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Vienne, toujours

Brahms quitte Hambourg, s’étant disputé avec son mécène et ami Theodor Avé-Lallemant, qui ne lui a pas accordé, au cours de l’année 1862-1863, le poste de directeur du Philharmonischen Konzerte qu’il convoitait, lui offrant simplement le poste de chef de chœur de l’académie de chant. Bien que Brahms n’ait jamais présenté officiellement sa candidature au poste, il restera profondément blessé que le chanteur Julius Stockhausen lui soit préféré. Ceci détériorera les relations amicales entre Brahms et Avé-Lallemant et précipitera son départ pour Vienne.

 

 

En 1862, il s'installe définitivement à Vienne. Brahms confie s’y sentir rapidement chez lui. Il se produit dans des programmes virtuoses : Bach, Beethoven, Schumann et joue aussi son Quatuor en sol mineur opus 25 avec le violoniste Josef Hellmesberger lors d’une soirée privée, qui dira ensuite de lui qu’il est le successeur de Beethoven (Das ist der Erbe Beethovens). Brahms n’affectionne que très peu cet encombrant compliment et craint d’être considéré comme l’égal de Beethoven.

 

En 1863, Brahms accepte de devenir le chef de chœur de la Singakademie (Académie de chant) de Vienne. Il marque tout de suite de son empreinte la vénérable structure, faisant jouer des maîtres anciens : Bach, Heinrich Isaac, Gabrieli, Schütz, ou modernes : l’Opferlied de Beethoven et le Requiem pour Mignon de Schumann. Mais, dès juillet 1864, il démissionne de son poste craignant que la lourdeur des charges administratives ne lui vole un temps précieux qu’il réserve à la composition et aux voyages : il passe en effet ses étés dans de beaux lieux de villégiature, comme Baden-Baden de 1865 à 1874, ou Ischl avec Johann et Adèle Strauss, ou Thun à partir de 1886, entre écriture et longues promenades, inspiré par le contact avec la nature et par les tendres sentiments qu'il voue à la jeune cantatrice Hermine Spies, rencontrée dans le cadre enchanteur du Lac de Thun. "La mort d'Hermine en 1893 le laisse pétrifié, longuement muet, devant le télégramme. " (Isabelle Werck)

En 1870, il rencontre le chef d’orchestre Hans von Bülow qui jouera un rôle majeur dans la diffusion de sa musique.

 

À cette époque, Brahms est un pianiste couronné de succès et gagne bien sa vie. Toutefois, il prend la direction de la Société des Amis des Arts de Vienne (Wiener Singvereins) de 1872 à 1875. 

« Aux approches de la cinquantaine, Brahms s'était laissé pousser la barbe et apparaissait désormais tel que le représente l'iconographie classique. L'embonpoint aidant, son côté « gros ours » s'en trouvait accentué. La physionomie ouverte était bien celle d'un bon vivant, gros mangeur, franc buveur et grand amateur de cigare et de café, doué d'une santé de fer et d'une résistance peu commune. Sportif à sa manière, il plongeait au petit matin dans les eaux glacées du lac de Starnberg et couvrait à pied des distances invraisemblables. En société, c'était un boute-en-train d'une bonne humeur inaltérable, partout accueilli à bras ouverts, bien que son franc-parler eût parfois la dent dure. Ses tourments intimes, il les gardait pour lui et les exorcisait par la musique, avec la pudeur qui caractérisait toutes ces actions et principalement les bonnes. Anton Dvorak qui végétait misérablement à Prague n'a jamais caché ce que sa carrière ultérieure devait à la générosité de Brahms. Mais bien d'autres personnes -on ne le sut  qu’après sa mort, avaient bénéficié d'une pareille munificence » (Marc Vignal)

« Une chose qui, chez Brahms, m'enchante autant que sa bonne humeur, disait Hanslick trois ans avant sa mort, c'est son étonnante santé. A soixante ans, il ne se souvient pas d'avoir été une seule fois malade dans toute sa vie. Il marche comme un étudiant, et dort comme un enfant. » Et Widmann raconte que, lorsqu'il le recevait chez lui, c'était, certes, une joie pour tous, mais aussi une fatigue : car son étonnante vitalité, physique et morale, finissait par surmener tout le monde autour de lui. Dès l'aube il fallait l'accompagner dans de longues courses à travers la campagne ; après quoi c'étaient les séances de musique, les repas, les visites, de nouveau la promenade ; puis le soir les causeries interminables, les discussions, les projets, les enthousiasmes, les plaisanteries, tout cela jusqu'assez tard dans la nuit ; et après avoir dormi quelques heures, n'importe où, n'importe comment, au besoin sur un sofa, Brahms était prêt à recommencer; et il réveillait ses amis de bon matin pour une nouvelle journée aussi bien remplie que la précédente." (Paul Landormy)

Générosité du tempérament ! Générosité du coeur aussi. Parmi ces personnes, on peut citer Caroline, la deuxième femme de son père lorsqu'elle fut devenue veuve, Amalie l'ex-femme de Joachim, et Clara Schumann elle-même à la fin de sa vie :

"Il est certain que sous ce corps qui devint épais et qui eut des exigences très prosaïques, se cachait une âme douce, tendre et timide, une âme d'enfant. La correspondance de Brahms avec Clara Schumann nous la révèle en partie. Nous savons quels rapports affectueux il entretint avec sa belle-mère et avec quelle délicatesse il ne se contentait point de lui assurer le nécessaire, mais l'obligeait encore à accepter de l'argent pour ses plaisirs et pour ceux de son fils : il paya ainsi plusieurs fois de beaux voyages à « l'autre Fritz » {le fils que Caroline avait eu d'un premier mariage portait le même prénom que son propre frère}. Il fut le plus fidèle et le plus dévoué des amis. Lors d'un de ses séjours en Italie, un de ses compagnons s'étant cassé la jambe, il n'hésita pas à rester auprès de lui jusqu'à complet rétablissement. Sa bourse fut toujours ouverte aux artistes qu'il savait dans l'embarras. Un jeune musicien manquant un jour de l'argent nécessaire pour faire monter un opéra qu'il avait composé, Brahms lui envoya la somme désirée avec ce simple mot : « Pour moi, je n'en ai pas besoin. Vous me la rendrez à l'occasion, si vous le pouvez! » (Paul Landormy)

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