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QUATUOR N°8, QUATUOR À CORDES

Le Quatuor à cordes no 8 en ut mineur (opus 110) est une œuvre de musique de chambre composée par Dmitri Chostakovitch en 1960. Il s'agit de l'une des œuvres les plus connues et jouées du compositeur russe, dont certains thèmes furent par ailleurs réutilisés par Chostakovitch dans d'autres compositions.

Historique

Depuis 1959, Chostakovitch souffrait de poliomyélite et se rendit près de Dresde, officiellement pour écrire la musique du film Cinq jours et cinq nuits, plus officieusement pour des traitements. Impressionné par le spectacle de la ville dévastée, il écrivit le quatuor en trois jours, du 12 au 14 juillet 1960. L'œuvre est dédiée « aux victimes de la guerre et du fascisme ». Dans ses mémoires cependant, il écrit à propos de la partition :

« On la qualifia d'office de dénonciation du fascisme. Pour dire cela il faut être à la fois sourd et aveugle [...] j'y cite Lady Macbeth, la Première symphonie, la cinquième, qu'est-ce que le fascisme a à voir avec cela ? [...] dans ce même quatuor je reprends un thème juif du 2e trio... »

Enfin, ce quatuor fut écrit juste après l'adhésion (très tardive et sous la pression) du compositeur au Parti communisteLev Lebedinsky dira d'ailleurs : « Le quatuor fut écrit immédiatement après qu'il rejoignit le Parti communiste - et ceci, pour Chostakovitch, équivalait à la mort même. » Le 8ème quatuor fut créé le 2 octobre 1960 par le Quatuor Beethoven.

Ce quatuor a également été orchestré par Roudolf Barchaï, en 1967 et renommé avec l'accord de Chostakovitch Symphonie de chambre.

DSCH - BACH, épithaphe, chant révolutionnaire, thème juif et do mineur : "Une sacrée salade !"

DSCH : le motif (ré-mi bémol-do-si) correspond aux initiales, en transcription allemande, de D. SCHostakowitsch – signature musicale ouvertement revendiquée par le compositeur et qui l’accompagnera post mortem, puisqu’elle figure sur sa tombe dans le cimetière moscovite de Novodevitchi. Outre le fait que le DSCH comporte deux notes communes avec le célèbre BACH, il est entièrement compréhensible dans une tonalité donnée, en l’occurrence celle de do mineur.

Précisément, cette tonalité est celle du 8e Quatuor op. 110, écrit à Dresde en trois jours 

(du 12 au 14 juillet 1960). Eu égard à l’omniprésence du DSCH, il se voit souvent qualifié de 

« quatuor autobiographique », à commencer par le compositeur lui-même qui évoque son 

séjour en Allemagne :

« Les bonnes conditions de travail ont porté leurs fruits : là-bas, j’ai composé le 8e

quatuor. J’avais beau me casser la tête à écrire la musique du film [5 jours, 5 nuits], pour le moment je n’y suis pas arrivé. À la place, j’ai composé ce quatuor idéologiquement condamnable, et dont personne n’a besoin. Je me suis dit que si je mourais un jour, personne ne songerait à écrire une œuvre à ma mémoire. Aussi ai-je décidé de l’écrire moi-même. On pourrait mettre sur la couverture : « Dédié à la mémoire de l’auteur de ce quatuor. » Le thème principal du quatuor sont les notes D. Es. C. H. c’est-à-dire mes initiales (D. Ch). J’y ai utilisé des thèmes de mes différentes compositions et le chant révolutionnaire « Victime de la terrible prison ». Mes thèmes sont les suivants : ceux de la 1ère et de la 8e symphonies, du trio, du concerto pour violoncelle, de Lady Macbeth. Je fais aussi allusion à Wagner (« La marche funèbre » du Crépuscule des Dieux) et à Tchaïkovski (le 2e thème du 1er mouvement de la 6e symphonie). Oui : j’ai oublié aussi ma 10e symphonie. Une sacrée salade. »

Structure

L'exécution dure environ 20 minutes :

  1. Largo

  2. Allegro molto

  3. Allegretto

  4. Largo

  5. Largo

Son monogramme musical DSCH y est nettement prédominant, en l'état ou transposé ; il côtoie un certain nombre de thèmes empruntés à d'autres œuvres :

  • dans le premier mouvement, des références aux Symphonie n°1 et Symphonie n° 8,

  • dans le second mouvement, un thème juif déjà énoncé dans le Trio avec piano n° 2,

  • dans le troisième mouvement, le thème du Premier Concerto pour violoncelle,

  • dans le quatrième mouvement, le thème russe puis l'aria « Seryozha mon amour » du quatrième acte de l'opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk.

Le motif-signature apparaît au tout début de l'œuvre, comme une sorte de lamentation fuguée, qui se poursuit en élégie contemplative. Ce caractère hors du temps de la musique est interrompu par l'Allegro, au rythme effréné. Ensuite, le motif est transformé en une mélodie de valse sardonique. Il revient dans le quatrième mouvement (Largo), plein d'émotion et dans lequel les violons dialoguent en un duo serein, suivi du thème de Lady Macbeth du district de Mtsensk joué par le violoncelle. Après quoi, les instruments les plus graves entonnent solennellement la mélodie d'une vieille marche funèbre russe, Le Chant des martyrs (un air favori de Lénine, qui date des années 1870, et fut chanté lors de ses funérailles). Le Largo final reprend avec un désespoir intense le matériau du premier mouvement, qui finit par s'évanouir dans un silence désespéré.

Anecdote

Mstislav Rostropovitch a raconté que rentrant d'une série de concerts, Chostakovitch lui fit écouter un enregistrement des répétitions du 8ème Quatuor par le Quatuor Beethoven. « Enfin, j'ai écrit une œuvre que je voudrais qu'on joue à mon enterrement », lui aurait-il confié en larmes.

La musique populaire juive, une source d'inspiration

Il ne faut pas non plus oublier l'amitié très intime qui lie Chostakovitch depuis 1943 avec le compositeur juif Mieczyslav Weinberg, dont les parents jouaient dans les théâtres yiddish de Varsovie. Chostakovitch a connu Weinberg en lisant une de ses symphonies et a alors demandé à le rencontrer. La musique de Weinberg sera évidemment pour lui une source de premier ordre. La musicologue Nelly Kravets a de ce point de vue mis en évidence un lien entre les Mélodies populaires juives de Chostakovitch et le cycle de Mélodies juives op. 17 de Weinberg.

En outre, Weinberg a épousé Nathalie Mikhoels, la fille du grand acteur juif Solomon Mikhoels. Durant la Seconde Guerre mondiale, celui-ci avait été président du comité anti-fasciste juif qui avait fait une grande tournée aux États-Unis pour récolter des fonds afin de participer au frais de financement des tentes et des avions que livrait l'Amérique. Après la guerre, Mikhoels a estimé qu'il méritait une récompense, et a écrit une lettre proposant de créer une république autonome juive en Crimée ; Lénine avait lui-même accordé en 1924 la création d'une république autonome des Allemands de la Volga. Mais la demande de Mikhoels est alors très mal reçue, si bien qu'il est assassiné le 12 janvier 1948 sur ordre de Staline.

Chostakovitch, très proche de Weinberg, est alors certainement très impressionné par ces événements, d'autant que pratiquement au même moment, entre le 10 et le 12 janvier, ont lieu au Kremlin les fameuses séances avec Jdanov pendant lesquelles sa musique fait l'objet de condamnation pour cause de formalisme. Or, après cette période, le compositeur écrira jusqu'en 1955 plusieurs ouvrages avec des thèmes juifs : le 1er concerto pour violon, le 4e quatuor, les Mélodies sur la poésie populaire juive, qu'il garde cachés jusqu'à la mort de Staline. Ces années consacrent le début de sa grande période juive qui s'achèvera sur la 13e symphonie. Hormis en 1964, dans le 9e quatuor dédié à sa femme Irina Antonovna qui est elle-même d'origine juive, on ne trouvera plus d'allusion directe de Chostakovitch à la musique juive jusqu'à sa mort en 1975.

Alta Musica, Entretien avec Frans Lemaire, 2006

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