top of page

JURASSIC TRIP

(1998)

Sept miniatures préhistoriques pour ensemble pour récitant, flûte, clarinette, deux pianos, percussions et quintette à cordes

Texte d’Ivan A. Alexandre

Commande du Festival des Forêts.

Création partielle le 5 juillet 1998 par l’Ensemble Musique Oblique au Festival des Forêts.

Création complète le 3 août 2001 au Festival de l’Empéri par Lambert Wilson et les musiciens du Festival.

"Écrit sur la même nomenclature instrumentale que Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, cette série de miniatures préhistoriques se présente comme des portraits doubles : portraits d’animaux et portraits de compositeurs amis.
Que ce soit dans les encyclopédies illustrées, dans les films de Steven Spielberg ou plus récemment dans l’admirable documentaire anglais Sur la terre des dinosaures, les tyranosaures, lointains et sauvages, fascinent les enfants de notre époque comme l’éléphant ou le lion fascinaient ceux de l’époque de Saint-Saëns. L’exotisme du temps a peu à peu remplacé l’exotisme géographique. J’ai voulu rendre hommage aux merveilleux modernes et à la mythologie des enfants d’aujourd’hui.


Paysage marécageux (à Jean Louis Florentz) : des nappes de cordes en mouvement et des accords de couleurs des pianos et glockenspiel nous font entrer dans ces plaines humides où les fougères arborescentes, les conifères et les Cycas s’entremèlent en une jungle inquiétante. Quelques battements d’ailes invisibles nous rappellent que nous ne sommes pas seul...


Chasse marine du Plésiosaure (à Marcel Landowski) : un thème bondissant et très mobile aux cordes accompagnées d’éclaboussures d’eau nous montre ce reptile marin de plus de trois mètres de long en pleine chasse.


Attaque des Raptors (à Paul Malinowski) : Les plus intelligents, les plus rapides, les plus sournois, les plus dangereux des carnivores se lancent dans une course bondissante. Au centre de la pièce un rythme de rap au piano suspend l’attaque quelques secondes avant l’assaut final.


Petit carnivore (à René Bosc) : une parodie de “musique contemporaine”, à la fois sérielle et minimaliste par la flûte, la clarinette basse et un violon. Ce petit carnivore dévore ses proies sans états d’âme...


Vol en rase-mottes des Ptérodactyles (à Thierry Escaich) : Avant les oiseaux ils furent les rois du ciel. Ces sortes de chauve-souris de huit mètres d’envergure planent et fondent sur leurs victimes aquatiques qu’ils dévorent. Leurs cris aigus et les brusques changements d’altitude sont illustrés par une musique très virtuose et agressive.


Déjeuner du Brontosaure (à Jean-François Zygel) : ce placide herbivore de 20 mètres de long (pesant plus de 20 tonnes) termine son déjeuner sous un soleil de plomb. Une longue et calme mélodie au violoncelle et contrebasse à l’unisson accompagnée par les harmonies miroitantes des pianos s’élève de plus en plus déchirante avant de sombrer dans le sommeil.


Combat des Tyranosaures (à Pascal Zavaro) : Ces prédateurs de 12 mètres de long et haut de 5, s’affrontent en combat violent et cannibalesque. Un moteur rythmique de piano scandé par des accords violents au xylo alterne avec le claquement des machoires (par le fouet) dans une ambiance cauchemardesque. La partition s’achève sur le cri déchirant et mortel du vaincu."

​

Guillaume Connesson (Site du compositeur)

​

Textes d'Ivan A. Alexandre

 

JURASSIC TRIP

 

1. Paysage marécageux

Au commencement, voyez-vous, 

On n'y voyait rien. 

Non qu'il n'y eût rien,

Ni qu'il y fît noir, 

Au commencement. 

Mais il n'y avait personne pour le voir,

Ce qu'il y avait.

On croit donc savoir 

Que ça commença comme ça :

Dzim ! Boum !

Dzim : avant. Boum : après.

Dzim : néant. Boum : c'est fait. 

Big boum.

 

Oh! C'est beau! C'est grand! 

 

Ensuite, le monde a mis un certain temps.

Il fut creux, ténébreux.

Puis gazeux, nébuleux.

Puis rocheux, siliceux.

Puis brumeux, vaporeux.

Puis pluvieux, orageux.

Enfin le monde fut aqueux,

Visqueux, filandreux,

Ce qui était déjà bien mieux. 

Il y a deux cents millions d'années, 

La verte grenouille et le vert palmier

Baignaient dans l'eau molle d'un marais boueux.

Il y a deux cents millions d'années,

Le monde était marécageux.

 

2. Chasse marine du Plésiosaure

Pendant un temps qui dura d'ailleurs très longtemps,

Grenouilles et fougère, sauriens et palmiers d'eau douce,

Se tournaient horriblement les pouces,

Attendant que le ciel ou le marais envoie,

Qui sait ? de la distraction ? du neuf ? de la visite ?

Mais non, en ce temps, voyez-vous,

Le marais se mourait d'ennui.

Pour un tant soit peu se distraire,

Il fallait descendre à la mer.

Alors, là, on ne chômait pas.

L'ophtalmosaure observait tout,

Le liopleurodon broyait tout, 

Le péloneuste traquait tout,

La vie aquatique n'était 

Que chasse, que pêche, qu'affût. 

Et sur mille petits poissons,

Le submersible plésiosaure 

Abattait ses crocs amphibies,

L'œil dans l'air et, dans l'eau, le corps,

Laissant filer comme un obus

Son cou luisant et furibond.

 

3. L’attaque des raptors 

Attendez.

Vous entendez?

Non. 

Rien.

Ah !

Ah si !

Couchez-vous !

Couchez-vous, cachez-vous !

Voilà les…

Les vélo…

Les véloces…

Les véloci…

Les rap…

Les rapt…

Voilà les vélocirap…

 

 

4. Petit carnivore

Qu'est-ce que c'est que ça ?

Ici tout le monde a la peau dure,

Et ça se dandine en fourrure.

Ici tout se pèse en tonnes,

Et ça n'atteint pas le kilo.

Ici le saurien ulule sa peine

Et ce petit-là se bidonne

Aiguisant sa canine au dodécaphone.

(Noir)

C'est doux, 

c'est vif, 

ça mord,

Adorable carnivore.

Et costaud.

Car quand tous ont disparu,

Celui-ci a survécu.

Es-tu musaraigne? 

Es-tu rat?

Increvable dans tous les cas.

 

 

5. Vol en rase-mottes des Ptérodactyles

Oh ! le vertige et la félicité,

Quand on n'est encore qu'un lézard antique,

D'étendre sur l'eau son aile élastique,

De boire en volant l'écume argentée,

 

De prendre la bourrasque pour monture,

De se transporter sans s'appesantir

A travers les vagues, et de repartir

Contempler d'en haut l'humide nature.

 

Oh ! l'enchantement d'être volatile

Sur ce continent de grossiers reptiles! 

Sans être un oiseau, on est plus subtil

Dans un escadron de ptérodactyles.

 

 

6. Déjeuner du Brontosaure

Imperturbablement, interminablement,

Infatigablement, le colosse clément

Désherbe la vallée. C'est qu'il faut les porter,

Les trente tonnes du brontosaure empâté.

 

Au bout de son long cou son court museau mastique,

Du sombre jurassique au clair mésozoïque,

La même frondaison du même marécage.

Il a cent pieds de long et des millions d'ans d'âge,

 

Ce dont d'ailleurs il n'a pas la première idée,

Car c'est le lot commun des diplodocidés:

Tant de chair animée d'une infime cervelle.

 

Le brontosaure se ravitaille en dormant,

Inexorablement, minutieusement,

Et dure le souper jusqu'à l'ère nouvelle…

 

7. Combat des Tyrannosaures

Mais tandis qu'il déjeune en toute quiétude, 

Le brontosaure sent quelque chose,

Où donc?

A la cuisse: attendez, je regarde.

Non, ce n'est pas la cuisse.

Ah! ça fait pourtant mal.

Au jarret, voilà, au jarret.

Non, ce n'est pas le jarret.

Oh! ça y est, il le sent, 

Mais trop tard.

Sur son flanc se cramponne le tyrannosaure,

Deux temps, trois mouvements, le brontosaure

Est mort.

Sa mère et sa sœur vont le suivre 

Quand de la forêt sort un second tyran

Qui veut aussi sa part,

Se jette sur son frère,

Lui saute à la gorge, 

Y plante ses dents.

Qui la proie? Qui l'ombre?

Griffe, broie, saigne, occit.

Le sol fécond et trop grand

Pour mille géants,

Sera toujours trop petit

Pour un seul tyran.

bottom of page