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Le Bal Masqué

Le bal masqué, cantate
Francis Poulenc (1899-1963)

Texte(s) de : Max Jacob (1876-1944)

 

Langue :français
Fin de création :04-1932

Note :

Cantate profane. - Sur des poèmes de Max Jacob, extraits du recueil "Le laboratoire central" (1921). - Dédicace au vicomte et à la vicomtesse de Noailles, commanditaires de l'oeuvre. - Dates de composition : février-avril 1932. - 1re exécution (privée) : Hyères, chez le vicomte de Noailles, le 20 avril 1932, par Gilbert Moryn (baryton), le compositeur (piano), sous la direction de Roger Désormière
Comprend : "Préambule et air de bravoure" (no 1) ; "Intermède" (no 2) ; "Malvina" (no 3) ; "Bagatelle" (no 4) ; "La dame aveugle" (no 5) ; "Finale" (no 6)

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 Air de bravoure

Madame la Dauphine, 
Fine, fine, fine, fine, fine, fine, 
Fine, fine, fine, fine. 
Ne verra pas, ne verra pas le beau film 
Qu'on y a fait tirer les vers du nez 
Car on l'a mené en terre avec son premier-né 
En terre et à Nanterre 
Où elle est enterrée. 

Quand un paysan de Chine 
Chine, Chine, Chine, Chine 
Veut avoir des primeurs 
Il va chez l'imprimeur 
Ou bien chez sa voisine 
Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, 
Tous les paysans de la Chine 
Les avaient épiés 
Pour leur mettre des bottines 
Tine! tine! 
Ils leurs coupent les pieds. 

M. le comte d'Artois 
Est monté sur le toit 
Faire un compte d'ardoise 
Toi, toi, toi, toi, 
Et voir par la lunette 
Nette! nette! pour voir si la lune est 
Plus grosse que le doigt. 
Un vapeur et sa cargaison 
Son, son, son, son, son, son, 
Ont échoué contre la maison. 
Son, son, son, son, 
Chipons de la graisse d'oie 
Doye, doye, doye, 
Pour en faire des canons. 

 Malvina

Voilà qui j'espère vous effraie 
Mademoiselle Malvina ne quitte plus son éventail 
Depuis qu'elle est morte. 
Son gant gris perle est étoilé d'or. 
Elle se tirebouchonne comme une valse tzigane 
Elle vient mourir d'amour à ta porte 
Près du grès où l'on met les cannes. 
Disons qu'elle est morte du diabète 
Morte du gros parfum qui lui penchait le cou. 
Oh! l'honnête animal! si chaste et si peu fou! 
Moins gourmet que gourmande elle était de sang-lourd 
Agrégé ès lettres et chargée de cours 
C'était en chapeau haut qu'on lui faisait la cour 
Or, on ne l'aurait eue qu'à la méthode hussarde 
Malvina, ô fantôme, que Dieu te garde! 

La dame aveugle

La dame aveugle dont les yeux saignent choisit ses mots 
Elle ne parle à personne de ses maux 

Elle a des cheveux pareils à la mousse 
Elle porte des bijoux et des pierreries rousses. 

La dame grasse et aveugle dont les yeux saignent 
Écrit des lettres polies avec marges et interlignes 

Elle prend garde aux plis de sa robe de peluche 
Et s'efforce de faire quelque chose de plus 

Et si je ne mentionne pas son beau-frère 
C'est qu'ici ce jeune homme n'est pas en honneur 

Car il s'enivre et fait s'enivrer l'aveugle 
Qui rit, qui rit alors et beugle. 

Final

Réparateur perclus de vieux automobiles, 
L'anachorète hélas a regagné son nid, 
Par ma barbe je suis trop vieillard pour Paris, 
L'angle de tes maisons m'entre dans les chevilles. 
Mon gilet quadrillé a, dit-on, l'air étrusque 
Et mon chapeau marron va mal avec mes frusques. 
Avis! c'est un placard qu'on a mis sur ma porte. 
Dans ce logis tout sent la peau de chèvre morte. 

Le Bal Masqué (1932 - Texte de Max Jacob)

Commentaire de Francis Poulenc

"Un jour qu'à Noizay j'étais de mauvaise humeur, Jacques Février me conseilla de jouer le Bal masqué en me disant : "tu verras, je te connais, cela ira mieux après". 
Comme le cher garçon avait raison ! C'est vrai, le Bal masqué me désarme. J'ai pour lui (toutes les tendresses, ) toutes les indulgences. Je suis certain qu'on n'aime pas véritablement ma musique si on le méconnait. C'est du Poulenc à cent pour cent. A une dame du Kamtchatka qui m'écrirait pour me demander comment je suis fait, je lui enverrais mon portrait au piano par Cocteau, mon portrait par Bérard, le Bal masqué et les Motets pour un temps de pénitence. Je crois qu'elle se ferait ainsi une idée très exacte de Poulenc-Janus. 
Le Bal masqué a été composé pour un "spectacle concert" organisé en 1932 au théâtre d'Hyères par mes amis Charles de Noailles. J'avais pour eux, en 1929,Aubade, dans la mélancolie et l'angoisse; je voulais cette fois prendre une joyeuse revanche. Dès l'automne 1931, j'établis le plan de cette cantate profane. Je n'avais que l'embarras du choix dans toute l'oeuvre bouffonne de Max Jacob.
Depuis longtemps "le Comte d'Artois" qui fait, sur un toit, son compte d'ardoises" me clignait de l'oeil et le "réparateur perclus de vieux automobiles" me fascinait. J'adoptai le premier pour l'air de bravoure et le dernier pour le final. 
"Malvina" et "la Dame aveugle", qui complètent la partie vocale, sont peintes d'après nature. La première "se tirebouchonne comme une valse tzigane", minaude, joue à la duchesse, le petit doigt en l'air, va au bal en bas bleu, ce qui lui est fatal; on lui parle de Nietzsche alors qu'elle aspirait simplement à être prise à la hussarde. 
Qui de nous n'a pas connu de telles prétentiardes, victimes de leurs concepts. J'ai beaucoup pensé, en écrivant "la dame aveugle", à une étonnante grosse rentière qui hantait, aux environs de 1912, l'île de Beauté à Nogent-sur-Marne. 
Elle habitait un chalet mi-suisse, mi-normand et passait ses journées à faire des réussites assise sur son perron, vêtue d'une robe de soie noire. Dans un fauteuil de rotin, à quelques pas d'elle, une manière de Landru, avec binocle, casquette de cycliste, lisait son journal. En découvrant dans Laboratoire Central le poème de Max Jacob, j'ai eu absolument l'impression de retrouver une vieille photo dans un album de campagne. 
En écrivant le Bal masqué, je parlais donc de choses que je connaissais. Il fallait maintenant trouver une optique spéciale pour faire passer la rampe à tout ce carnaval. 
C'est la seul de mes oeuvres où je pense avoir trouvé le moyen de magnifier une atmosphère banlieusarde qui m'est chère. Ceci grâce aux mots de Max, pleins de ricochets imprévus, et à la matière instrumentale que j'ai employée. 
Ici , la couleur souligne l'emphatique, le ridicule, le pitoyable, le terrifiant. C'est l'atmosphère des crimes en chromo du "Petit Parisien" des dimanches de mon enfance. 
"Quelle horreur !" s'écriait à cette époque la cuisinière de ma grand-mère, "encore un type qui a assassiné sa belle-sœur". Il se pourrait que la dame aveugle ait subi le même sort. (Pour toutes ces raisons spécifiquement françaises, ) j'ai cru pendant longtemps que le Bal masqué ne franchirait pas les frontières, jusqu'au jour où le public de Genève, en trépignant, a hurlé "bis" pour le final! Je suis certain maintenant que plus une oeuvre est authentiquement nationale, plus elle touche l'étranger. Le public, bien entendu, ne saisit pas toutes les nuances, mais perçoit, dans l'ensemble, la valeur ethnique de l'oeuvre. 
Pour l'interprétation du Bal, je redirai ce que j'ai tant de fois écrit au cours de ce Journal : le chanteur doit croire avant tout aux mots qu'il débite. Pas de réticences, pas de faux airs entendus, pas de clins d'oeil complices. 
Gilbert Moryn, qui a créé cette oeuvre, y était de premier ordre. Il n'aurait pas chanté Scarpia avec plus de conviction et plus de sérieux. 
Le final doit être ahurissant et presque terrifiant. C'est la clef de l'oeuvre et, pour moi, un portrait exact de Max Jacob par lui-même, tel que je l'ai connu lorsqu'il habitait la rue Gabrielle, à Montmartre en 1920. La partie de piano du Bal est capitale. Il faut la jouer en virtuose avec une palette très variée. Il faut mettre la pédale abondamment mais avec beaucoup de soin. Les rythmes , lents ou vifs, sont implacables.
Au bout de vingt minutes que dure le Bal masqué, le public doit être stupéfait et diverti comme les gens qui descendent d'un manège de la Foire du Trône."

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