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Francis POULENC (1899-1963)

"Je suis un musicien sans étiquette"

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Archive du 13 septembre 1945

Francis POULENC, filmé chez lui, transpose au piano " Figure humaine ", cantate pour choeur qu'il composa sur des poèmes écrits par Paul Eluard en 1943.

 

A deux ans, le petit Francis Poulenc se voit offrir un piano laqué blanc à sa taille, qu'il surnomme son "do-ré-mi". Doué d'un talent multiforme, cet amoureux de la musique deviendra l'un des grands compositeurs français du XXe siècle, même s'il dit de lui-même : "Je ne suis pas un musicien Cubiste, encore moins Futuriste, et bien entendu pas Impressionniste. Je suis un musicien sans étiquette."

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Nous avons la chance de pouvoir l'écouter se raconter à travers les entretiens qu'il eut en 1953-1954 avec le musicologue Claude Rostand.

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Fils de famille, orphelin héritier à dix-huit ans, Francis Poulenc peut consacrer sa vie à la composition musicale. Dans ce domaine, son enfance est marquée par l'admiration qu'il voue au talent de pianiste de sa mère et par sa fascination pour Stravinsky. Sa biographie se confond avec ses oeuvres et leurs représentations, dans des demeures propices à l'inspiration et les tournées des plus grandes capitales. Mais cette vie toute musicale tire son inspiration d'une passion pour la vie littéraire et artistique de son époque, avec une fréquentation assidue de tous les contemporains qui ont compté dans les périodes foisonnantes de l'avant-garde à l'après-guerre.

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Sa musique est spirituelle aux deux sens du terme : pleine de verve et de fantaisie comme le prouve son oeuvre profane, ses mélodies en particulier, elle s'inscrit dans la grande tradition de la musique religieuse  avec un répertoire étoffé (Stabat Mater, Gloria, Litanies de la Vierge Noire, Dialogues des Carmélites). Poulenc dans sa vie comme dans son oeuvre se définit comme un Janus à deux faces, "à la fois moine et voyou" selon le mot de Claude Rostand.

Une grande amie d'enfance : Raymonde Linossier

 

"Amie de Poulenc et de Fargue, Raymonde Linossier a laissé un seul roman de trente lignes qu'admirait Ezra Pound. Sa vie d'une discrétion exemplaire fut entourée de mystères.

Tandis que certains suent sang et eau dans l'espoir, vain souvent, de passer à la postérité, le viatique de Raymonde Linossier se compose d'un simple roman de trente lignes, ou à peu près, dont la réputation ne faiblit pas. Réimprimé sous le manteau parfois, officiellement aussi, ce petit texte fut encore récemment repris par les éditions Tarabuste lorsqu'elles songèrent à expédier leurs voeux avec grâce pour l'année 2003. C'est peu dire que Bibi-la-bibiste est une oeuvre brève. Brève aussi la liste des connaissances dont on disposait sur son auteur, au point que certains de ses éditeurs ont répété des informations un peu faisandées. Il faut reconnaître que la vie de Raymonde Linossier fut en effet, selon la formule de Sylvia Beach, la libraire américaine du Paris de l'entre-deux-guerres, " 5 % études de droit, 95 % restaient cachés ". Ses proches eux-mêmes n'en connaissaient souvent qu'un bout.

En 1999, dans un volume collectif consacré à Francis Poulenc Music, Art and Literature (UK, Ashgate Publishing), Sophie Robert nous en a enfin appris plus que la vulgate courante. En centrant ses recherches sur la librairie d'Adrienne Monnier, La Maison des Amis des Livres, bien connue des lecteurs de Joyce, Larbaud ou Fargue, S. Robert a glané des faits de belle importance.
Raymonde Linossier est née à Lyon, le 25 mars 1897, dans une famille bourgeoise. Son père est un fameux biochimiste, professeur à la faculté de médecine, dont les filles, à l'exception de Raymonde, épouseront des médecins prometteurs. Aide-infirmière pendant la guerre de 1914, Raymonde Linossier reprend le chemin des études avec sa soeur Alice et s'installe à Paris où elle entre au barreau en janvier 1926. Elle devient l'assistante de maître Chanvin, autre ami d'A. Monnier, mais cède à d'autres désirs : l'orientalisme la tente mieux et c'est en membre de la Société asiatique qu'elle entre au service photographique du Musée Guimet en 1926. Elle va y oeuvrer sur la Bibliographie de l'archéologie bouddhique ou la Mythologie asiatique de Paul-Louis Couchoud.
Voilà donc une part de son existence. Les autres, car il y en a d'autres, auront été le féminisme et ses amitiés artistiques. En ce qui concerne le féminisme, il reste trace de sa participation au Conseil National des Femmes et Sylvia Beach se souviendra que ses études de droit avaient pour but de défendre les prostituées. Curieux paradoxe de cette jeune femme qui choisissait de côtoyer le monde interlope des amours vénales mais masquait à sa famille ses relations littéraires. Il est vrai que certaines pages d'Ulysse dont elle sera un temps la dactylographe, avaient choqué pour la remercier, Joyce glissera son prénom dans l'épisode Circé (p. 582 de l'édition Pléïade).
Adrienne Monnier a évoqué à plusieurs reprises la jeune beauté qui lui apparut un jour d'octobre 1917 dans une robe noire et ne se départit jamais de son mystère. On trouve sa trace dans Les Gazettes et puis dans Rue de l'Odéon. Léon-Paul Fargue laissera pour sa part un superbe texte d'hommage à celle qu'il avait surnommé " La Violette noire " : "Quand je pense à Raymonde Linossier, écrit-il, et Dieu sait si je pense à elle, à chaque instant, entre toutes sortes d'événements et de paysages, elle a si bien tenu sa place dans notre vie à tous, une place singulière, où elle s'amusait avec tant de bon sens, avec un si gai savoir (...) quand je pense à elle, elle ne m'arrive pas de l'autre côté. " (D'après Paris, in Le Piéton de Paris).
Parmi ces amis, Francis Poulenc aura été le plus proche. C'est à Vichy que les Linossier avaient rencontré les Poulenc. Raymonde et Francis sont donc des amis d'enfance, ils resteront de joyeux complices. Tout au long de la courte vie de Raymonde Linossier, ils échangeront des correspondances cryptées qui disent assez l'amitié étroite, si ce n'est parfaite. Puis, un beau jour de juillet 1928, Francis Poulenc demandera sa main par le curieux détour d'une lettre à sa soeur. Il lui aura aussi dédié Les Biches, un ballet " érotique " dont la première fut donnée à Monaco, le 4 janvier 1924, avec les Ballets russes de Diaghilev.
La Violette noire, elle, avait dédié à Poulenc sa Bibi-la-bibiste en 1918. Apothéose du " Bibisme ", mouvement pétillant à tendance potachique plutôt que protodadaïste, ce joli petit texte dans le goût de Pierre-Albert Birot fut publié à compte d'auteur et imprimé par Paul Birault que connaissent les lecteurs d'Apollinaire , à l'usage des " potassons ", ainsi que se surnommait la petite bande folâtre des clients d'Adrienne Monnier. Alors, sans détruire tout à fait le suspense de ce roman terrible, citons tout de même son premier chapitre : " Sa naissance fut semblable à celle des autres enfants./ C'est pourquoi on la nomma Bibi-la-Bibiste ". Et concluons avec l'ultime : " Dans un lit d'hôpital s'éteignit Bibi-la-Bibiste. Comme Marie sa patronne, comme Jehanne d'Arc, elle était vierge. Mais sa fiche portait la mention "Syphilitique"./ Ô puissance magique d'un regard amoureux ! "
Raymonde Linossier, quant à elle, disparaît soudainement le 30 janvier 1930 dans des circonstances inconnues. Elle repose au cimetière de Valence. Le jour de ses obsèques, Francis Poulenc dépêcha une messagère chargée de déposer dans le cercueil, aux côtés de l'amie enfuie, le manuscrit des Biches. Gage d'amour d'un homme qui, lors de ses déplacements, n'omit jamais d'emporter une photo de sa belle Potassonne et ne se séparait jamais du porte-cigarette qui lui avait appartenu."

 

Eric Dusser (Le Matricule des Anges. Une violette noire et discrète)

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Raymonde Linossier, Le Roman de Bibi-la-Bibiste, un roman en 30 lignes dédié à Francis Poulenc. 1920

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à Francis Poulenc

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Bibi-la-Bibiste
(Roman)
par les Sœurs X...


 

Que celui d'entre vous qui est sans péché
lui jette le première pierre. — (Jean — viii, 7)

 

Chapitre Premier - Enfance

 

 

Sa naissance fut semblable à celle des autres enfants.
C'est pourquoi on la nomma Bibi-la-Bibiste
(Ceci fut l'enfance de Bibi-la-Bibiste)

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Chapitre Deuxième - Adolescence

 

Le sang coulait rouge dans ses artères ; le sang coulait noir dans ses veines.
(Telle fut l'adolescence de Bibi-la-Bibiste)

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Chapitre Troisième - Amour

 

 

A seize ans, elle travaillait dans un atelier.
— Aïe ! mon nez me démange ! s'écria-t-elle.
— C'est un vieux qui t'aime, répondirent ses compagnes, interrompant leur chanson.
Une violente émotion la saisit. Son cœur fit volte-face dans sa poitrine.
(Telles furent les amours de Bibi-la-Bibiste)

 

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Chapitre Quatrième - Déception

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Elle sortit.
Dans la rue populeuse, les vieux messieurs passaient, nombreux. Bibi-la-Bibiste les examinait de son regard anxieux. Mais aucun ne répondit à son appel. Un seul lui lança un coup d'œil enflammé, et il était jeune !
Ne voulant pas s'opposer aux desseins mystérieux de la Fatalité [2], Bibi-la-Bibiste poursuivit son chemin.
 (Et ceci fut la déception de Bibi-la-Bibiste)

 

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Chapitre Cinquième - Rideau

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Dans un lit d'hôpital s'éteignit Bibi-la-Bibiste. Comme Marie sa patronne, comme Jehanne d'Arc, elle était vierge. Mais sa fiche portait la mention « Syphilitique ».
Ô puissance magique d'un regard amoureux !
(Et ceci est le dernier et le plus tragique chapitre du roman de Bibi-la-Bibiste)

Ma bibliothèque idéale, par Francis Poulenc

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Gallimard, éditeur de ce témoignage instructif (Pour une bibliothèque idéale, 1950), nous apprend que c'est l'écrivain Raymond Queneau qui mit en place cette enquête auprès de nombreux écrivains et hommes célèbres avec pour objectif de constituer leurs "bibliothèque idéale".

Seul musicien à avoir joué le jeu, Poulenc s'illustre comme un homme profondément pétri de littérature, et en particulier comme un esprit particulièrement ouvert aux écrits de son temps, qu'ils soient d'inspiration poétique, dramatique, policière, catholique ou surréaliste.

Voici sa liste, découpée – c'était son choix - en deux parties : les livres que je souhaiterais posséder, les livres que je détesterais posséder.

 

Les livres que je souhaiterais posséder 1. Paul Claudel Cinq Grandes Odes 2. Jean Cocteau Le Cap de Bonne-Espèrance 3. Opéra 4. Les enfants terribles 5. Portraits souvenirs 6. Théâtre 7. Colette Tout 8. Léon Daudet Souvenirs 9. Debussy Monsieur Croche antidilettante 10. Desnos Corps et biens 11. Paul Eluard Tout 12. Léon-Paul Fargue Tout 13. René Ghil Le Pantoun des Pantoun 14. Jean Giraudoux Provinciales 15. Théâtre 16. Julien Green Adrienne Mesurat 17. Léviathan 18. Max Jacob Saint-Matorel 19. Le cornet à dés 20. Le laboratoire central 21. Le cabinet noir 22. Marcel Jouhandeau Chroniques maritales 23. Jacques de Lacretelle Silbermann 24. Valery Larbaud A.O. Barnabooth 25. Enfantines 26. Ce vice impuni, la lecture 27. Sous l'invocation de saint Jérôme 28. Maurice Leblanc Les aventures d'Arsène Lupin 29. Gaston Leroux Chéri-Bibi 30. Le mystère de la chambre jaune 31. Le parfum de la dame en noir 32. Jacques Maritain Réflexions sur l'intelligence et sur la vie propre 33. François Mauriac Préséances 34. Le baiser au lépreux 35. Génitrix 36. Le noeud de vipères 37. Le Mystère Frontenac 38. Charles Maurras Enquête sur la Monarchie 39. Henri Michaux Tout 40. Montherlant Les célibataires 41. Paul Morand Ouvert la nuit 42. Fermé la nuit 43. Benjamin Péret Le grand jeu 44. Raymond Radiguet Le Diable au corps 2 45. Le bal du Comte d'Orgel 46. Poèmes 47. Reverdy Tout 48. Jacques Rivière A la trace de Dieu 49. Simenon Liberty Bar 50. Les inconnus dans la maison 51. Le voyageur de la Toussaint 52. Supervielle Gravitations 53. Le Voleur d'Enfants 54. Paul Valéry Tout 55. Maurice Baring Daphne Adeane 56. Elizabeth Bowen Les cœurs détruits 57. La maison à Paris 58. Chesterton Le nommé jeudi 59. Le Napoléon de Notting-Hill 60. Connan Doyle Le chien des Baskerville 61. Les aventures de Sherlock Holmes 62. Thomas Stearns Eliot Poèmes 63. Meurtre dans la Cathédrale 64. William Faulkner Tandis que j'agonise 65. Lumière d'août 66. Thomas Hardy Tess d'Uberville 67. Jude l'Obscur 68. Aldous Huxley Contrepoint 69. Rosamond Lehmann Poussière 70. Katherine Mansfield Journal 71. Lettres 72. La mouche 73. Georges Bernard Shaw Théâtre 74. Lytton Strachey Victoriens éminents 75. Albert Dürer De la Proportion des parties du corps humain 76. Goethe Poèmes 77. Drames 78. Faust 79. Werther 80. Elégies Romaines 81. Hermann et Dorothée 82. Les affinités électives 83. Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister 84. Les années de voyage de Wilhelm Meister 85. Vérité et Poésie 86. Le Divan oriental-occidental 87. Correspondance avec Schiller 88. Schiller Poèmes 89. Les Brigands 90. Wallenstein 91. Don Carlos 92. Johann Paul Richter Titan 93. Hespérus 94. Von Arnim Contes bizzares 95. Friedrich de La Motte-Fouqué Ondine et autres Contes 96. Kleist La cruche cassée 97. Le Prince de Hombourg 98. Catherine de Heilbronn 99. Friedrich Hoelderlin Hypérion 100. Poèmes 101. Nikolaus Lenau Poésies 102. Faust 103. Don Juan 104. Heinrich Heine Intermezzo 3 105. Le Livre des Chants 106. Le Romancero 107. Les Poésies nouvelles de voyage 108. Croquis 109. Nietzsche Origine de la Tragédie 110. Le Gai Savoir 111. Ainsi parlait Zarathoustra 112. Par delà le Bien et le Mal 113. Hofmannsthal Le Chevalier à la Rose 114. Rilke Livre d'Heures 115. Nouveaux Poèmes 116. Garcilaso de la Vega Poèmes 117. Ignacio de Loyola Exercices spirituels 118. Sainte Thérèse d'Avila Tout 119. Saint Jean de la Croix Tout 120. Gongora Sonnets 121. Cervantès Tout 122. Lope de Vega Comédies 123. Zorrila Théâtre 124. Calderon Théâtre 125. Francisco de Rojas Théâtre 126. Tirso de Molina Théâtre 127. Moratin Théâtre 128. Miguel de Unamuno Le sentiment tragique de la Vie

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Les livres que je détesterais posséder

1. Moréas Tout 2. Romain Rolland Tout 3. Rudyard Kipling Tout 4. Mary Webb Tout 5. Tristan Bernard Théâtre 6. Amants et Voleurs 7. Claudel L'œil écoute 8. Jean Giono Tout 9. H. R. Lenormand Théâtre 10. Jean-Paul Sartre Théâtre 11. Vlaminck Tournant dangereux

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