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LES ANIMAUX DES SALONS

Essor et nécessité des salons musicaux à Paris dans la deuxième moitié du 19e siècle

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Pour exercer une quasi-hégémonie culturelle, la bourgeoisie va profiter d'un pivot historico-économique défini par une chute de l’aristocratie et une république qui n’a pas encore acquis de puissance dirigeante suffisante, notamment pour les arts. « Le faible investissement du pouvoir républicain dans le fonctionnement de la vie musicale explique sans doute en partie le rôle en la matière prépondérant de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, frange privilégiée du public de l’Opéra et des concerts parisiens. Sous la Troisième République, les gouvernements successifs prennent très lentement conscience de la nécessité de contribuer au développement de l’art. Mais le chemin est long à parcourir à partir de notions solidement ancrées dans l’esprit des pères de la République. »

Pour Adolphe Thiers, « comme pour tous les hommes qui se sont succédé à la tête du gouvernement jusqu’à Léon Blum en 1936, l’Art correspond à un plaisir de la vie privée et non à une nécessité de la vie nationale. » Dès 1891 pourtant, certains s’interrogent sur les devoirs de l’État. Tel Étienne Dujardin-Beaumetz, futur sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, qui pense qu’ « il y a, depuis bien longtemps, dans notre pays, un malentendu sur le rôle que l’État doit jouer en matière d’art : les uns pensent que l’État doit diriger le mouvement artistique du pays ; les autres estiment qu’il n’y a qu’à le suivre en l’encourageant. La tradition en vertu de laquelle l’État croit devoir diriger l’art date de Colbert. Les défenseurs de l’art officiel ont pensé que, de même que l’État était avec raison, pour l’instruction publique, l’éducateur de la nation, il lui appartenait de diriger les tendances artistiques du pays dans ce qu’il croyait être le beau et le vrai. L’art officiel n’a jamais développé ses élus qu’en écrasant leurs adversaires, et pour qu’il eût le droit d’agir ainsi il eût fallu que ses représentants eussent la certitude qu’ils étaient en possession de la formule définitive. »

Mais loin de ces débats, la réalité économique parle d’elle-même, et le budget des Beaux-Arts, issu du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, réserve seulement 15 % de ses financements à la musique (ce qui représente 1 615 000 francs en 1880), dont 70 % est alloué à l’Opéra et à l’Opéra-Comique, le reste allant surtout à l’enseignement musical et enfin aux concerts populaires. De 1870 à 1878, les Concerts populaires ne reçoivent rien de l’État. En 1878, 5 % du budget musical se répartit entre les Concerts populaires de Jules Pasdeloup et – recevant deux fois moins – l’Association artistique d’Édouard Colonne. En 1882 se rajoutent à la liste des subventionnés les Nouveaux Concerts de Charles Lamoureux ; de 1892 à 1928, la S.N.M. recevra la somme dérisoire de 10 000 francs ; enfin la Société des concerts du Conservatoire devra attendre un soutien financier jusqu’à 1923. Après 1920, de nombreuses mais minuscules aides vont aux Concerts Touche, aux Concerts du Vieux-Colombier, aux Concerts Poulet, aux Concerts Siohan ou encore à l’Orchestre symphonique de Paris.

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Contrairement aux arts-plastiques, les commandes nationales sont rarissimes jusqu’en 1938 (on n’en relève en fait que deux véritables : l’Ode triomphale commandée à Augusta Holmès en 1889, et la cantate Le Feu céleste de Saint-Saëns en 1900, toutes deux à l’occasion d’une Exposition universelle à Paris). Il faudra attendre le Front Populaire pour voir un développement étatique de la diffusion et des commandes, surtout du fait de l’implication nationale dans la nouvelle technologie radiophonique. L’État décide ainsi d’effectuer des « commandes exceptionnelles aux artistes vivants et compositeurs de musique en vue de lutter contre le chômage » : sur les 3 000 000 francs accordés à la musique, 200 000 vont désormais aux commandes.

Institutionnellement enfin, une gestion autonome ne sera attribuée à la musique qu’en 1969 avec la « sous-direction des spectacles et de la musique » qui fait partie de la « direction générale des Arts et Lettres » du ministère des Affaires culturelles créé par André Malraux. La bourgeoisie se précipite dans la place laissée vacante par la noblesse, et non encore occupée par la République. Puisque si peu subventionnés, les Concerts populaires de Jules Pasdeloup voient leurs dettes épongées par le banquier Pereire, et des « comités de patronage » se constituent au sein des sociétés de concerts, comités qui font fonctionner notamment les concerts Wiémer, l’Orchestre symphonique de Paris, les concerts de La Sérénade et ceux du groupe Jeune France.

« La défense de l’art – et pas n’importe quel art – fait partie des obligations de la femme du monde. Les bonnes œuvres relèvent également des attributs féminins. La conjugaison de ces deux fonctions, la bienfaisance et la mondanité, ouvre normalement la voie à la protection des artistes. » Tout comme le milieu aristocratique, le salon bourgeois qui voit son avènement est avant tout un « lieu de sociabilité dont la musique est l’une des composantes ».

Quelques pistes de mélodies de salon autour des animaux (mélodie française, 1850-1930)

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Georges Bizet - La Coccinelle

Emmanuel Chabrier - Villanelle des petits canards, Les Cigales, Pastorale des cochons roses, Ballade des gros dindons

Ernest Chausson - Le Colibri

Déodat de Séverac - Les Hiboux

Gabriel Fauré - Le Papillon et la fleur

Reynaldo Hahn - Le Rossignol des lilas

Edouard Lalo - La Chanson de l’alouette

Jacques Offenbach - Six fables de La Fontaine

Francis Poulenc - Le Bestiaire

Maurice Ravel - Histoires naturelles

Pauline Viardot - L’Oiselet (sur une Mazurka de Chopin)

 Un monde clos. L'aquarium de Balbec - Marcel Proust

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Et le soir ils ne dînaient pas à l'hôtel où, les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles de petits bourgeois, invisibles dans l'ombre, s'écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancée dans les remous d'or, la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres que celle de poissons et de mollusques étranges (une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger). En attendant, peut-être parmi la foule arrêtée et confondue dans la nuit y avait-il quelque écrivain, quelque amateur d'ichtyologie humaine, qui, regardant les mâchoires de vieux monstres féminins se refermer sur un morceau de nourriture engloutie, se complaisait à classer ceux-ci par race, par caractères innés et aussi par ces caractères acquis qui font qu'une vieille dame serbe dont l'appendice buccal est d'un grand poisson de mer, parce que depuis son enfance elle vit dans les eaux douces du faubourg Saint-Germain, mange la salade comme une La Rochefoucauld.

 

Marcel Proust, A l'ombre des Jeunes Filles en fleurs

Chopin-Viardot: L'Oiselet (Arreglo vocal Mazurca Op 68 Nº 2). 

Soprano: Katarzyna Dondalska. Piano: Holger Berndsen

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