"MOZARTISH"
"Je mets ensemble les notes qui s'aiment"
Je ne peux écrire poétiquement, je ne suis pas poète. Je ne saurais manier les formules assez artistement, pour qu’elles fassent jouer les ombres et les lumières, je ne suis pas peintre. Je ne peux pas non plus exprimer mes sentiments et mes pensées par des gestes et par la pantomime, je ne suis pas danseur. Mais je le peux grâce aux sons, je suis musicien.
Mozart à son père, Mannheim, 8 novembre 1777
J’aime qu’un air aille au chanteur comme un costume bien taillé.
Mozart à son père, Mannheim, 28 février 1778
Il faut que je m’arrête maintenant, car je dois écrire en toute hâte : tout est déjà composé – mais pas encore écrit.
Mozart à son père, Munich, 13 décembre 1780
Mais comme les passions violentes ou non ne doivent jamais s’exprimer jusqu’à faire naître le dégoût et que la musique, même dans la situation la plus épouvantable, ne doit jamais offenser l’oreille mais toujours procurer du plaisir, que donc la musique doit rester musique, je n’ai pas utilisé de tonalité étrangère à fa mais une tonalité apparentée, toutefois pas le ton le plus voisin, ré mineur, mais le plus lointain, la mineur.
Mozart à son père, Vienne, 26 septembre 1781
Stendhal (1783-1842)
Vie de Mozart [1814]
(Lettres écrites de Vienne en Autriche sur le célèbre compositeur Jh Haydn, suivies d'une Vie de Mozart et de considérations sur Métastase et l'état présent de la musique en France et en Italie. Par Louis-Alexandre-César BOMBET [alias Stendhal]. A Paris, de l'Imprimerie de P. Didot l'aîné, 468 p.)
Son caractère
"Mozart ne prit point avec l'âge l'accroissement ordinaire : il eut toute sa vie une santé faible ; il était maigre, pâle ; et quoique la forme de son visage fût extraordinaire, sa physionomie n'avait rien de frappant que son extrême mobilité. L'air de son visage changeait à chaque instant, mais n'indiquait autre chose que la peine ou le plaisir qu'il éprouvait dans le moment. On remarquait chez lui une manie qui ordinairement est un signe de stupidité : son corps était dans un mouvement perpétuel ; il jouait sans cesse avec les mains, ou du pied frappait la terre. Du reste, rien d'extraordinaire dans ses habitudes, sinon son amour passionné pour le billard. Il en avait un chez lui, sur lequel il lui arrivait presque tous les jours de jouer seul quand il n'avait plus de partner [partenaire]. Les mains de Mozart avaient une direction tellement décidée pour le clavecin, qu'il était peu adroit pour toute autre chose. A table il ne coupait jamais ses aliments, ou s'il entreprenait cette opération, il ne s'en tirait qu'avec beaucoup de peine et de maladresse. Il priait ordinairement sa femme de lui rendre ce service. Ce même homme qui, comme artiste, avait atteint le plus haut degré de développement dès l'âge le plus tendre, est toujours demeuré enfant sous tous les autres rapports de la vie. Jamais il n'a su se gouverner lui-même. L'ordre dans les affaires domestiques, l'usage convenable de l'argent, la tempérance et le choix raisonnable des jouissances, ne furent jamais des vertus à son usage. Le plaisir du moment l'emportait toujours. Son esprit, constamment absorbé dans une foule d'idées qui le rendaient incapable de toute réflexion sur ce que nous appelons les choses sérieuses, fit que pendant toute sa vie il eut besoin d'un tuteur qui prît soin de ses affaires temporelles. Son père connaissait bien ce faible : ce fut ce qui l'engagea, en 1777, à le faire suivre à Paris par sa femme, son emploi à Salzbourg ne lui permettant point alors de s'éloigner.
Mais ce même homme, toujours distrait, toujours jouant et s'amusant, paraissait devenir un être d'un rang supérieur dès qu'il se plaçait devant un piano. Son âme s'élevait alors, et toute son attention pouvait se diriger vers le seul objet pour lequel il fût né, l'harmonie des sons. L'orchestre le plus nombreux ne l'empêchait point d'observer, pendant l'exécution, le moindre son faux, et il indiquait sur- le-champ, avec la précision la plus surprenante, sur quel instrument on avait fait la faute, et quel son il eût fallu en tirer. Lors du voyage de Mozart à Berlin, il n'y arriva que le soir très tard. A peine fut-il descendu de sa voiture, qu'il demanda au garçon de l'auberge s'il y avait opéra. « Oui, L'Enlèvement du Sérail. — Cela est charmant ! » Et déjà il était en route pour le spectacle ; il se mit à l'entrée du parterre pour écouter sans être reconnu. Mais tantôt il était si satisfait de la bonne exécution de certains morceaux, tantôt si mécontent de la manière dont on jouait quelques autres, ou du mouvement dans lequel on les exécutait, ou des broderies que faisaient les acteurs, que, tout en témoignant sa satisfaction et son déplaisir, il se trouva contre la barre de l'orchestre. Le directeur s'était permis de faire des changements à un des airs : lorsqu'on y fut arrivé, Mozart, ne pouvant plus se contenir, cria presque tout haut à l'orchestre la manière dont il fallait jouer. On se retourna pour voir l'homme en redingote de voyage qui faisait ce bruit. Quelques personnes reconnurent Mozart, et dans un instant les musiciens et les acteurs surent qu'il était parmi les spectateurs. Quelques-uns de ceux-ci, entre autres une très bonne cantatrice, furent tellement frappés de cette nouvelle, qu'ils refusèrent de reparaître sur le théâtre. Le directeur fit part à Mozart de l'embarras où ce refus le mettait. Celui-ci fut à l'instant dans les coulisses, et réussit, par les éloges qu'il donna aux acteurs, à leur faire continuer l'opéra.
La musique fut l'occupation de sa vie, et en même temps sa plus douce récréation. Jamais, même dans sa plus tendre enfance, on n'eut besoin de l'engager à se mettre au piano. Il fallait, au contraire, le surveiller pour qu'il ne s'y oubliât point, et qu'il ne nuisît pas à sa santé. Dès sa jeunesse, il eut une prédilection marquée pour faire de la musique pendant la nuit. Quand, le soir à neuf heures, il se mettait au clavecin, il ne le quittait pas avant minuit ; et même alors il fallait lui faire violence, car il aurait continué toute la nuit à préluder et à jouer des fantaisies. Dans la vie habituelle, c'était l'homme le plus doux : mais le moindre bruit pendant la musique lui causait l'indignation la plus vive. Il était bien au-dessus de cette modestie affectée ou mal placée qui porte la plupart des virtuoses à ne se faire entendre qu'après en avoir été priés à différentes reprises. Souvent des grands seigneurs de Vienne lui reprochèrent de jouer avec le même intérêt devant tous ceux qui prenaient plaisir à l'entendre."
Mozart au travail (Stendhal)
"Le temps qu'il donnait le plus volontiers au travail était le matin, depuis six ou sept heures jusqu'à dix. Alors il sortait du lit. Le reste de la journée il ne composait plus, à moins qu'il n'eût à terminer quelque morceau pressé. Il fut toujours très inégal dans sa manière de travailler. Quand il était saisi d'une idée, on ne pouvait l'arracher à son ouvrage. Si on l'ôtait du piano, il composait au milieu de ses amis, et passait ensuite des nuits entières la plume à la main. Dans d'autres temps, son âme était tellement rebelle à l'application, qu'il ne pouvait achever une pièce qu'au moment même où l'on devait l'exécuter. Il lui arriva même un jour de renvoyer tellement au dernier moment un morceau qui lui avait été demandé pour un concert de la cour, qu'il n'eut pas le temps d'écrire la partie qu'il devait exécuter. L'empereur Joseph, qui furetait partout, jetant par ,hasard les yeux sur le papier de musique que Mozart avait l'air de suivre, fut étonné de n'y voir que des lignes sans notes, et lui dit : « Où est donc votre partie ? — Là, répondit Mozart, en portant la main au front. Le même accident fut sur le point de lui arriver au sujet de l'ouverture de Don Juan. On convient assez généralement que c'est la meilleure de ses ouvertures ; cependant il n'y travailla que dans la nuit qui précéda la première représentation et lorsque la répétition générale avait déjà eu lieu. Le soir, vers les onze heures, en se retirant, il pria sa femme de lui faire du punch, et de rester avec lui pour le tenir éveillé. Elle y consentit, et se mit à lui raconter des contes de fées, des aventures bizarres, qui le firent pleurer à force de rire. Cependant le punch l'excita au sommeil, de sorte qu'il ne travaillait que pendant que sa femme racontait, et il fermait les yeux dès qu'elle s'arrêtait. Ses efforts pour se tenir éveillé, cette alternative continuelle de veille et de sommeil, le fatiguèrent tellement, que sa femme l'engagea à prendre quelque repos, lui donnant sa parole de le réveiller une heure après. Il s'endormit si profondément qu'elle le laissa reposer deux heures. Elle l'éveilla vers les cinq heures du matin. Il avait donné rendez-vous aux copistes à sept heures, et, à leur arrivée, l'ouverture était finie. Ils eurent à peine assez de temps pour faire les copies nécessaires à l'orchestre, et les musiciens furent obligés de jouer sans avoir fait de répétition. Quelques personnes prétendent reconnaître dans cette ouverture les passages où Mozart doit avoir été surpris par le sommeil, et ceux où il s'est réveillé en sursaut."
Pas si pauvre, l'artiste
L'Express, Sabine Delanglade, 2005
"Une vingtaine de millions de dollars chaque année... Voilà ce qu'aurait encaissé, selon la Sacem, le génie viennois s'il avait vécu sous notre régime de droits d'auteur. Passages à la radio - longtemps, les héritiers de Ravel ont perçu 10 millions de francs par an, or ce musicien est quatre fois moins écouté que Mozart - concerts publics, tournées, utilisations publicitaires... De son côté, Gérard Mortier, patron de l'Opéra, a fait le calcul: ce que Mozart a reçu pour Don Giovanni, c'est environ 14 000 € d'aujourd'hui. Mozart donc, s'il n'a pas construit de fortune, n'est pas non plus mort dans la misère, contrairement à la légende. Certes, il eut des bas, mais aussi des hauts: «Je crois que mon fils, s'il n'a pas de dettes à payer, pourrait déposer 2 000 florins à la banque, écrit, en 1785, Leopold à Nannerl ; l'argent y est sûrement.»
La chère est bonne, l'appartement agréable, Mozart exigeant sur sa toilette: un manteau gris souris, un habit de drap bleu avec fourrure, quatre vestes diverses, neuf paires de bas de soie, quatre cravates blanches, etc., énumère l'inventaire de ses biens après décès. Ni pauvre, donc - endetté, certes: Constance prend les eaux, Mozart perd-il au jeu ? - ni méconnu. Mais les succès de L'Enlèvement au sérail, des Noces, de Don Giovanni ne sont pas les cash machines qu'ils auraient constituées de nos jours. En effet, les droits d'auteur n'existant pas, seule «rapportait» la vente des partitions aux éditeurs de musique: pour les six Quatuors dédiés à Haydn, l'éditeur Artaria lui verse 450 florins (1 florin égale une petite vingtaine d'euros). La rémunération des opéras est forfaitaire: 450 florins pour Les Noces (9 000 € !). Et le compositeur ne pouvait donc obtenir de rétribution que «s'il jouait ou dirigeait sa musique», explique H. C. Robbins Landon dans 1791. La dernière année de Mozart. Ces concerts donnés au profit de la noblesse lui rapportèrent de 500 à 1 500 florins. Auxquels, à la même époque, s'ajoutèrent les leçons de piano (27 florins par mois), puis, à partir de 1787, le salaire de musicien impérial : 800 florins, bien moins que les 2 000 de Gluck, son prédécesseur. Au total, durant ses années viennoises, Mozart, selon Landon, aurait gagné de 2 000 à 6 000 florins par an (contre 12 pour sa servante à Vienne, 300 pour un instituteur)."