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APRÈS STALINE (1953-1975)

Le legs politique de Staline

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Le décès de Staline marque la confirmation de la « coexistence pacifique » sur le plan international, tout comme elle entraîne vite une vague d'événements en URSS et dans le bloc soviétique. En Union soviétique, une direction collégiale se met en place, dominée un temps par Lavrenti Beria qui contrôle toujours l'appareil policier et certains ministères stratégiques. Beria se transforme paradoxalement en champion de la libéralisation : il relâche les accusés du « complot des blouses blanches » en reconnaissant que leurs « aveux » ont été extorqués par la torture, et amnistie dès le mois de mars près d'un million de condamnés de droit commun qui sortent alors du Goulag.

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Le stalinisme n'est pas pour autant renié encore officiellement. Dans le bloc de l'Est, la mort de Staline entraîne un soulèvement contre le régime à Berlin-Est et en RDA à partir du 16 juin, donnant l'espoir d'une réunification allemande rapide, mais le mouvement est sévèrement réprimé.

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Après une longue période de flottement, qui se solde entre autres par l'exécution du chef du KGB Lavrenti Beria, Nikita Khrouchtchev arrive à la tête du pays. En 1956, l'URSS rompt officiellement avec le stalinisme au cours du XXe congrès du Parti communiste de l'Union soviétique. En 1961, le corps embaumé de Staline est retiré du mausolée de Lénine et Stalingrad devient Volgograd. Les rescapés du régime stalinien sont libérés du Goulag et la réhabilitation globale des victimes de Staline, initiée par Khrouchtchev, stoppée sous Brejnev, est relancée sous Gorbatchev et achevée après la dislocation de l'URSS. Hélène Carrère d'Encausse a qualifié la déstalinisation enclenchée en 1956 à la lecture du « rapport secret » de Khrouchtchev de « deuxième mort de Staline ».

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En revanche, les successeurs de Staline ne réforment pas le système économique et social hérité de son règne, malgré ses défauts de plus en plus évidents (bureaucratisme, pénuries chroniques, sous-productivité, absence d'initiative personnelle, coût écologique, déséquilibre des branches au profit d'une industrie lourde de moins en moins adaptée à l'évolution historique, etc.). L'effondrement des régimes d'Europe de l’Est (1989) et la désintégration de l'URSS (1991) achèveront l'agonie de la structure du système économique soviétique près de 35 ans plus tard. Après 1961, seules la République populaire de Chine de Mao Zedong, la Corée du Nord de Kim Il-sung et l'Albanie d'Enver Hodja continuent à se réclamer ouvertement de Staline, et ce jusqu'à la mort de Mao Zedong en 1976.  

Chostakovitch après Staline

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Même après la mort de Staline, le dogme du réalisme socialiste règne toujours en maître. Mais les premiers indices de changement se manifestent, et de nombreuses œuvres de Chostakovitch vont peu à peu reprendre place dans la vie musicale : les Chansons juives et le Premier Concerto pour violon sont ainsi créés en 1955, plus de sept ans après leur composition. Chostakovitch reçoit le prix international de la paix en 1953.

Peu après, le compositeur traverse une période de crise : il éprouve du mal à composer des œuvres qui le satisfassent. Il est en outre confronté à la mort de sa femme Nina, fin 1954, ainsi qu'à celle de sa mère l'année suivante. Chostakovitch fête ses cinquante ans en 1956, année riche en événements : lors du XXe congrès du Parti communiste de l'Union soviétiqueNikita Khrouchtchev dénonce les crimes de Staline. Un vent de liberté parcourt toute l'URSS. Dmitri Chostakovitch est à nouveau réhabilité en 1958, avec la publication d'un décret du Parti sur la correction des erreurs commises en 1948. De nombreux musiciens, tels que ProkofievKhatchatourianChebalinePopovMiaskovski, sont également réhabilités.

Mais Chostakovitch n'arrive toujours pas à surmonter la faiblesse de son inspiration. Ainsi le Sixième Quatuor marque un net recul par rapport aux deux remarquables quatuors précédents. Le Deuxième Concerto pour piano, dédié à son fils Maxime, voit le jour en 1957. L'année suivante, Chostakovitch reçoit le prix Lénine pour sa monumentale Onzième Symphonie.

Chostakovitch sort de sa longue crise d'inspiration en 1959 avec la composition de son Premier Concerto pour violoncelle, écrit pour Rostropovitch. Il compose ensuite son Septième Quatuor à cordes ainsi qu'un cycle vocal, dédié à Galina Vichnevskaïa, l'épouse de Rostropovitch, Les Satires. À l'été 1960, lors d'un séjour à Dresde, Chostakovitch écrit, en trois jours seulement, son Huitième Quatuor à cordes, qui reste l'un de ses chefs-d'œuvre.

Le 15 septembre 1960, l'agence Tass publie un communiqué annonçant la candidature de Chostakovitch au Parti. Il s'agissait d'une inévitable proposition du Kremlin à la suite d'une remarque directe d'un journaliste américain, l'année précédente à New York, constatant que le seul membre de la délégation soviétique à ne pas être encarté était Chostakovitch. Cependant beaucoup de ses amis se détournent de lui, comme Chebaline. En février, le compositeur achève sa Douzième Symphonie.

Le XXIIe Congrès du Parti, en octobre 1961 marque une nouvelle étape dans les transformations intervenues depuis la mort de Staline. On assiste çà et là à des événements d'une portée capitale, comme l'arrivée de Leonard Bernstein et de l'Orchestre de New York dès 1959, ou le retour d'Igor Stravinsky en 1962, après cinquante ans d'absence. Un événement musical inattendu se produit : le 30 décembre 1961, l'Orchestre philharmonique de Moscou placé sous la direction de Kirill Kondrachine donne pour la première fois la Quatrième Symphonie de Chostakovitch.

Au printemps 1962, Chostakovitch compose sa Treizième Symphonie, sur des textes d'Evgueni Evtouchenko. Le théâtre Stanislavski et Némirovitch Dantchenko de Moscou met en répétition Lady Macbeth de Mzensk, qui a changé de titre pour devenir Katerina Ismaïlova. En 1964, il écrit ses Neuvième et Dixième Quatuors à cordes, puis s'attèle à un poème vocal et instrumental sur un fragment poétique d'Evtouchenko, L'Exécution de Stépane Razine.

En octobre 1964, on assiste à la chute de Khrouchtchev et la nouvelle équipe au pouvoir resserre l’emprise du Parti sur la société.

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Dernières années

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En 1966, année des soixante ans du compositeur, des concerts solennels sont organisés dans le monde entier en son honneur. En février, il compose son Onzième Quatuor, puis en avril son Deuxième Concerto pour violoncelle, dédié à Rostropovitch. Le 28 mai 1966, Chostakovitch participe comme pianiste à un concert consacré à ses œuvres. C'est la dernière fois qu'il joue en public. Dans la nuit, il est frappé d'une crise cardiaque, et reste plusieurs semaines à l'hôpital. Cet infarctus est le premier indice de délabrement d'une santé déjà fragile : dès la fin des années 1950, Chostakovitch avait ressenti les premiers symptômes d'une paralysie de la main. Son état de santé l'oblige à mener une vie plus calme, et il doit renoncer à l'alcool et aux cigarettes. En décembre 1966, lors d'un nouveau séjour à l'hôpital, il se plonge dans la poésie d'Alexandre Blok, d'où il tirera un curieux cycle de Sept Romances.

Le Second Concerto pour violon, dédié à David Oïstrakh, est créé à l'automne 1967. En mars 1968, Chostakovitch achève son Douzième Quatuor à cordes dans lequel, pour la première fois, il utilise le langage dodécaphonique. On retrouvera cette technique dans son œuvre suivante, la Sonate pour violon et piano.

Le compositeur passe les mois de janvier et de février 1969 de nouveau à l'hôpital. Il lit beaucoup et se prend de passion pour des poèmes de Baudelaire, d'Apollinaire et de Rilke qui lui inspireront sa Quatorzième Symphonie dédiée à Benjamin Britten. Il s'agit de la première de plusieurs œuvres de Chostakovitch qu'on peut interpréter comme un adieu à la vie.

En juin 1970, il compose son Treizième Quatuor à cordes. Au début de l'année suivante, il se met à composer sa Quinzième Symphonie, qui sera créée à Moscou en janvier 1972, sous la direction de son fils Maxime Chostakovitch. Le 17 septembre 1971, il subit un nouvel infarctus.

Les dernières années de la vie de Chostakovitch coïncident avec celles de l'ère Brejnev, période durant laquelle le régime se durcit. Des mouvements d'opposition émergent toutefois, avec à leurs têtes Soljenitsyne et Sakharov. Parmi les musiciens, Rostropovitch est le seul à rejoindre les rangs de l'opposition. Chostakovitch n'a pas les moyens de se révolter contre la situation politique. Le jour où la Pravda lui demande de signer une pétition condamnant Andreï Sakharov, le compositeur et sa femme s’arrangent pour ne pas être présents quand le coursier apporte le texte. Le lendemain, la signature de Chostakovitch est cependant dans le journal.

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Après l'achèvement de sa Quinzième Symphonie, il n'écrit plus une note pendant un an et demi. L'inspiration d'un grand compositeur russe par la musique juive, est un cas unique dans l'histoire de la musique russe. Il reprend des thèmes de la musique klezmer. L'influence de ses deux élèves juifs au Conservatoire de Leningrad, Benjamin Fleischmann et Youri Levitine, peut être avancée. Le spectre de la mort rôde autour de lui et lui enlève beaucoup de ses amis proches. Au printemps 1973, il reprend le dessus et écrit son Quatorzième Quatuor à cordes puis Six Romances sur des poèmes de Marina Tsvetaïeva. À la fin de l'année, on diagnostique chez lui un cancer.

Au printemps 1974 naît le Quinzième Quatuor à cordes, suivi d'une autre œuvre majeure, la Suite pour basse et piano sur des poèmes de Michel-Ange. En avril 1975, lors d'un séjour dans une maison de santé, Chostakovitch écrit un cycle de mélodies dédié à Nesterenko : Quatre poèmes du capitaine Lebiadkine pour basse et piano, sur des textes de Dostoïevski. Il compose ensuite sa dernière œuvre, la Sonate pour alto et piano, terminée en juillet et dédiée à Fiodor Droujinine, altiste du quatuor Beethoven.

Admis à l'hôpital, Chostakovitch meurt le 9 août 1975. Les funérailles ont lieu le 14 août et l’ensevelissement a lieu au Cimetière de Novodevitchi. La création de la Sonate pour alto et piano a lieu le 25 septembre 1975, jour de l'anniversaire du compositeur.

En 1976, on lui attribue à titre posthume le prix national Taras Chevtchenko pour son opéra Katerina Ismailova.

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