ANTON STADLER (1753-1812)
MOZART ET LA CLARINETTE
"Ah si seulement nous avions aussi des clarinettes ! Vous ne pouvez croire quel effet merveilleux peut rendre une symphonie avec flûtes, hautbois et clarinettes."
Mozart, à son père, Mannheim, 3 décembre 1778
La clarinette, un instrument relativement nouveau
La première clarinette est une adaptation d’un instrument à anche simple plus ancien – le chalumeau – due à Johann Christoph Denner (1655-1707), facteur d’instruments à Nuremberg dans les dernières années du dix-septième siècle. Elle mettra une cinquantaine d’années à s’imposer dans les orchestres européens.
Dans une lettre datée de 1778 à son père Léopold, Mozart s’extasie sur les sonorités des deux clarinettes présentes parmi les vents de l’Orchestre de Mannheim, l’un des premiers dans lequel elles ont fait leur entrée, en 1754. De fait, le compositeur recourt, dans les années 1780, de plus en plus à cet instrument. Il l’intègre dans tous ses opéras à partir d’Idoménée (1780-81), dans les symphonies 31, 35, 39 et 40 et les concertos pour pianos 22, 23 et 24. Mais il est surtout un des premiers compositeurs à l’utiliser autant en musique de chambre: trois sérénades pour vents, un quintette pour vents et piano, le trio avec alto et piano dit «des quilles», le fameux concerto K 622 et, bien sûr, le quintette K 581.
Le quintette Stadler
Composé en 1789, parallèlement à Cosi fan tutte, opéra dans lequel la clarinette apparaît chaque fois que s’exprime la tendresse véritable (par exemple dans le duo Oh guarda sorella) au milieu du jeu souvent cruel des sentiments contradictoires, le quintette K 581 est dit «quintette Stadler», du nom de son dédicataire et créateur, le clarinettiste Anton Stadler (1753-1812), frère de Mozart en maçonnerie.
1789 est une année très difficile pour Mozart. Son succès à Vienne est en berne, il perd un enfant, il est en proie à des difficultés financières. Pourtant, le compositeur choisit la tonalité lumineuse de la majeur pour exprimer une gravité, une profondeur traversée par des éclats de joie comme un sourire à travers des larmes. Les sonorités chaudes et sensuelles de la clarinette semblent ici incarner une tendresse qui va au-delà de la fraternité, comme une aspiration à un amour universel et absolu qui s’achève dans l’allégresse.
Là où Cosi fan tutte – sans doute sa plus grande mais aussi sa plus difficile réussite dramatique – met en pièce la pureté des sentiments, le quintette, comme une contrepartie nécessaire pour Mozart, réaffirme la nécessité absolue de l’amour.
Anton Stadler
Anton Paul Stadler (28 juin 1753 à Bruck an der Leitha - 15 juin 1812 à Vienne) était un joueur de cor de basset et un clarinettiste autrichien, ainsi qu'un ami et camarade de fêtes de Mozart.
Il était réputé de son temps pour être un virtuose du cor de basset dont il maîtrisait notamment le registre grave, et Mozart composa pour lui plusieurs œuvres dont le Concerto pour clarinette en la majeur K622 et le Quintette pour clarinette et cordes en la majeur K581 (en réalité tous deux composés pour clarinette de basset, un instrument conçu par Anton Stadler et dont il devait être à l'époque le seul joueur).
Il jouait à l'orchestre de Vienne avec son frère Johann (1755 - 1804), également clarinettiste, et leur duo clarinette/cor de basset était assez réputé. Anton eut l'idée d'ajouter une extension à sa clarinette en la et à celle en si bémol, ce qui le mena à une collaboration avec le fabricant de clarinettes Theodor Lotz. Le résultat fut la création de la clarinette de basset, aujourd'hui ne servant pratiquement plus que pour l'exécution du Concerto pour clarinette et du Quintette avec clarinette de Mozart dans leur version originale.
La relation de Stadler avec Mozart est sujette à polémique. On ne sait pas encore si tous deux se connaissaient déjà avant l'entrée de Mozart chez les francs-maçons ou celle d'Anton à l'Orchestre de Vienne. Les deux rejoignirent la même loge maçonnique en même temps. On sait cependant que Constanze, la femme de Mozart, appréciait très peu Stadler car il avait tendance à entraîner son mari dans ses beuveries. De son côté, Mozart appréciait énormément le talent de Stadler et composait à son attention des œuvres qui prenaient en compte les particularités de sa clarinette de basset. Les rumeurs selon lesquelles Stadler empruntait de grandes sommes d'argent à Mozart sans jamais les rendre, ou se faisait inviter à boire et à manger à ses dépens ou mettait en gage les pièces que Mozart lui avait écrites n'ont jamais pu vraiment être confirmées et proviennent principalement des correspondances de Constanze qui ne cachait pas son mépris pour ce qu'elle considérait être des excès de débauche. Dans une lettre de 1800, soit après la mort de Mozart, elle déclare par exemple à un éditeur qui voulait certains manuscrits de : « s'adresser au clarinettiste Stadler. Il possédait, entre autres, des copies de trios inédits pour cor de basset. Il affirme que la malle qui les contenait lui a été dérobée, mais je suis convaincue qu'il l'a mis en gage pour seulement soixante-treize ducats. »
La clarinette de basset
De la collaboration entre Stadler, Mozart et le facteur de la Cour impériale viennoise Theodor Lotz naît la clarinette de basset, une clarinette sonnant une tierce plus bas que la clarinette en la, permettant d’atteindre le do grave. C’est pour cet instrument que le quintette K 581 a été écrit, de même que le concerto K 622, lui aussi composé pour Stadler. Mozart l’utilise aussi dans la Clémence de Titus: l’air de Sesto, Parto, a un accompagnement de clarinette de basset obligé. Ces pages sublimes prouvent s’il le fallait l’engouement de Mozart pour l’instrument.
La clarinette en si bémol de Theodor Lotz
Theodor Lotz (1748-1792), le père de la clarinette de basset si chère à Mozart, était aussi bien facteur d’instruments que compositeur et clarinettiste. Il réalisa des clarinettes et des cors de basset auxquels il apporta d’importantes innovations techniques.
La clarinette en si bémol de l'illustration est conservée au Musée d'art et d'histoire de Genève. Elle est tournée en buis. Elle comporte six viroles d’ivoire et cinq clefs de laiton. Une marque au fer indique THEODOR/LOTZ/K(aiserlicher)K(öniglicher)
HOF/INSTR(umenten) MACHER/IN WIEN. Lotz étant devenu fournisseur de la Cour impériale en 1788, cela date notre clarinette entre 1788 et 1792.
La clarinette de Lotz est extrêmement intéressante sur un point précis: son bec. En effet, jusqu’au début du XIXe siècle, l’anche s’appuyait le plus souvent contre la lèvre supérieure. Cela ne semble pas être le cas ici, la position de la marque du facteur, traditionnellement située sur le dos du bec, suggérant un positionnement de l’anche contre la lèvre inférieure.
La clarinette de Genève est la seule réalisation de Lotz à nous être parvenue, à l’exception de quelques cors de basset. Mozart appréciait aussi beaucoup cet instrument, frère grave de la clarinette, accordé en fa ou en sol. Il avait du reste pensé en premier lieu son concerto K 621 pour cet instrument et c’est également un cor de basset obligé qui dialogue avec la voix de soprano dans le rondeau de Vitellia de la Clémence de Titus.
La taverne Griechenbeisl à Vienne (lieu fréquenté par Mozart)
Pendant des siècles, la taverne Griechenbeisl a été le lieu de rencontre des artistes, des universitaires et des hommes politiques, tels que : Marx Augustin et d'autres invités célèbres tels que Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Franz Schubert, Richard Wagner, Johann Strauss, Richard Strauss, Johannes Brahms, Ferdinand-Georg Waldmüller, Mark Twain, Franz Grillparzer, Johann Nestroy, Moritz von Schwind, Fiodor Chaliapine, Karl Lueger, le comte Ferdinand von Zeppelin, Albin Egger-Lienz, Oskar Kokoschka, Luciano Pavarotti, Johnny Cash. Barry Manilow, Engelbert Humperdinck, Phil Collins, Gunther Philipp, Mario Adorf, Karlheinz Böhm, Egon Schiele, Gottfried Helnwein, Riccardo Muti, Friedrich Wilhelm Graf von Bismarck, Serge Jaroff, Johnny Weissmuller, Sven Anders Hedin, Harald Serafin, Franz von Suppé, Hans Philipp August Albers s'est immortalisé avec des autographes dans la salle de Mark Twain. Mark Twain est également devenu un habitué du restaurant grec pendant son séjour à Vienne.
On peut voir la signature de Mozart sur un des murs de la taverne.
Così fan tutte 'Ah guarda, sorella' ('Ah, dis-moi, ma soeur") avec l'accompagnement de la clarinette – Enregistrement en direct, Glyndebourne Opera House, 2006. Directeur : Nicholas Hytner Chef d'orchestre : Iván Fischer Orchestra of the Age of the Enlightenment
Solistes : Topi Lehtipuu, Luca Pisaroni, Nicolas Rivenq, Miah Persson, Anke Vondung, Ainhoa Garmendia. The Glyndebourne Chorus.