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LA FASCINATION DES ANIMAUX

L'année de la girafe

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Le vice-roi en Égypte ottomane, Méhémet Ali, offrit une girafe à chacun des trois monarques européens les plus puissants de l'époque, l'empereur d'Autriche, François Ier, le souverain britannique, George IV, et le roi de France, Charles X.

L'idée d'offrir une girafe à la France a été donnée à Méhémet Ali par Bernardino Drovetti, consul de France en Égypte afin d'entretenir les relations entre les deux pays4, notamment dans un contexte de guerre d'indépendance opposant les Grecs à l'Empire ottoman. Méhémet Ali avait lui-même reçu cette girafe en cadeau de Mouker Bey, un seigneur du Soudan.

Née début 1825 d'après les calculs de l'époque, elle arriva à Marseille le 14 novembre 1826 et fut conduite à Paris à pied à partir du 20 mai 1827 (880 km en six semaines). Au cours de ce voyage, elle était accompagnée par Geoffroy Saint-Hilaire, directeur du Jardin des plantes, ainsi que par deux vaches dont elle buvait le lait et qu'elle suivait, une escorte de gendarmes à cheval, et un chariot à bagages. Arrivée le 30 juin, elle fut pendant trois ans une des principales attractions de la capitale (au cours de l'été 1827, elle attira 600 000 curieux).

Après sa mort le 12 janvier 1845 de tuberculose bovine due à l'ingestion quotidienne de lait de vache10, elle a été naturalisée, et fait désormais partie de la collection zoologique du muséum d'histoire naturelle de La Rochelle.

Il existe également un témoignage historique peint : une huile sur toile de Jacques-Raymond Brascassat, datée de 1831, ayant pour nom Passage de la girafe à Arnay-le-Duc. Elle est exposée au musée des Beaux-arts de Beaune. L'artiste a probablement peint le tableau de mémoire ou d'après des croquis au château du Musigny, près d'Arnay-le-Duc.

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Elle est à l'origine de nombreuses illustrations et objets au décor dit « à la girafe » ou "girafomania" (gravures, vaisselle, tapisseries et papier peint, coiffure "à la girafe", bijoux, etc.). Elle a également inspiré un couple de personnages typiques du Carnaval de Paris : la girafe et son cornacNarcisse-Achille de Salvandy lui a donné fictivement la parole en juillet et août 1827 dans deux pamphlets politiques intitulés Lettre de la girafe au pacha d'Égypte. En septembre 1827 est publié le Discours de la girafe au chef des six Osages, imprimé par Honoré de Balzac et possiblement son œuvre, et la même année Dame Girafe à Paris : Aventures et voyage de cette illustre étrangère racontés par elle-même de Charles-François Bertu. Plus tard, en 1842, Charles Nodier lui donne à nouveau la parole dans les Tablettes de la girafe du Jardin des plantes, qui fait partie du recueil Scènes de la vie privée et publique des animaux.

En 1888, dans son ouvrage Les Mœurs et la caricature en FranceJohn Grand-Carteret qualifie l'année 1827 d'« année de la girafe »bien que d'autres événements politiques et artistiques d'importance se soient produits cette année-là.

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Consul, le chimpanzé des Folies-Bergères (1903)

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  "Il y avait donc là toutes les myopies, toutes les lunettes, tous les lorgnons, tous les sourires pincés des jeunes maîtres, toutes les lippes bienveillantes des vieux oncles et, avec l'élite du boulevard, nos plus tragiques jeunes premiers, nos plus sémillants comiques, nos plus brillants jeunes directeurs et nos plus solides actionnaires, et c'était, comme l'a écrit un des critiques du Temps, « l'esprit et la beauté de toute une civilisation réunis à un souper, d'une splendeur telle, que ne connurent certainement pas ni Aspasie ni Cléopâtre » (sic).
Eh bien ! on ne devinera jamais ce que ces hommes spirituels avaient imaginé pour amuser toutes ces belles personnes du théâtre et des arts. Il y avait alors dans un music-hall, parmi tant d'exhibitions, un pauvre petit chimpanzé, qui opérait entre dix heures et demie et onze heures. Il n'était même pas adulte, il n'avait pas quatre ans, mais il devait grandir, le malheureux petit singe, dont on avait rasé soigneusement les oreilles et le menton pour accentuer une attristante ressemblance humaine, n'était même pas dressé, mais il était, en vérité, merveilleusement intelligent. Affublé d'un habit noir et d'un pantalon de soirée, chemisé comme un clubman et cravaté de blanc, il arrivait à s'asseoir à table, à se servir d'une fourchette et à boire dans un verre, comme un enfants très mal élevé, puis il fumait un cigare de l'air ennuyé des phoque, jongleurs et fumeurs des fêtes foraines, marchait tout à coup à quatre pattes (la nature ayant repris le dessus), faisait quelques tours en vélocipède et, triomphe final, se déshabillait en scène et mettait alors en joie toutes les femmes par l'apparition de cuisses plus velues que celles d'un homme ordinaire, entre la blancheur des pans de chemise et la soie rose du caleçon.
C'était en somme un spectacle assez lamentable. Le public y prenait pourtant un certain plaisir : j'estime que chacun y trouvait une ressemblance arec un parent ou un créancier. « Tiens, c'est mon huissier ! » s'écriait couramment la petite dame saisie l'avant-veille. Jean Hiroux, lui, reconnaissait, et non sans motif, la face du président d'assises qui l'avait condamné jadis ; la magistrature possède, en effet, une laideur plutôt simiesque; et les familles, qu'avait déshéritées un oncle d'Amérique, voulaient lui trouver les traits d'un vieux commodore. Pour moi, j'avoue que Consul me rappelait surtout un très gros collectionneur du commerce parisien, il m'en rappelait même deux, que dis-je ? trois, tant le physique des vieux messieurs s'achemine diversement vers une laideur unique.
Pauvre Consul !
Le croirait-on ? Pour amuser et faire sourire toutes ces folies femmes de talent, de luxe, de joyaux et de soies, ces messieurs ne trouvèrent rien de mieux que de leur amener ce singe.
Consul, piloté par son barnum, prit donc place à une table entre deux charmantes soupeuses, nullement effarouchées, d'ailleurs, de quelques privautés, plutôt lasses, qu'il se permit à leur endroit. On a dit de Consul qu'il n'aimait pas les femmes, la vérité est qu'il ne les aimait pas encore. Consul n'était pas adulte, il n'était encore que fraternel pour la belle moitié du genre humain ; la misogynie est un degré de sagesse et de civilisation que n'atteignent pas sitôt les chimpanzés, même dressés par un « manager » de Londres.
Consul se montra donc plus qu'indifférent. Affalé sur la table, le nez dans son assiette, tel un viveur surmené, il se contenta de boire dans le verre de ses voisines et, d'un geste accablé, de leur caresser quelques fois le menton.
L'oeil inattentif et sournois, il parut s'ennuyer sérieusement à cette fête. Uniquement préoccupé des fruits d'un compotier posé devant lui, il fuma, machinal et excédé de bruit et de mouvement ; bref, il se montra dédaigneux et grossier d'attitude, en cela parfaitement pareil à quelques Yankees milliardaires tel que l'omnipotent capital les fait tous, pour l'édification des foules ; méprisant, familier et méfiant.
Par contre, son succès fut énormes son mépris affiché de forban enthousiasma les hommes et les femmes, les femmes surtout. Elles retrouvèrent là toutes avec plus de nature, le cynisme insolent des amants. « J'en ai connu de plus laids ! » déclara même l'une d'elles, vengeant ainsi, d'un mot, les sinistres corvées de l'alcôve. Jusqu'à la minute où, saoul comme un véritable prince, le pauvre chimpanzé s'étendit sur la table (un homme véritable eût roulé, lui, dessous) et, recroquevillé sur lui-même les mains jointes et les genoux rapprochés, apparut comme un misérable petit enfant malade oublié par une fille sur la table d'un restaurant de nuit, il eut autour de lui un cercle énamouré, on l'aurait presque dit, de belles bouches fardées, de sourires frais et d'épaules savoureuses. Il fut le « clou » de la soirée et un clou si solidement fiché que la table d'honneur fut soudain déserte."

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Jean Lorrain, Le Crime des riches. 1903

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Jurassic Park (1993) : une fascination construite ?

 

Le développement du film a commencé avant même que le livre soit publié. Michael Crichton a été engagé pour contribuer au script, qui contient une grande partie de son histoire. Steven Spielberg a choisi les studios de Stan Winston pour la confection des animatroniques et a travaillé avec Industrial Light & Magic pour développer les images de synthèse des dinosaures.

La sortie du premier film s’est accompagnée d'un véritable travail de préparation à long terme pour intéresser le public (dont les jeunes générations) aux dinosaures, puisque Steven Spielberg a produit un dessin animé long métrage en 1988, Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles ainsi que plusieurs documentaires pour la télévision. Cette démarche commerciale originale s’est de plus accompagnée de nombreux produits dérivés, montrés explicitement dans le film (puisqu'il s’agit des produits dérivés du parc d’attraction). C'est le premier film de l'histoire à amasser plus de 900 millions de dollars de recettes, devenant le film le mieux reçu jusque-là et, après son retour sur grand écran en 3D (mai 2013, pour son vingtième anniversaire), le treizième plus gros succès du box-office ; il a ainsi inspiré significativement une nouvelle forme de films utilisant principalement les images de synthèse pour les effets spéciaux.

Deux ans après sa ressortie en 3D, le film fait partie de la sélection Cannes Classics lors du Festival de Cannes 20152.

Jurassic Park a été le premier film de la série de films Jurassic Park, suivi par Le Monde perdu : Jurassic Park en 1997 (également adapté du roman éponyme de Michael Crichton), Jurassic Park 3 en 2001, Jurassic World en 2015 et Jurassic World: Fallen Kingdom sorti en 2018.

Pourquoi les enfants de 2 à 6 ans aiment-ils (à ce point) les dinosaures ? 

Nouvel Obs, Marlène Thomas, 11 décembre 2017

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Il est rare de ne pas compter dans son entourage un enfant fasciné par les dinosaures. Il ne jure que par le T-Rex, collectionne sans fin les figurines des différentes espèces et se repasse en boucle les dessins animés "Le Petit dinosaure" ou "Denver".

Tel un vrai petit génie, il impressionne également les adultes en citant sans problème une vingtaine de noms scientifiques de dinosaures et les différentes périodes de l'ère mésozoïque.

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Les scientifiques nomment cette obsession des jeunes enfants pour les dinosaures "intérêts intenses" (en anglais "EIIs" soit extremely intense interests), comme le rapporte un article de The Cut, publié le 6 décembre.

D'après une étude scientifique de 2007, près d'un tiers des enfants âgés de 2 à 6 ans en développent et ces passions ardentes peuvent parfois durer plus longtemps.

Les chercheurs des universités de Yale, du Queensland et de Virginie ont établi que "l'intérêt intense" le plus commun est celui pour les véhicules (avions, trains, voitures). Juste après viennent les dinosaures.

"Des enfants intelligents"

Selon Kelli Chen, ergothérapeute en pédopsychiatrie à l'hôpital Johns Hopkins, contacté par le média américain, "les intérêts intenses sont un fort stimulant pour les enfants" et sont bénéfiques pour le développement cognitif, surtout lorsqu'ils concernent un domaine conceptuel. Ils peuvent aider les plus jeunes à développer leurs connaissances, leur ténacité, mais aussi leur capacité d'attention et de traitement de l'information, a révélé une étude de 2008, publiée sur Science Direct. "En bref, ils font de meilleurs apprenants et des enfants plus intelligents ", poursuit le pédopsychiatre. 

"Explorer un sujet et le maîtriser est bénéfique, car c'est ainsi que nous formons des carrières en tant qu'adultes. La principale occupation d'un enfant est le jeu, alors ils se débrouillent pour jouer à travers le prisme de cette chose qui les intéresse. "

L'impact Jurassic Park 

Les bienfaits de ces passions ne font aucun doute dans la communauté scientifique, mais le mystère demeure quant à ce qui éveille cet intérêt.

Alain Cabot, fondateur et directeur du parc de Mèze (plus grand musée d’Europe consacré aux dinosaures), affirmait lors d'une interview donnée en 2012, à Atlantico qu' "avant les années 90, les dinosaures étaient un sujet qui n’intéressait globalement que la communauté scientifique. L’engouement du grand public, et plus particulièrement des enfants, pour les dinosaures a ainsi été quasi inexistant jusqu’à cette période."

Après l'apparition du film d'animation "Petit dinosaure" et du dessin animé "Denver" en 1988, la sortie en 1993 du film "Jurassic Park" de Steven Spielberg a eu un impact indéniable.

"En tant que témoin privilégié, je peux affirmer sans exagération que ce film est responsable à lui seul, ou presque, de l’intérêt soudain des jeunes publics pour ces créatures disparues. Peu après les médias ont emboîté le pas en consacrant énormément de documentaires, d’émissions ou de dessins animés sur la question, installant ainsi de manière durable les dinosaures dans l’inconscient collectif."

Après le déferlement de cette vague de dinosaures sur les années 90 et le début des années 2000, l'amour pour ces reptiles n'a pas disparu, balayant ainsi la thèse générationnelle :

"L'obsession pour tout ce qui est dinosaure n'est pas moins répandue aujourd'hui que lorsque vous étiez enfant. La seule différence réside dans les chiffres : rien qu'en 2016, plus de trente nouveaux dinosaures ont été découverts, ce qui porte la liste des favoris à plus de 700", souligne la journaliste de The Cut, Kate Morgan. La curiosité des enfants se voit ainsi entretenue par ces nouvelles découvertes. 

Antidote aux angoisses

Contacté par Rue89, Pascal Hachet, psychologue clinicien, auteur de "Dinosaures sur le divan. Psychanalyse de Jurassic Park", avance d'autres hypothèses sur les raisons de cette fascination.

"Ce sont des animaux fascinants, souvent gigantesques, parfois féroces, qui ne laissent personne indifférent. Cet engouement, partagé par les adultes, pousse les enfants à s'y intéresser via des petites figurines, des livres, des films ou des jeux vidéo."

Ces créatures ont surtout la particularité d'apparaître à l'enfant comme une figure à la fois inquiétante et rassurante.

 "Ils permettent de donner un support aux peurs des enfants et sont une sorte d’antidote dans la mesure où ils n’existent plus. Ils ne risquent pas de venir leur tirer les pieds dans leurs lits ! Le tyrannosaure est un peu comme un grand copain, un protecteur, à l'instar d'un adulte qui peut être sévère, mais est capable de le protéger."

Apprendre leurs noms, leurs caractéristiques est aussi une manière pour les plus jeunes d’apprivoiser les émotions qu’ils ressentent en les découvrant. '"Quand les choses sont nommées, elles font moins peur", souligne le psychologue.

Un retour aux origines 

En poussant plus loin l'analyse, Pascal Hachet émet l'hypothèse qu'à travers les dinosaures, les enfants interrogent leurs origines et les influences transgénérationnelles.

Les dinosaures deviennent attrayants en étant à la fois une figure lointaine et familière. 

"Ils représentent leurs aïeux, qui, comme les animaux préhistoriques, appartiennent à une ère précise et ont disparu." 

Dans le film "Jurassic Park" de Steven Spielberg, le psychologue a remarqué que plusieurs des protagonistes développaient les mêmes symptômes que les personnes exposées à des secrets de famille.

Par exemple, le paléontologue, Alan Grant (Sam Neill), est obsédé par les recherches scientifiques et a développé une haine des enfants. 

Passion éphémère

Si Erin, 6 ans, citée dans l'article de The Cut, était déterminée à porter un costume d'Ozraptor pour Halloween, son intérêt pour les dinosaures pourrait assez rapidement s'évaporer. Dans une étude publiée en 2007, les chercheurs qui ont suivi les parents de 177 enfants ont constaté que les "intérêts intenses" ne duraient qu'entre six mois et trois ans.

La progressive disparition de "l'intérêt intense" s'explique assez paradoxalement par l'entrée de l'enfant dans "un environnement éducatif traditionnel, ils sont censés acquérir un éventail de connaissances dans divers sujets, ce qui ne laisse pas beaucoup de place pour une spécialisation", note la journaliste Kate Morgan.

Le second élément à prendre en compte pour justifier ce déclin est la composante sociale. L'enfant va côtoyer quotidiennement d'autres personnes qui ne seront pas forcément passionnées par les dinosaures.

Les retours positifs des proches sur les connaissances du jeune sur ce sujet auraient tendance à renforcer sa passion, tandis qu'à l'école, il sera davantage félicité, par exemple, pour sa capacité à se sociabiliser.

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Jurassic Park (Spielberg, 1993)

Le défilé des dinosaures, "Bienvenue à Jurassic Park !"

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