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CHOPIN 1826

Source : Reynaud, Cécile, et Catherine Massip. « Frédéric Chopin, Polonaise en si bémol mineur », Revue de la BNF, vol. 34, no. 1, 2010, pp. 52-56.

 

Daté par son rédacteur de 1826, ce manuscrit de la Polonaise en si bémol mineur de Chopin n’est très probablement pas de la main du compositeur. Il a sans doute été copié par le frère de l’un de ses amis, le musicien et folkloriste Oskar Kolberg (1814-1890).

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On peut y déchiffrer les inscriptions suivantes :

p. 1 : Les Adieux à Guil. Kolberg (en partant pour Reinerz). Polonoise. 1826. / p. Chopin

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p. 2 : Mazur Oborski 1812 [?] / Mazur Oborski

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Au revoir !

Trio tiré d’un air de la Gazza ladra par Rossini

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Quelques jours avant son départ, Ch. était / assistait avec Kolberg au théâtre / accompagné de Kolberg assistait / avec Kolberg à une représentation de la Gazza Ladra de Rossini.

 

Au concert où on chantait

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Ces annotations, principalement en français comme c’était alors l’usage, mais aussi parce que le jeune Chopin évolue dans un milieu francophile, donnent plusieurs indications sur le contexte dans lequel cette œuvre fut écrite. La date d’abord, 1826. Le genre de l’œuvre ensuite : la polonaise. Les amis et les événements qui entourent sa composition enfin : Guillaume Kolberg, l’évocation du départ pour Reinerz et la représentation de l’opéra La Gazza ladra de Rossini.

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Chopin en 1826

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Le jeune homme de quinze ans vit depuis 1810 avec ses trois sœurs et ses parents à Varsovie où son père, d’origine française, est professeur (de français) au lycée. Les parents, Nicolas et Justyna, tiennent en outre un pensionnat pour les collégiens de la bonne société polonaise. Frédéric se lie d’amitié avec ces jeunes gens et les enfants des collègues de son père, en particulier avec les trois frères Kolberg, fils du professeur de géométrie, également poète et traducteur, Juliusz Kolberg. L’aîné, Wilhelm (Guillaume en français), est l’ami de toute la jeunesse de Chopin : la Polonaise présentée lui est dédicacée. Oskar, le deuxième, probable copiste de ce manuscrit, est compositeur, ethnographe et folkloriste : on lui doit de nombreux recueils issus de ses collectes d’airs folkloriques polonais. Au peintre Antoni, le benjamin, on doit le dernier portrait peint de Chopin.

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Le jeune pianiste est lui-même élève au lycée de Varsovie depuis 1823, un bon élève, si l’on en croit les prix qu’il reçoit. En juin 1826, il achève sa scolarité, sans avoir cependant passé les épreuves finales du baccalauréat, la « maturitas ». À la rentrée suivante, en octobre 1826, Chopin entre à l’École supérieure de musique de Varsovie, dirigée par le compositeur et pédagogue Józef Elsner (1759-1854). Entre ces deux dates, il est parti en vacances, à Bad Reinertz, station thermale réputée des Sudètes, située alors en Prusse (aujourd’hui en Pologne sous le nom de Duszniki-Zdrój) : sa santé est en effet fragile et le médecin de famille recommande pour lui et sa petite sœur Emilia (morte de phtisie en avril 1827), d’aller prendre les eaux ferrugineuses.

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Entre ses cours et le pensionnat de ses parents, Chopin vit entouré de camarades de son âge, et dans un milieu culturellement ouvert et ambitieux. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le manuscrit de la Polonaise porte des références tant à ses amitiés qu’à sa curiosité pour la vie artistique qui l’entoure.

 

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Les inscriptions du manuscrit sont de deux sortes : les premières ont pu être indiquées d’après les intentions de Chopin (« Adieu à Guillaume Kolberg en partant pour Reinerz » ; « Au revoir ! Trio tiré d’un air de la Gazza ladra »). Les secondes sont plus probablement de l’initiative d’Oskar Kolberg : ainsi le commentaire raturé en bas de la page 3 qui fait référence à la présence de Chopin et de Guillaume Kolberg lors d’une représentation de l’opéra de Rossini.

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On sait que Chopin a en effet assisté, en juillet 1826, à plusieurs représentations de l’Opéra de Varsovie, notamment le Freischütz de Weber (comme Mendelssohn cinq ans plus tôt à Berlin) et La Gazza ladra de Rossini. Notre Polonaise emprunte dans son trio le motif de la cavatine de Gianetto à l’acte II, « Viens, viens entre mes bras… ».

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Comme le note Marie-Paule Rambeau cette Polonaise fait aussi référence à d’autres œuvres musicales : on y entend ainsi des échos de la Polonaise en la mineur sous-titrée « Les adieux » de Michal-Kleofas Oginski (1765-1833), ce prince compositeur qui l’un des premiers avait œuvré pour redonner à la polonaise son caractère national. Le premier titre du manuscrit de Chopin, Les Adieux, corrigé en Adieu à Guillaume Kolberg, fait peut-être allusion à l’œuvre d’Oginski.

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Un jeune virtuose compositeur

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Chopin est déjà depuis quelques années un pianiste à la mode à Varsovie. Sa précocité égale celle de Mozart. Son premier concert, au palais des Radziwill le 24 février 1818, lui a valu la célébrité et si ses parents ne tiennent pas à lui réserver la carrière d’enfant prodige qui fut celle de Mozart, il peut cependant se produire dans les salons aristocratiques : chez les Czartoryski, les Sapieha, les Czetwertyski. En 1823, il participe à des concerts de bienfaisance organisés par Jozef Jawurek. En 1825, il improvise à l’église de la Sainte-Trinité, pour le tsar Alexandre Ier, de passage à Varsovie, sur un nouvel instrument à clavier, prototype de l’harmonium – l’« éolomélodikon » de Karol Bruner –, prestation brillante et appréciée du souverain qui lui fait cadeau d’une bague ornée de brillants.

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En juillet 1826, Chopin a déjà une expérience de compositeur : il a écrit cinq Polonaises, dont notre « Adieu », deux Mazurkas, une série de Variations et un Rondo. Quatre de ces œuvres ont été publiées à Varsovie : l’« Adieu », lui, devra attendre 1880 pour être édité à Leipzig. La polonaise domine dans ce premier répertoire : genre pratiqué par les premiers modèles polonais de Chopin (outre Oginski, il faut citer Jan Stefani, Maria Szymanowska ou Józef Elsner), cette danse majestueuse à trois temps, issue d’un répertoire populaire, passée ensuite dans les salons de la noblesse, est un symbole de patriotisme.

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À la première page du manuscrit, on remarque les portées non notées à partir du troisième système : le copiste a considéré comme inutile de retranscrire les mesures 2 à 6 que l’on doit répéter à l’identique. Cette lacune met d’ailleurs en valeur la structure de la polonaise, qui évolue de quatre en quatre mesures.

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À la deuxième page, le manuscrit contient aussi une mazurka en ut majeur datée 1812 (?) et une en sol majeur intitulées « Mazur » avec le nom d’Oborski, un condisciple que l’on trouve cité dans la correspondance des années 1820. Curieusement, l’armure avec cinq bémols est restée celle de la Polonaise de Chopin, mais elle a été raturée par un trait vertical : ceci suggère que le manuscrit avait été « préparé » pour la Polonaise puis utilisé pour d’autres pièces.

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Le copiste pourtant expérimenté n’a pas hésité à reporter de nombreuses ratures et corrections : on imagine volontiers le regard du jeune Chopin sur ces pages si évocatrices de son entourage et des années heureuses en Pologne.

Frédéric Chopin, Polonaise en si bémol mineur, 1826

Manuscrit autographe, 4 p. BNF, Musique, Ms 24371

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Un hommage à la Pologne occupée : les Polonaises

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MichaÅ‚ Kleofas OgiÅ„ski, né à Guzów (Pologne) le 7 octobre 1765 et mort à Florence (Italie) le 10 octobre 1833  est un homme d'État polonais, également connu comme compositeur, notamment pour ses 23 polonaises dont les célèbres Adieux à la patrie. Il appartenait à l'une des plus grandes et des plus puissantes familles de magnats de l'ancienne Pologne.

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OgiÅ„ski joue du violon, du clavicorde et de la balalaika. Dans les années 1790, il compose des chansons et marches militaires populaires auprès des insurgés de 1794. Selon certains historiens de la musique, OgiÅ„ski serait l'auteur de la mazurka Jeszcze Polska nie zginęła (La Pologne n'a pas encore péri) qui deviendra l'hymne national polonais.

Il a composé un grand nombre de pièces pour piano : polonaises, marches, romances, mazurkas, valses. Il est également auteur d'un opéra en un acte Zélis et Valcour ou Bonaparte au Caire, dédié à Napoléon. Comme écrivain il a laissé de remarquables Mémoires de Michel OgiÅ„ski sur la Pologne et les Polonais depuis 1788 jusqu'à la fin de 1815 publiés à Paris en 1826/1827 (4 vol.) ainsi que des Lettres sur la musique adressées par M. le comte OgiÅ„ski à un de ses amis de Florence dont la traduction en polonais est parue en 1956.

Le jeune Chopin s'inspirera de ses œuvres pour ses premières compositions. Sur le célèbre tableau de Ilia Repine "Les musiciens slaves" qui représente 22 des plus éminents compositeurs russes, polonais et tchèques, OgiÅ„ski apparaît au côté de Chopin, LipiÅ„ski et Moniuszko.

Luciano Pavarotti/Joan Sutherland - Vieni fra queste braccia - Live 1976

Rossini, La Pie Voleuse

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