"Le texte en évidence"
"La particularité de Poulenc, c'est de mettre le texte en évidence"
Jean Cocteau, Journal, novembre 1944
Francis Poulenc et les poètes
"La musique vocale occupe une place primordiale au catalogue de l'œuvre de Poulenc, dont l'inspiration était particulièrement stimulée lorsqu'elle était sollicitée par un texte littéraire. De fait, l'amour conjugué du musicien pour la poésie et pour la voix, joint à son sens aigu de la prosodie, en fait l'un des plus grands compositeurs de mélodies du 20e siècle, auteur en outre d'œuvres lyriques et chorales. Francis Poulenc avait une prédilection particulière pour la poésie et la littérature de son temps: sur près de 140 mélodies composées, une vingtaine seulement ne fut pas inspirée par des poèmes contemporains. Il affirmait d'ailleurs : «Je ne me sens musicalement à l'aise qu'avec les poètes que j'ai connus». Dès 1917, ce jeune musicien de 18 ans avait déjà rencontré Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Jean Cocteau, Paul Éluard, Louis Aragon, André Breton, Léon-Paul Fargue, André Gide, Paul Claudel, Paul Valéry, ayant eu l'occasion d'entendre certains d'entre eux lire leurs propres œuvres dans la célèbre librairie d'Adrienne Monnier, rue de l'Odéon."
Myriam Chimènes, Francis Poulenc et les poètes. Vingtième Siècle, revue d'histoire Année 1996 Volume 49 Numéro 1 pp. 146-148
La figure d'Adrienne Monnier.
Le 15 novembre 1915, Adrienne Monnier ouvre la librairie La Maison des Amis des Livres, au 7 rue de l'Odéon, à Paris (6e arrdt) qui fait également office de bibliothèque de prêt et où elle organise des séances de lecture publique.
Elle accueille de nombreux écrivains : Paul Fort, Paul Valéry, Pascal Pia, Jules Romains, James Joyce, Louis Aragon, Ezra Pound, Charles Vildrac, Georges Duhamel, Ernest Hemingway, Jacques Lacan, Francis Scott Fitzgerald, Léon-Paul Fargue, André Gide, Walter Benjamin, Nathalie Sarraute, Valery Larbaud, André Breton, Jacques Prévert et des musiciens, notamment Francis Poulenc et Erik Satie. Elle est voisine et compagne de Sylvia Beach, dont la librairie Shakespeare and Company s'installe un temps au 12 rue de l'Odéon.
En 1919, Satie compose sa Marche de Cocagne pour l'almanach de cocagne des éditions de La Sirène, qui deviendra l'hymne des « Potassons », ainsi s'appellent les membres de la librairie.
En 1929, Adrienne Monnier publie la première traduction en français du roman de James Joyce, Ulysse. En 1922, Sylvia Beach en avait publié l'édition originale.
Elle est la sœur de l'artiste brodeuse Marie Monnier. Elle se suicide le 19 juin 1955.
Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (Apollinaire et Dufy, 1911, Poulenc 1919)
«Si l'on mettait sur ma tombe : ci-gît Francis Poulenc, le musicien d'Apollinaire et d'Eluard, il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire»
Le Bestaire ou Cortège d'Orphée, est un hommage de Poulenc à Apollinaire en 1919, un an après le mort du poète.
Le Bestiaire, extraits avec Poulenc au piano, 1928
(Entre autres)
Le paon
En faisant la roue, cet oiseau,
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.
Poulenc avait rencontré Apollinaire une dizaine de fois et il affirmait : « Chose capitale, j'ai entendu le son de sa voix. Je pense que c'est là un point essentiel pour un musicien qui ne veut pas trahir un poète».
(Sous le Pont Mirabeau, poème et voix d'Apollinaire)
Poulenc et Eluard
"Paul Éluard eut une influence déterminante sur l'œuvre de Poulenc à qui il inspira de nombreuses mélodies et œuvres chorales. Le musicien, qui connaissait le poète depuis 1917, attendit pourtant près de vingt ans pour le mettre en musique, redoutant sa «prosodie pleine de pièges». «Se jetant à l'eau» en 1935, il mit en un mois cinq de ses poèmes en musique : «À partir de ce jour, Eluard devint, avec Apollinaire, mon collaborateur le plus familier. Je lui dois d'avoir enfin trouvé un style lyrique auquel j'aspirais depuis longtemps». Pour sa part, Éluard se montra comblé par le résultat; dans un poème intitulé «À Francis Poulenc», on relève ces vers : « Francis je ne m'écoutais pas / Francis je te dois de mentendre».
Cette collaboration est évoquée notamment à travers le manuscrit autographe de Main dominée par le cœur, mélodie composée en 1946, la partition du Travail du peintre, dont la couverture est illustrée par Picasso et celle de «Liberté», extrait de Figure humaine, cantate composée en 1943, d'après la publication clandestine de Poésie et vérité en 1942.
La cantate Liberté (1943), extrait de Figure humaine de Poulenc, sur le fameux poème d'Eluard
(Laurence Equilbey, Accentus)