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la Découverte du Nouveau Monde

La découverte de New York et de l'état d'esprit américain

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Installé aux USA, DvoÅ™ák voit ses craintes en partie confirmées. Cette métropole démesurée ne ressemble à rien qu'il ait jamais connu. Mais sa nature reste optimiste. En passionné de mécanique, il s'émerveille devant les locomotives de la Western Union et les puissants transatlantiques du Port de New York.

 

Il découvre aussi avec bonheur un certain état d'esprit qu'il juge proprement américain, "un patriotisme sans limite et la faculté de la plupart des Américains à s'enthousisamer", selon les impressions qu'il livre dans un article publié en février 1895, La Musique en Amérique, avec la collaboration de Mr Edwin Emerson Jr,

dans le Harper's New Monthly Magazine. En voici un extrait, traduit par Alain Chotil Fany sur le site MusicaBohemica

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"Les deux traits américains qui doivent impressionner l'observateur étranger, à mon avis, sont le patriotisme sans limite et la faculté de la plupart des Américains à s’enthousiasmer. Contrairement aux habitants plus réservés d'autres pays, qui n'affichent pas leurs sentiments, les citoyens de l'Amérique sont toujours patriotiques, et aucune occasion ne leur semble trop grave ou trop futile pour leur donner l'occasion d'exprimer ce sentiment.

 

Ainsi rien ne plaît davantage à l'Américain moyen, et en particulier à la jeunesse américaine, que de pouvoir dire que tel ou tel bâtiment, telle ou telle invention brevetée, représente ce qu'il y a de plus beau ou de plus grandiose au monde. Ceci, bien sûr, est dû à cette autre caractéristique - l'enthousiasme. L'enthousiasme de la plupart des Américains pour toutes les choses nouvelles est apparemment sans limite. Il est l'essence de ce qui est appelé "push" - l'ardeur américaine. Chaque jour, je rencontre cette qualité chez mes élèves. Rien ne les arrête. Dans les questions relatives à leur art, ils sont curieux à tel point qu'ils veulent aller au fond de toutes les choses à la fois. C'est comme si un garçon voulait plonger avant d'avoir pu nager.

 

Au début, quand je découvrais mes élèves américains, ce trait de caractère me déplaisait, et je m'efforçais de les intéresser à un sujet à la fois plutôt qu'à tout en même temps. Mais maintenant, j'apprécie cette façon de procéder, car je suis venu à la conclusion que cet enthousiasme juvénile et l'ardeur à s'intéresser à tout est la meilleure promesse pour la musique en Amérique. Je me souviens que la même opinion avait été exprimée par le directeur du conservatoire de Berlin [probablement Joseph Joachim, directeur de la Hochschule für Musik], qui, de son expérience avec les étudiants américains, avait prédit que l'Amérique dans les vingt ou trente ans serait devenu le premier pays musical.

 

Quoiqu'il en soit, ce n'est que lorsque les gens en général commenceront à s'intéresser aussi vivement à la musique et à l'art qu'ils le font déjà pour des questions plus matérielles que les arts s'imposeront. Laissez se développer l'enthousiasme des gens, et vous en recueillerez à coup sûr les fruits sous forme d'hommages à la patrie."



Mais il est avant tout subjugué par une découverte stupéfiante : la musique des Indiens et des Noirs est d'une beauté inimaginable.

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"Il me semble que le sol américain aura un effet bénéfique sur mes pensées, et je dirais presque que vous entendrez déjà quelque chose de cela dans cette nouvelle symphonie". (lettre à JindÅ™ich Geisler, début de l'année 1893)

L'inspiration folklorique et la musique des minorités

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DvoÅ™ák découvre surtout ces musiques grâce aux oeuvres de compositeurs blancs, comme les chansons populaires de Stephen Collins Foster, l'auteur de Swanee River ou Oh, Susanna ! Mais il écoute avec intérêt les chants de ses élèves Noirs.

C'est dans ce contexte qu'il commence, en janvier 1893, sa neuvième symphonie.
 

Le compositeur affirmait que cette symphonie est "essentiellement différente de mes œuvres précédentes", "peut-être un peu Américaine", et que "elle n'aurait jamais été écrite ainsi s'il n'avait jamais vu l'Amérique". Mais il a qualifié de "mensonge" l'affirmation selon laquelle il y ait introduit des mélodies authentiques américaines.

 Dans un article publié le 15 décembre 1893 dans le New York Herald Tribune, DvoÅ™ák s'explique en précisant en quoi la musique des Indiens d'Amérique a influencé sa symphonie : 

« Je n'ai utilisé aucune des mélodies indiennes. J'ai simplement écrit des thèmes originaux englobant les particularités de cette musique et, utilisant ces thèmes comme sujets, je les ai développés avec les moyens des rythmes modernes, contrepoints et couleurs orchestrales. »



Cela ne doit pas nous étonner, car l'esprit de cette symphonie s'inscrit totalement dans la continuité de ses compositions. DvoÅ™ák, simple musicien du peuple comme il aimait se décrire, est toujours resté proche de ses origines modestes. Son art s'est employé à capter la quintessence des musiques populaires pour produire des œuvres "dans le ton national". Placé en situation de connaître la musique américaine, c'est tout naturellement que DvoÅ™ák s'imprègne de ses spécificités. L'intérêt pour les airs de Foster est remarquable : le compositeur a eu l'intuition que cet auteur représentait dans ses chansons, souvent spirituelles et pleines de punch, quelque chose de l'âme musicale américaine.

DvoÅ™ák admirait les chants des Noirs et fut sans doute l'un des premiers à souligner la beauté des Spirituals. On peut aussi penser que leur nostalgie omniprésente lui rappelait sa propre douleur d'exilé volontaire. Et ce Tchèque, faisant partie d'une nation sous tutelle austro-hongroise, dépréciée par les Allemands, voyait peut-être dans la condition des Noirs un peu l'histoire de son propre pays.
 

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Le Chant de Hiawatha

Un élément essentiel pour comprendre l'état d'esprit de DvoÅ™ák au cours de sa prise de contact avec les Etats-Unis est le poème d'Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), "Le Chant de Hiawatha", une oeuvre connue depuis longtemps dans sa traduction tchèque par le musicien.


Ce long poème en vers libres est, avec les ouvrages de Fenimore Cooper, l'un des fondements de la "littérature d'inspiration indienne" du XIXème siècle. Il s'agit d'une œuvre évocatrice de la vie d'un Indien, Hiawatha. "Le Chant de Hiawatha" est une œuvre envoûtante, très imagée et émouvante, pétrie d'émerveillements panthéistes. DvoÅ™ák a indiqué que la Symphonie du Nouveau Monde, première des œuvres composées en Amérique, a été en partie inspirée par ce poème, précisément par les passages des danses (noces de Hiawatha) et, peut-être, des funérailles dans la forêt.
 

Mais on peut aussi se demander à quel point DvoÅ™ák n'a pas cherché à reproduire des procédés de l'écriture poétique de Longfellow, comme la répétition de certains vers qui donnent un véritable rythme musical au poème. DvoÅ™ák s'en est-il souvenu en répétant fréquemment les mêmes motifs mélodiques et rythmiques dans sa symphonie, lui conférant de la sorte une solide unité, mais aussi contribuant à lui donner cet inimitable parfum américain ?

Ainsi, le rythme du 3ème thème du mouvement initial correspond parfaitement à la prononciation du mot Hiawatha : les quatre syllabes "ha-ia-wa-tha" suivent un rythme appelé "scotch snap", formé selon une métrique "longue - brève - brève - longue".  Au retour de "l'aventure américaine", en 1896, DvoÅ™ák utilisera à la lettre la musique de la phrase parlée pour composer son fantastique poème symphonique Vodnik op. 107 (L'ondin, d'après un poème de Karel Jaromir Erben), cette fois sur les accents de sa langue natale.
 

Quant à l'œuvre de Longfellow, elle inspirera durablement DvoÅ™ák puisque le Tchèque pensera à plusieurs reprises à composer un opéra sur le chant de Hiawatha. Ce projet malheureusement inabouti porte le numéro de catalogue B 430.

Les Negro Spirituals

On raconte que le jeune Harry T. Burleigh, plus tard connu dans le monde entier pour son excellente voix de baryton, chantait des spirituals en nettoyant les salles du Conservatoire, ce qui attira l'attention du directeur du conservatoire. Le compositeur demanda à Burleigh de chanter pour lui. Burleigh raconte : "Je chantais très souvent nos chansons noires pour lui, et avant qu'il n'écrive ses propres thèmes, il se remplissait de l'esprit des anciens Spirituals." DvoÅ™ák le confirme : "Dans les mélodies noires d'Amérique je découvre tout ce qui est nécessaire à une grande et noble école de musique".

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Let my People go, chanté par Harry T. Burleigh, élève au Conservatoire de New York du temps où DvoÅ™ák en était le directeur. Enregistrement de 1919.

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Danses traditionnelles comanches. Canyon Texas
 

 Cake-Walks et Ragtimes. Scott Joplin 

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Le cake-walk ou cake walk est une danse populaire née parmi les Noirs de Virginie, pour imiter avec ironie l'attitude de leurs maîtres se rendant aux bals. Apparu vers 1870, il fut importé en Europe vers 1900 via le music-hall.

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Dans le sud des États-Unis, les esclaves disposaient de rares moments de détente. Le dimanche, ils profitaient parfois de l'absence des maîtres pour faire vivre ce qui leur restait de tradition africaine. Ces moments si rares comptaient beaucoup pour eux. Parfois, les colons conciliants assistaient à ces rendez-vous et récompensaient les meilleurs danseurs par un gâteau, d'où le nom de cake-walk (« marche du gâteau ») donné à ce type de danse syncopée, en forme de marche.

Claude Debussy composa en 1908 Golliwogg's cake-walk, pour piano, dans son Children's Corner. L'un de ses Préludes, titré Général Lavine - excentrique, est également « dans le style et le mouvement d'un cake-walk » (selon les mots de Debussy).

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Georges Méliès, réalisateur français, dénonça en 1903 les origines sinistres du Cake-Walk à travers un film intitulé Le Cake-walk infernal, qui mettait en scène un groupe de danseurs pratiquant le cake-walk en enfer.

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Le rythme du cake-walk fut repris par le ragtime, dont le premier maître incontesté fut Scott Joplin (1868-1917), avec les deux ragtimes qui assurèrent sa célébrité, Maple Leaf Rag (1899), et The Entertainer (1902).

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La Case d' l'Oncle Tom, 1903, film réalisé par Edwin S. Porter - Groupe et Solo de Cake-Walk (1903). Ragtime d'accompagnement : "Batty McFaddin" par Kevin MacLeod, 2012.

Maple Leaf Rag, enregistrement de Scott Joplin sur rouleau de piano, 1916.

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