles, Staline aurait confié à un ami que « cette créature adoucissait mon cœur de pierre. Elle est morte et, avec elle, les derniers sentiments d’affection que pouvaient m’inspirer les êtres humains », puis, désignant son cœur, « C’est vide à l’intérieur. » . Pendant les Grandes Purges, la belle-famille de Staline, après avoir partagé des années son quotidien au Kremlin, est arrêtée puis exécutée avec son accord : Aliocha Svanidze et sa femme Maria Svanidze seront fusillés en 1941. Kato avait eu un fils, Iakov Djougachvili, que Staline ne vit pas avant son adolescence , l’ayant confié à la famille de sa mère décédée . Iakov était un garçon timide, souffre-douleur de son jeune demi-frère Vassili, jaloux de lui, mais il était le préféré de sa demi-sœur Svetlana. Un tic crispait régulièrement son visage ce qui exaspérait Staline. Après un mariage raté avec Zoïa Gounina, fille d’un pope, Iakov tenta même de se suicider avec une arme à feu à cause de l'incroyable dureté de son père envers lui, mais il ne fit que se blesser, Staline se contentant de déclarer : « Dire qu’il n’a même pas su viser juste. » . Iakov servit dans l'Armée rouge et fut capturé par les Allemands en juillet 1941. Ayant l'habitude de considérer les prisonniers comme des traîtres et de soumettre leurs familles à des représailles, Staline fit arrêter pendant quelque temps la jeune femme de son fils. Sa sœur Svetlana s’était vivement opposée et a sauvé sa fille Galina quand Staline voulait l’envoyer à Dietskiï Dom . En 1943, Staline refusa de l'échanger contre le Maréchal Friedrich Paulus, capturé par l'Armée rouge lors de la bataille de Stalingrad : « Un lieutenant ne vaut pas un général », aurait-il dit ; selon d'autres sources, il aurait répondu à cette offre : « Je n'ai pas de fils. » Le rapport officiel indique que Iakov s'est suicidé en se jetant contre une barrière électrique du camp de concentration de Sachsenhausen. Si les circonstances exactes de sa mort n'ont pas été entièrement élucidées, la thèse du suicide n'est cependant guère controversée.

Deuxième mariage

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La seconde femme de Staline, Nadejda Alliloueva, meurt le 9 novembre 1932. Elle se suicida au moyen d'une arme à feu (une balle dans le cœur) après une querelle avec Staline, laissant une lettre qui selon sa fille était « en partie personnelle, en partie politique ». Officiellement, elle mourut de maladie. Le dossier médical de Nadia, conservé par Staline et disponible aujourd'hui, révèle qu'elle souffrait de dépression et de solitude, son mari n'ayant plus guère de temps libre à lui consacrer, comme il le reconnut dans les années 1950 . Militante bolchévique fervente, et bien que des amis fréquentés à l'université l'aient mise au courant des horreurs de la dékoulakisation et de la famine sévissant en Ukraine, il n'est plus certain aujourd'hui qu'une opposition à la politique de son mari ait été la raison principale de son suicide, comme on le supposait traditionnellement . Il est certain, toutefois, que la connaissance que Nadia avait de l’état du pays alimentait certains conflits conjugaux, d’autant plus que Nadia, hypersensible, était confrontée à un mari confinant à l’insensibilité : en une occasion, Nadia jeta à la figure de son mari « Tu es un bourreau, voilà ce que tu es ! Tu tourmentes ton propre fils, ta femme, le peuple russe tout entier. » . Les tensions empirèrent avant son suicide ; Staline confia par exemple à Khrouchtchev qu’il lui arrivait de s’enfermer dans une pièce pendant que Nadia hurlait et tambourinait à la porte : « Tu es un homme impossible. Il est impossible de vivre avec toi ! » . Sa mort aurait profondément affecté Staline, qui n’aurait jamais réellement fait son deuil : il se serait reproché, jusqu’à sa mort, de n’avoir pas été présent pour elle . Il évoque ce point jusqu’à la fin avec amis et famille, s’entourant de photographies d’elle et renonçant à la danse . Les funérailles de Nadia sont d’ailleurs l’une des rares occasions où il pleure ouvertement ; il tente brièvement de noyer son chagrin dans l’alcool, puis reporte rage et désespoir sur ses ennemis d’alors . Simon Sebag Montefiore voit dans ce drame personnel la cause de son durcissement ultérieur, une « transformation radicale de son caractère […] tarissant en lui ses dernières sources de sensibilité, redoublant sa brutalité, sa jalousie et sa tendance à s’apitoyer sur lui-même » .

Avec ses enfants

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Le couple a deux enfants : un fils, Vassili, et une fille, Svetlana Allilouieva. En outre, Staline et Nadia adoptent Artiom Sergueïev, fils d’un autre révolutionnaire, en 1921 . Choqué par le suicide de sa mère (il a alors 13 ans) et marqué par son enfance très particulière dans un foyer familial gardé par les agents du NKVD, Vassili est un adolescent dissolu et fugueur, travaillant mal à l'école, puis s'adonnant vite à l'alcoolisme. Il s'élève dans les rangs de l'armée de l'air soviétique où son père l'a poussé à s'engager, bien que Vassili n'ait pas de réel intérêt pour les forces aériennes de l'Armée rouge . Il se bat — plutôt bien — pendant la guerre et, grâce à son père, obtient d'importantes promotions. À la mort de Staline, Vassili est interné quelque temps par Beria . Il meurt officiellement d'alcoolisme en 1962 ; ce point est parfois débattu. Il laisse à Staline quatre petits enfants : Alexandre (1941-2017) devenu metteur en scène du Théâtre académique central de l'Armée russe, et une fille Nadejda (1943-1999) de son mariage avec Galina Aleksandrovna Bourdonskaïa (1921-1990), et Vassili (1949-1972) et Svetlana (1947-1989) de son mariage avec Iekaterina Semionovna Timochenko (1923-1988), la fille du maréchal de l'Union soviétique Semion Timochenko. Svetlana a une relation privilégiée avec son père, celui-ci étant très attentionné vis-à-vis d'elle pendant son enfance, au contraire des sentiments qu'il manifeste envers ses fils. Après la mort de Nadia, Staline reporte son affection sur leur fille. Leur relation est un temps d’une affection débordante — Svetlana admit être « son chouchou […] [j]e comprends maintenant que c’était un père très aimant » — mais finit par devenir étouffante pour Svetlana. Les amis qu'elle a en grandissant sont pour certains d'origine juive, ce qui aurait confirmé Staline dans son idée d'infiltration de son entourage par les milieux sionistes. En 1943, il l'oblige à rompre sa relation avec un cinéaste juif, Alexis Kapler, de vingt-quatre ans plus âgé qu'elle, et envoie celui-ci au Goulag. La distance avec son père se creuse encore plus après son mariage avec un juif, Grigori Morozov, que Staline refuse de voir, ainsi que leur fils Iossif Morozov . Un grand choc pour Svetlana est la découverte, en lisant en 1942 un article dans une revue anglaise, que sa mère n’est pas morte d’une crise de l’appendicite, mais d’un suicide . Conséquence de la dégradation croissante de leurs relations personnelles, Svetlana critique durement la politique de l'État et donc de son propre père après la fin de l'ère stalinienne , surtout après 1967 et sa fuite de l'Union soviétique . Une descendance de Staline subsiste aujourd'hui . En mars 2001, la chaîne russe privée NTV découvre un petit-fils auparavant inconnu vivant à Novokouznetsk. Iouri Davydov raconte à la NTV que son père l'avait informé de son lignage, mais, parce que la campagne contre le culte de la personnalité de Staline était à son apogée, lui avait dit de se taire. L'écrivain dissident Alexandre Soljenitsyne avait effectivement mentionné l'existence d'un fils de Staline né en 1918, durant l'exil de Staline en Sibérie du Nord.

Apparence

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« Tout petit, cauteleux, peu sûr de lui, cruel, nocturne et d'une méfiance perpétuelle, Staline paraît tout droit sortir de la Vie des douze Césars de Suétone, plutôt qu'appartenir à la vie politique moderne. » C'est ainsi que l'historien Eric Hobsbawm présente Staline dans son livre consacré à l'histoire du « court vingtième siècle » . Simon Sebag Montefiore dit quant à lui qu’il est « de petite taille (1,67 m), râblé, la démarche pesante mais rapide, les pieds tournés en dedans » et qu’il était « renommé pour son impénétrabilité de sphinx et sa modestie flegmatique » . Il avait le visage grêlé par une variole infantile, les deuxième et troisième orteils gauches palmés, et le bras gauche atrophié « sans doute à la suite d’un accident de voiture à cheval » .

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Traits de caractère

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Montefiore résume la personnalité de Staline en un blocage émotionnel . Alors qu’il était parfaitement capable de sentiments d’amitié, d’amour et de tristesse, ces derniers étaient généralement masqués par l’impénétrabilité, la brusquerie, la colère et la paranoïa qui dissimulaient sa sensibilité, laquelle ne ressortait que par moments, dans ses loisirs ou à la suite de drames . Il était ainsi réputé pour son tempérament instable et son caractère imprévisible. Nikita Khrouchtchev le qualifia d’homme aux multiples visages, et Lazare Kaganovitch dit de lui qu’il était « un homme différent suivant les moments » et avoir « connu au moins cinq ou six Staline » . Rancunier et patient, il fit chuter plusieurs potentats des années après que ces derniers fussent simples témoins d’évènements gênants pour lui ; ainsi, Avel Enoukidzé, parrain de Nadia et qui fut le premier potentat témoin de la scène de son suicide, fut-il en partie tué pour cette raison lors des Grandes Purges. Sa brutalité occasionnelle était également bien connue : ainsi déclare-t-il ouvertement à des fonctionnaires qu’il leur « briserait les os », et demande-t-il à l’occasion à Molotov de tout « inspecter et vérifier en cassant quelques gueules » . Névrosé et parfois hystérique, il tendait à considérer toute critique comme un affront personnel, se lamentant sur les attaques contre lui que ses luttes de pouvoir provoquaient . Ce trait de caractère commença à s’afficher au grand jour lors de la dékoulakisation, que Staline fut forcé de mettre en pause sous la pression de ses camarades avec son article « Le vertige du succès » ; c’est à cette occasion que Staline commença à voir doute et déloyauté chez ses camarades, et commença à réfléchir à la mise en place de son pouvoir absolu . Opportuniste et rusé, il tend à saisir chaque occasion de faire avancer ses projets ; ainsi, voulant faire monter Beria en grade, il profite du chaos de la famine pour le promouvoir, arguant que Beria « résout les problèmes alors que le Politburo se contente de gratter du papier ! » . Égocentrique, il pouvait également se montrer paranoïaque : pendant les obsèques de Nadia, alors qu’il était assommé de chagrin et reprochait à sa femme de l’avoir « abandonné comme un ennemi », il prit la peine d’affirmer qu’il ne se trouvait pas avec elle lors de son suicide, cherchant manifestement à se faire un alibi pour éviter toute accusation de lien direct avec sa mort . Staline affiche également un côté charmeur ; capable de « susciter l’amitié comme personne » , il cultive une apparence sereine et une amabilité qui « vous faisait sentir que désormais un lien [vous] unissait [à lui] pour toujours ». Cette apparence avenante va jusqu’à infliger au futur maréchal Joukov une insomnie après sa première rencontre avec lui ; Churchill dit, après la conférence de Téhéran, que « Staline peut être si désarmant quand il le veut » . Il veille à la vie de son entourage parfois jusqu’au moindre détail, cédant son appartement à son hôte Mikoïan parce qu’il lui plaisait ou couchant lui-même le fils de Beria , constituant ainsi « une noblesse de type féodal dont les privilèges dépend[ent] totalement de sa loyauté » . Il se montre également très proche des enfants, les promenant en limousine ou donnant aux siens, selon une tradition caucasienne, un peu de vin ; cela met régulièrement en fureur Nadia, alors que Staline en plaisante : « Tu ne sais pas que c’est un médicament ? » . De nombreuses sources font état du sens de l’humour particulier de Staline, parfois espiègle, volontiers noir et cruel. Confronté à la tentative de suicide de son fils Yacha, qui n’avait fait que se blesser légèrement, Staline railla : « Dire qu’il n’a même pas su viser juste. » . Il répliqua à Ivan Issakov, qu’il venait de nommer commissaire à la Marine, que son unijambisme n’était pas un problème : vu que la marine avait été « commandée par des gens sans tête, une jambe n’est pas un handicap » . Il aimait également citer les satires de Mikhaïl Zochtchenko à propos des bureaucrates communistes, pour les conclure par « C’est là que le camarade Zochtchenko s’est souvenu de la Guépéou et a changé la fin ! » . Cet humour cynique transparaît dans les nombreuses annotations dont il couvrait livres et documents, se contentant souvent d’un commentaire sarcastique « Ha-ha-ha ! » . Concernant ses rapports avec les femmes, Staline flirtait parfois ouvertement, faisant montre d’une « traditionnelle chevalerie géorgienne altern[ant] avec une goujaterie puérile quand il avait bu » ; il était également, voire davantage, courtisé par elles. Molotov dit que les femmes « raffolaient de lui » et était impressionné par ses « succès » féminins. Les archives personnelles de Staline contiennent de nombreux courriers d’admiratrices, auxquelles il cédait parfois ; il se plaignit par ailleurs que les femmes de sa belle-famille « ne le laissaient pas tranquille parce qu’elles voulaient toutes coucher avec lui ». Cette situation ne faisait qu’exacerber la jalousie maladive de sa seconde femme Nadia .

 

Mode de vie

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Ses loisirs sont ceux de monsieur Tout-le-monde. Il apprécie le jardinage, notamment les agrumes, et désherbe avec ses visiteurs, qu’ils le veuillent ou non . Il aime les expéditions en pleine nature avec les autres potentats, canotant, chassant, pêchant et mangeant sur un feu de camp autour duquel ils chantent et se racontent des histoires drôles ou des souvenirs prérévolutionnaires . Il aime la musique et le chant, entonnant avec les autres dirigeants des airs paysans, cosaques, orthodoxes, paillards ou d’opéra, et affirme au président Truman que « la musique est une excellente chose : elle empêche l’homme d’être ravalé au rang de la bête ». Selon plusieurs témoins, Staline a une belle voix de ténor, parfaitement posée, rare et douce, et aurait pu être chanteur professionnel. 

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Staline n'a quitté la Russie qu'exceptionnellement et ne connaissait que le géorgien et le russe, et encore ne parlait ce dernier qu’avec un fort accent géorgien . Après 1929, il vit cloîtré au Kremlin, étant un dirigeant invisible qu'on ne voit en public qu'à de rares occasions. Son temps s'écoule entre son bureau et sa datcha de Kountsevo, près de la capitale, avec l'été des vacances à Sotchi, au bord de la mer Noire. Staline vit en décalage temporel : dans les années 1930, il ne se levait que vers onze heures et déjeunait autour de 15-16 heures, avec la famille étendue et des membres du Politburo, le tout avec « un sens de l’hospitalité recherché, à la manière orientale » . Vers la fin de sa vie, il se couchera à l'aube et se lèvera l'après-midi, utilisant la soirée et la nuit pour travailler, puis festoyer avec ses courtisans . Il impose dès lors son rythme d'existence à ses proches collaborateurs, et de là à d'innombrables fonctionnaires de Moscou et d'URSS, à tous les échelons. Dévoré par la passion du pouvoir, il mène un train de vie spartiate et n'a jamais semblé intéressé par le luxe et l'argent que ce pouvoir absolu pouvait lui offrir : lui et Nadia étaient régulièrement à court d’argent . Il préfère dormir sur un sofa que dans un lit — comparant cette habitude spartiate à celles de Nicolas I er — , s’agace d’être surnommé le « maître » — khozaïn — par ses subordonnés et, lorsqu’il découvre que de nouveaux meubles ont été installés dans son appartement, réagit avec colère, exigeant que les meubles soient enlevés et le responsable puni . S'il saoule fréquemment son entourage au cours de nuits festives parfois quasi-orgiaques, lui-même reste en réalité fort sobre et se sert de ces banquets comme moyen de contrôle politique, l'alcool déliant les langues. Ainsi, en 1935, le diplomate français Alexis Leger, secrétaire général du Quai d'Orsay, alors présent à Moscou avec Pierre Laval, le président du Conseil français, constate que Staline se fait verser de la vodka depuis un carafon personnel qui, en réalité, contient de l'eau. Il utilise d’ailleurs très tôt ces repas comme des réunions de travail, y prenant des décisions sur la gestion du pays . Sa personnalité difficile s’accompagne de problèmes récurrents de santé, notamment des dents gâtées depuis ses séjours en Sibérie , des angines chroniques et des rhumatismes, ainsi qu’une amygdalite qui se déclenchait lorsqu’il était stressé . Cet état n’arrangeait pas son moral et inquiétait sa « Tatochka », tout comme sa tendance à garder des vêtements d’été en hiver . Pour soigner ses maux qui le complexaient, il prenait régulièrement les eaux comme les autres dirigeants, avec lesquels il échangeait très souvent des informations sur sa santé et ses cures .

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Comportement et pouvoir

 

Soucieux de tout contrôler dans les moindres détails, il pratique l'intervention directe dans des affaires de tout degré d'importance. Le moindre général au front, le moindre directeur d'usine ou de kolkhoze, le moindre écrivain pouvait un jour entendre son téléphone sonner avec Staline en personne au bout du fil. La moindre lettre de citoyen soviétique, la moindre demande d'aide — ou la moindre dénonciation — pouvait obtenir une réponse manuscrite de Staline en personne, qui était souvent « Je suis prêt à vous aider et à vous recevoir. » ; cette proximité affichée contribuait à renforcer l'image d'un dirigeant omnipotent et proche des gens, mais aussi à tenir en inquiétude les responsables de tout ordre. Il intervient jusqu'au physique de ceux qui l'entourent, décidant par exemple subitement que Lazare Kaganovitch ou Nikolaï Boulganine doivent se raser la barbe — Staline rase personnellement le premier, et le second s'en tire en conservant un bouc . Il veille également jalousement à la santé des autres dirigeants, les forçant à prendre les eaux et à se reposer . Staline avait une tendance à commenter les documents échangés et à donner sous la table des billets comportant divers commentaires, dont la teneur était parfois scatologique ; ainsi félicita-t-il Kliment Vorochilov par ces mots : « Un dirigeant mondial, TU L'AS ENCULÉ ! J'ai lu ton rapport — tu critiques tout le monde — TU LES AS ENCULÉS ! » . Staline était un bourreau de travail — « Un vrai bolchevik ne devrait pas avoir de famille parce qu'il devrait se donner totalement au Parti. » — ; il avait conservé de son passé de conspirateur une mémoire prodigieuse et travaillait fréquemment jusqu'à 16 heures par jour . Même en vacances à Sotchi, alors que Molotov ou Kaganovitch assument officiellement ses fonctions, les documents s'entassaient et le courrier lui arrivait quotidiennement par avion depuis Moscou . Cela permettait à Staline de conserver son influence : tout en affirmant à Molotov pouvoir répondre à « autant de question qu['il le] veut » , il se plaignait parfois également de ne pouvoir « des décisions sur toutes les questions possibles et imaginables soulevées au Politburo. Vous devriez être capables de les étudier et d'y répondre vous-mêmes ! » . Il possédait également un talent vulgarisateur, étant capable de composer en un seul essai des textes, articles ou télégrammes diplomatiques, subtils mais clairs sur des problèmes complexes . S'appuyant sur une masse de nouveaux documents et témoignages, l'ouvrage de Montefiore souligne également la part d'humanité troublante que l'un des pires despotes du XX e siècle pouvait conserver. Comme le décrit l'historien britannique, le même homme qui détruisit froidement des millions d'existences savait aussi être un très bon mari sincèrement accablé par l'énigmatique suicide de sa femme, un père attentionné et un ami chaleureux. Surtout jusqu'aux Grandes Purges de 1937, il règne sur son entourage plus par ses capacités de charme que par ses colères ou la terreur qu'il inspirera surtout sur la fin. Pour Montefiore, ni fou ni paranoïaque, Staline, « ayant pour seule priorité son propre rôle historique », suit toujours une réelle rationalité politique même dans ses plans répressifs ou son appui aux théories les plus démentes — comme le lyssenkisme en biologie ou le réalisme socialiste dans l'art — pour peu qu'ils puissent renforcer son pouvoir. Il tient compte, dans ses décisions et son comportement, de tout ce qui peut renforcer son autorité : il garde des vêtements reprisés au lieu de les changer, sachant que cet ascétisme « renfor[ce] son autorité naturelle » . Molotov et Anastase Mikoïan analysent la dépression initiale de Staline, lors du déclenchement de l'opération Barbarossa, comme une « pose » qu'il avait prise, afin de renforcer son pouvoir en « pouss[ant] le Politburo à le réélire » . De même, à l'approche de la bataille de Moscou, Staline diffère longuement sa décision de quitter ou non la ville, avant de se ressaisir. Un témoin le signale marchant le long des rails, près d'un train prêt à l'évacuer, en une « scène mélodramatique » : « Si elle s'était produite, l'image de cette silhouette amaigrie, au « regard usé et désemparé », flottant dans son grand manteau râpé et ses bottes, marchant le long des rails sur une voie pratiquement déserte, hormis quelques gardes lourdement armés, dans le silence troublé par les jets de vapeur de la locomotive, aurait indéniablement été porteuse d'une forte charge émotionnelle. »

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