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"LE MEILLEUR ENDROIT DU MONDE POUR MON MÉTIER"

Dès la fin du 17e siècle, libérées de la menace ottomane par la bataille de Vienne de 1683, les familles nobles commandent de somptueux palais, signant ainsi l'acte de naissance de la Vienne baroque.

À la suite de l'épidémie de peste de 1713, Charles VI fonde la Karlskirshe (1719) et Johann Bernhard Fischer von Erlach (1656-1723) remporta le concours organisé par l'Empereur pour construire cette église. L'architecte dessina également nombre des plus beaux édifices baroques de Vienne, dont le palais Trautson et le château de SchönbrunnJohann Lukas von Hildebrandt, son grand rival, devint en 1700 l'architecte de la cour. Outre le Palais du Belvédère, il réalisa le palais Schönborn (actuel musée des Arts et Traditions populaires), le palais Kinský (1713-1716) et la Piaristenkirche (église des piaristes) en 1716. Ces deux architectes construisent aussi le palais d'hiver du prince Eugène (occupé actuellement par le ministère des finances), héros des campagnes contre les Ottomans. En 1754, à son premier recensement, Vienne compte 175 000 habitants.

Grâce au sens de l’État de Marie-Thérèse, Vienne connaît une période de sérénité et d'opulence durant son long règne. L'architecte Nicolas Pacassi remanie le château de Schönbrunn (1744-1749). Marie-Thérèse fait de la ville la capitale de la musique européenne. En 1762 eu lieu la Première d'Orphée, opéra de Christoph Willibald Gluck au Burgtheater.

Son successeur, Joseph II lance un programme de réformes sociales, diminue les privilèges du clergé et abolit le servage et la corvée. Il ouvre au public le Prater (1766), ancienne réserve de chasse de la cour, et le Parc Augarten (1775). En 1782, le pape Pie VI se rend à Vienne pour convaincre Joseph II de renoncer à ses réformes religieuses (Joséphisme). En 1784, l'Empereur d'Autriche fonde l'Allgemeines krankenhaus (Hôpital général) avec sa Narrenturm (Tour des Fous). Animé d'une volonté de réformes, Joseph II créa une académie militaire de médecine et de chirurgie et commanda à Isidor Canevale un bâtiment inspiré de l'Hôtel-Dieu de Paris (le Josephinum), achevé en 1785. En 1791, la première de La Flûte enchantée de Mozart est donnée dans un petit théâtre populaire de Vienne (Theater auf der Wieden). En 1800, Vienne compte 232 000 habitants.

Je vous assure que c'est ici un merveilleux endroit. Et le meilleur du monde pour mon métier. Tout le monde vous le dira. Je m'y sens bien, et en profite donc de toutes mes forces.

Mozart à son père, Vienne, 4 avril 1781

On a donné hier l'Enlèvement au sérail pour la deuxième fois ; auriez-vous pu penser qu'hier la cabale serait encore plus forte que le premier soir ? Tout le premier acte a été sifflé. Mais ils n'ont pas empêché les puissants cris de bravo pendant les airs. Le théâtre était presque plus plein encore que la première fois. Dès la veille il fut impossible d'obtenir un siège réservé, ni au noble parterre ni au troisième étage ! Et plus une seule loge. L'opéra a rapporté 1200 florins en deux jours.

Mozart à son père, Vienne, 20 juillet 1782

 

Mozart n'était nullement intéressé ; la bienfaisance, au contraire, faisait son caractère : il donnait souvent sans choix, et dépensait son argent plus souvent encore sans raison. Dans un voyage qu'il fit à Berlin, le roi Frédéric-Guillaume II lui proposa trois mille écus d'appointements (onze mille francs) s'il voulait rester à sa cour et se charger de la direction de son orchestre. Mozart répondit seulement : « Dois-je quitter mon bon empereur ? » Cependant, à cette époque, Mozart n'avait point encore d'appointements fixes à Vienne. Un de ses amis lui reprochant, dans la suite, de n'avoir pas accepté les propositions du roi de Prusse : « J'aime à vivre à Vienne, répliqua Mozart ; l'empereur me chérit, je me soucie peu de l'argent. »

Stendhal, Vie de Mozart (1814)

Mozart et Haydn

Le Gall, Christophe. Amitié entre Haydn et Mozart. "Je dois vous le dire devant Dieu" Res Musica, 18 février 2006

En 1783 ou 1784, Mozart fait la connaissance, à Vienne, de son illustre aîné Joseph Haydn, avec qui il entretiendra tout au long de sa vie une correspondance et une amitié teintée d'admiration, réciproque. Mozart lui donnera le surnom affectueux de « papa Haydn », resté aujourd'hui encore vivace.

Joseph Haydn à Léopold Mozart qui le rapporte :

« Je dois vous le dire devant Dieu, en honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne ou de nom, il a du goût, et en outre la plus grande science de la composition. »

Wolfgang Amadeus Mozart à propos de Joseph Haydn :

« Lui seul a le secret de me faire rire et de me toucher au plus profond de mon âme. »

Les deux hommes entrent dans la franc-maçonnerie en cette même année 1785, et c’est d’ailleurs le lendemain de leur initiation qu’ils jouent ensemble, comme ils avaient dorénavant l’habitude de le faire lors de leurs soirées musicales, ces six quatuors dédiés à Haydn. Dans ces soirées musicales, Dittersdorff tient le premier violon, Joseph Haydn le second violon, Vanhal le violoncelle et Mozart l’alto. La loge maçonnique, où Mozart progressa très vite et puisa un élan spirituel nouveau en se forgeant un idéal de fraternité et de charité, semble avoir encore plus soudé les liens entre les deux hommes, à tel point que ceux-ci supportent très mal la séparation survenue lors du départ pour Londres de Haydn. Le vieux compositeur triomphe dans la capitale anglaise, mais ne peut retenir ses larmes lorsqu’il apprend la mort de son jeune ami le 5 décembre 1791 : ce même ami qui avait tenté de le dissuader de quitter Vienne et de rester auprès de lui, un an plus tôt.

Tant d’éléments semblent pourtant séparer les deux hommes, et l’on pourrait être surpris de cette belle amitié si l’on ne s’arrêtait qu’à ces différences. Ainsi, la différence d’âge entre les deux hommes est importante : 24 années les séparent. L’un, Mozart, a beaucoup voyagé, suivant les ordres de son père ou les obligations matérielles, mais sachant retirer de ces périples les ingrédients nécessaires à la fortification de son art. L’autre, Haydn, n’a quitté que très tard Vienne pour s’installer à Londres. Haydn vit une union très désagréable avec Maria Anna, sœur aînée de celle qu’il avait précédemment choisie, Thérèse Keller, laquelle préféra, malheureusement pour le compositeur, le couvent au mariage. Avec Constance Weber, c’est au contraire un mariage d’amour qui est réservé à Mozart. Ce dernier, qui connaît très vite le succès à l’opéra, paya très cher son insoumission envers ses employeurs les plus exigeants. Il ne put plus compter que sur lui-même pour vivre, et faire vivre sa famille. Très jeune, Haydn connut vite le succès, et ne tarda pas à trouver une place stable pour continuer sa carrière en tant que musicien attitré des Princes Esterhazy, et pour devenir pratiquement un membre de la famille. Il obtint ainsi le poste de Maître de Chapelle à vie sous les ordre de Nicolas II. Haydn jouit du confort matériel qui fait cruellement défaut au jeune Mozart. Terminons cette série de différences entre les deux hommes en évoquant la triste destinée du plus jeune, Mozart, auquel il n’eut pas été permis de jouir durablement du succès. Son Requiem fut sa dernière œuvre, mais il n’y aura pas de Messe à son enterrement. La mort l’emporte comme un triste inconnu, oublié de tous, jeté dans la fosse commune, il n’a pas 36 ans. Ses opéras n’étaient plus appréciés, les Viennois les trouvant trop compliqués et ayant définitivement choisi d’applaudir les créations italiennes. Haydn, pendant ce temps, triomphe à Londres et demeura un génie reconnu lorsqu’il revint à Vienne. Il put s’éteindre dans la sérénité à l’âge avancé de 77 ans. Les troupes de Napoléon sont alors entrées dans la capitale autrichienne ; mais l’empereur français fait placer une garde d’honneur à sa porte et est présent à l’enterrement du grand Haydn, où l’on joue, comme en un ultime hommage à l’amitié des deux génies, le Requiem de Mozart.

Etre musicien au temps de Mozart



Il est important de savoir qu'à l'époque de Mozart - milieu du 18e siècle - les musiciens et compositeurs étaient considérés comme des domestiques - chose que Wolfgang n'a d'ailleurs jamais supporté!
Les maîtres exigeaient de leurs compositeurs qu'ils fournissent à la demande des oeuvres pour fêter divers événements. D'autre part, à cette époque, les concerts étaient presque exclusivement donnés pour les cours princières, l'Eglise, ou les maisons nobles. Il n'y avait quasiment pas de concerts publics - Mozart en donnera cependant un certain nombre a son profit, par souscription, lors de ses premières années d'indépendance à Vienne. Inutile de dire que gagner sa vie n'était pas chose facile pour un musicien de l'époque car, lorsqu'il avait la chance d'avoir un emploi fixe, ses gages étaient si modiques qu'il était contraint d'enseigner ou de composer pour son propre compte.
Il est d'autre part intéressant de noter qu'à cette époque, une oeuvre appartenait à celui qui l'avait commandée (et payée) et non à son compositeur. Les droits d'auteurs n'étaient pas encore ce qu'ils sont aujourd'hui, loin s'en faut! D'ailleurs, Wolfgang s'est toujours révolté contre cela et s'est même, à divers reprises, octroyé le droit de jouer lors de concerts donnés à son compte, des morceaux ne lui appartenant légalement plus!

*** Recherche valet de chambre musicien


On demande un musicien qui joue bien du piano et qui sache aussi chanter et puisse donner des leçons de l'un et de l'autre. Ce musicien devra en même temps remplir les fonctions de valet de chambre
Texte intégral d'une petite annonce publiée dans le Wiener Zeitung en 1798

De tous les Habsbourg, pratiquant tous un instrument, Joseph II fut l'un des plus férus de musique. Antonio Salieri fut son maître de chapelle et Directeur de l'opéra italien alors très en vogue, s'efforçant sans succès de faire une place à Mozart à qui l'empereur commanda en 1782, le premier opéra en langue allemande : Die Entführung aus dem Serail (L'Enlèvement au sérail). Amadeus, la pièce adaptée au cinéma par Miloš Forman, reprend une scène cocasse où l'empereur, juge qu'un morceau de Mozart comprend « trop de notes ». Il n'en demeure pas moins que Mozart connut les largesses de l'empereur, et sa protection permit la représentation des Noces de Figaro, tiré pourtant de la pièce de Beaumarchais censurée en France. Mozart perdra un protecteur à la mort de Joseph II, dont le frère Léopold II préféra Cimarosa, beaucoup plus célèbre et auteur d'opéras napolitains adorés dans toute l'Europe. Joseph II était passionné d'opéra, il venait à tout moment voir les répétitions au Burgtheater, accompagnant au clavecin les chanteurs comme un professionnel et suggérant des thèmes, comme celui de Così fan tutte, à Da Ponte, son poète impérial.

Menant une vie austère et sans fastes, voyageant incognito sans protocole, Joseph II, par sa politique réformatrice et néanmoins absolutiste, est l'exemple parfait du « despote éclairé ». Il mourut en 1790, à quarante-neuf ans, dans la tristesse, sans postérité, totalement incompris, ayant fait l'unanimité contre lui, suivi sur le trône par son frère Léopold II, jusque-là grand-duc de Toscane.

Mozart rencontre lui-même une rude concurrence lors de son arrivée à Vienne, et il doit souvent lutter avec certains de ses confrères pour obtenir de grandes commandes. Les places les plus prestigieuses sont en effet occupées à la cour par d’autres artistes, tel le célèbre Antonio Salieri (1750-1825), compositeur de la cour et chef d’orchestre de l’Opéra italien. La légende qui accuse - à tort - ce dernier d’avoir empoisonné Mozart à la fin de sa vie est révélatrice de la forte rivalité qui pouvait parfois exister alors. Certains « duels musicaux » - mais amicaux - sont parfois organisés entre deux artistes de talent. Mozart doit ainsi prouver en 1782, devant l’empereur,  et sur un piano-forte abîmé, qu’il est au moins l’égal du compositeur Muzio Clementi (1752-1832). La subsistance matérielle des musiciens concurrents – et surtout des compositeurs indépendants – n’est pas toujours satisfaisante dans ce contexte. En quittant son poste de Salzbourg, Mozart doit par exemple renoncer à tout salaire régulier, n’ayant plus d’employeur fixe. Les compositeurs sont principalement à l’affût de commandes prestigieuses et bien rémunérées. Si la commande d’un opéra par l’empereur est espérée par tous, ce sont souvent les riches amateurs de musique qui permettent aux compositeurs de vivre de leur art. Le baron Gottfried Bernhard van Swieten (1733-1803) est l’exemple même du mécène fortuné et cultivé qui fait jouer dans ses salons des œuvres de compositeurs contemporains et anciens mais passe aussi régulièrement commande d’œuvres à Mozart.

Van Swieten a rencontré Wolfgang Amadeus Mozart pour la première fois en 1768, alors qu'il avait 35 ans. Mozart était alors âgé de 11 ans. La famille Mozart était en visite à Vienne dans l'espoir de gagner en notoriété et en revenus après le grand tourd'Europe. Selon le père de Mozart, Léopold , Van Swieten aurait été impliqué dans la planification de l'opéra malheureux de Wolfgang, La Finta Semplice (l'opéra fut par la suite bloqué par des intrigues et ne pouvait être joué qu'à Salzbourg). 

En 1781, peu de temps après que Mozart fut installé à Vienne, van Swieten le retrouva: dans le salon de la comtesse Thun , Mozart joua des extraits de son récent opéra Idomenée, avec van Swieten et d'autres personnalités importantes. Cet événement a contribué à la commande de Mozart pour l'opéra L'Enlèvement au Sérail, son premier grand succès en tant que compositeur. 

En 1782, van Swieten avait invité Mozart à lui rendre visite régulièrement afin de consulter et de lire ses manuscrits des œuvres de JS Bach et de Haendel , rassemblées lors de son service diplomatique à Berlin. Comme Mozart écrivait à son père Léopold (10 avril 1782) :

Je vais tous les dimanches à midi au Baron van Swieten, où ne se jouent que Handel et Bach. Je collectionne en ce moment les fugues de Bach - non seulement de Sebastian , mais aussi d’ Emanuel et de Friedemann

Plus tard, la loyauté de Van Swieten envers Mozart à cette époque est également indiquée par l'une des lettres de Mozart de 1789, dans laquelle il signalait qu'il avait sollicité des abonnements à une série de concerts projetés (comme il l'avait fait auparavant avec beaucoup de succès au milieu des années 1780). ) et a constaté qu’au bout de deux semaines, le Baron était toujours le seul abonné. 

À la mort de Mozart (le 5 décembre 1791 à 1 heure du matin), van Swieten se présenta à son domicile et organisa les funérailles. Il a peut-être temporairement aidé à soutenir la famille de Mozart, la correspondance de Constanze mentionnant sa "générosité" à plusieurs endroits. Le 2 janvier 1793, il a parrainé une représentation du Requiem de Mozart en tant que concert bénéfice pour Constanze; il a généré un bénéfice de 300 ducats, une somme substantielle.  Il aurait également aidé à organiser l'éducation du fils de Mozart, Karl, à Prague

Amadeus, film de Milos Forman (1984). Scène entre Mozart et Joseph II. Trop de notes ! La remarque de départ est véridique, même si pour les besoins du film les psychologies des protagonistes sont accusées, voire caricaturales. 

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