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Les Souffrances du Jeune Werther

Les Souffrances du jeune Werther (titre original en allemand : Die Leiden des jungen Werthers) est un roman épistolaire de Johann Wolfgang von Goethe qui fut publié anonymement et parut à l'occasion de la foire du livre de Leipzig en automne 1774 ; une version remaniée et légèrement augmentée paraît en 1787 à l'occasion de la publication des œuvres complètes de l'auteur.

Les Souffrances du jeune Werther, roman épistolaire directement inspiré par la rencontre de Goethe et de Charlotte Buff à Wetzlar, est le premier roman de Goethe, et apporta à son auteur dès sa sortie une richesse et une notoriété considérables, en Allemagne d'abord puis dans toute l'Europe, notamment parce qu'il met en scène le suicide de son héros. Aucun autre livre de Goethe ne fut autant lu par ses contemporains : le succès qui en résulta suffit à lui conférer une gloire annonçant les chefs-d'œuvre à venir.

Si la première édition est considérée comme l'une des œuvres majeures du Sturm und Drang (mouvement précurseur du romantisme presque exclusivement allemand), la version remaniée rejoint le classicisme de Weimar. Les actions du protagoniste, déterminées par ses sentiments, font de l'œuvre un exemple représentatif de l'Empfindsamkeit.

 

Résumé de la version remaniée de 1787

 

Livre premier

La première lettre est datée du 4 mai 1771. Werther est un jeune homme qui s'installe à W (Wetzlar) pour peut-être faire carrière. Là, il se promène dans la nature pour la dessiner, car il se croit artiste. Un jour, il est invité à un bal au cours duquel il rencontre une jeune femme prénommée Charlotte (Lotte), fille d'un bailli, qui depuis la mort de sa mère, s'occupe de ses frères et de ses sœurs. Werther sait depuis le début que Charlotte est fiancée à Albert. Cependant, Werther tombe immédiatement amoureux de la jeune fille qui partage avec lui les goûts de sa génération, en particulier pour la poésie enthousiaste et sensible de Klopstock. Werther rencontre Albert et lui reconnaît de nombreuses qualités : il s’enfuit pour tenter d’oublier Charlotte.

 

Livre deuxième

La première lettre date du 20 octobre 1771. Werther, qui lit Homère dans les débuts heureux du livre, passe à la poésie nébuleuse et mélancolique d'Ossian. Il croit être sauvé lorsqu’il rencontre une autre femme. Expérience humiliante, il est contraint de quitter une société quand on lui fait observer que les roturiers n'y sont pas admis. Ennuyé par les coutumes de la société dans laquelle il se retrouve, Werther rejoint Charlotte, qu’il aime de plus en plus, et maintenant mariée à Albert. La dernière lettre à Wilhelm date du 14 décembre 1772. Werther écrit le 23 décembre une lettre d'adieux à Charlotte pour qu'elle lui soit remise post-mortem.

 

L'éditeur au lecteur

Comprenant que cet amour est impossible, après une dernière visite à Charlotte (22 décembre) pendant laquelle il lui lit une traduction qu'il a faite du poème d'Ossian Les Chants de Selma, Werther se suicide par pistolet dans la nuit du 23 décembre. Il met plusieurs heures à mourir. Il est enterré sans cérémonie dans la nuit du 24 décembre.

 

Réception

 

Les Souffrances du jeune Werther est considéré comme le roman clé du Sturm und Drang. Le livre fut imprimé à très grand tirage pour l'époque et déclencha ainsi ce qu'on appellera plus tard la « fièvre de la lecture » (Lesewut). Goethe n'avait pas prévu que son livre aurait un tel succès. Pour illustrer le phénomène qu'on qualifia par la suite de « fièvre werthérienne », sont exposées aujourd'hui à Wetzlar, à côté d'une précieuse première édition de Werther, des parodies, des imitations et des traductions dans de nombreuses langues. Le succès de ce roman fut plus qu'un phénomène de mode, et déclencha, dit-on, une vague de suicides. Germaine de Staël écrit notamment en 1813 que « Werther a causé plus de suicides que la plus belle femme du monde... » Goethe lui-même déclara à ce propos : « L'effet de ce petit livre fut grand, monstrueux même, mais surtout parce qu'il est arrivé au bon moment » mais écrira que le suicide n'est en aucun cas une solution défendue par le livre.

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Werther incarnera pour toute une génération le héros romantique capable d'aller jusqu'au bout du violent désespoir inspiré par une passion malheureuse. Par ailleurs il incarnera aussi toute une jeunesse géniale et bouillonnante se heurtant jusqu'à en mourir aux codes figés de l'ancien monde. Ses lettres amères et révoltées du 15 et du 16 mars 1772 ("je voudrais m'ouvrir une veine qui me procurât la liberté éternelle") suite à son exclusion d'un salon aristocratique, annoncent le destin malheureux des héros de Stendhal (Le Rouge et le Noir) et de Balzac (Illusions perdues) qui malgré la chute de l'Ancien Régime ne parviennent pas à trouver leur place. Brahms comme Goethe (anobli en 1782) ont quand même pu trouver la leur, celle d'un génie reconnu.

On peut aller plus loin : singulière époque que celle où le récit de jeunes héros blessés par d'impossibles ascensions sociales conférait à leur auteur -tout aussi roturier- place et prestige dans la société (Rousseau avec La Nouvelle Héloïse, Goethe avec Werther, Hugo avec Ruy Blas, Stendhal avec Le Rouge et le Noir,  Balzac avec Illusions perdues...)

Sturm und Drang (« Tempête et Passion »)

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"Sturm und Drang est le nom donné par les historiens du XIXe siècle à la période de la littérature allemande, qui correspond assez bien à ce qu'a été, dans les pays anglo-saxons et en France, le moment préromantique. En Allemagne, le phénomène a eu des traits spécifiques parce que la renaissance de la littérature allemande était encore récente, que plusieurs auteurs de premier ordre y ont été directement intéressés et qu'il en est sorti un renouveau de l'inspiration poétique. Le préromantisme anglais et le Sturm und Drang sont nés d'une réaction contre la philosophie des Lumières, d'abord parce qu'on refuse de croire que l'homme soit tellement un être de raison ou risque même de le devenir, ensuite parce que les vertus poétiques de la poésie raisonnable paraissent limitées, que le temps des règles classiques semble révolu et que la nature est devenue le mot de ralliement de la jeune génération.

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Un phénomène de génération

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En Allemagne, la réaction à la philosophie des Lumières apparaît vers 1770, particulièrement en Rhénanie. Le mouvement a eu pour centre des villes comme Darmstadt, Stuttgart, Francfort et Strasbourg, qui, bien que française, avait une université de langue allemande. Goethe, Klinger (1752-1831), H. L. Wagner (1747-1779) étaient nés dans les pays du Rhin ; les frères Jacobi étaient de Düsseldorf, mais d'autres venaient de loin, de l'extrême est de l'Allemagne : Lenz avait grandi en Courlande, Herder était originaire de Riga, Hamann, que tous ont vénéré, a été appelé « le Mage du Nord » et il était fonctionnaire à Königsberg. Tard venu, puisque sa première pièce est de 1782, Schiller était souabe."

(source : Encyclopedia Universalis)

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Deux poètes cités par Werther

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Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803) "LES CONSTELLATIONS" (traduction de Gérard de Nerval)

 

"Tout chante ses louanges, les champs, les forêts, la vallée et les montagnes : le rivage en retentit ; la mer tonne sourdement le nom de l’éternel, et l’hymne reconnaissant de la nature peut à peine monter jusqu’à lui.

Et sans cesse elle chante celui qui l’a créée, et du ciel à la terre, partout sa voix résonne : parmi l’obscurité des nuages le compagnon de l’éclair glorifie le Seigneur sur la cime des arbres et sur la crête des montagnes.

Son nom est célébré par le bocage qui frémit, et par le ruisseau qui murmure, les vents l’emportent jusqu’à l’arc céleste, l’arc de grâce et de consolation que sa main tendit dans les nuages."

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"O Klopstock !" La première complicité entre les deux jeunes gens (lettre du 16 juin 1771)

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"A peine y fûmes-nous entrés, que Charlotte fit ranger toutes les chaises en rond, et, lorsqu’à sa prière tout le monde eut pris place, elle proposa un jeu. Je voyais maint cavalier qui, dans l’espoir de savourer un doux gage, faisait la bouche en cœur et se redressait. « Nous jouons à compler, dit-elle. Attention ! je ferai le tour du rond, de droite à gauche, et vous compterez de même, à la ronde, chacun le nombre qui lui viendra, et cela doit aller comme un feu roulant ; qui hésite ou se trompe reçoit un soufflet…. Et ainsi jusqu’à mille…. » C’était amusant à voir. Elle tournait dans le cercle, le bras tendu : « un, n dit le premier ; « deux, » le second ; « trois, » le suivant, et toujours ainsi. Bientôt elle alla plus vite, toujours plus vite. Quelqu’un se trompe : paf ! un soufflet, et, comme on éclate de rire, paf ! aussi le suivant, et toujours plus vite. Moi-même j’attrapai mes ’deux tapes, et plus fortes, je crus le remarquer, avec un secret plaisir, que Charlotte ne les donnait aux autres. Le jeu finit au milieu du rire et du bruit général, avant que l’on eût compté jusqu’à mille. Les plus intimes se tirèrent ensemble à l’écart ; l’orage était passé, et je suivis Charlotte dans la salle. Elle me dit en chemin : « Les soufflets leur ont fait oublier l’orage et le reste. » ’ Je ne pus rien lui répondre. « J’étais, poursuivit-elle, une des plus peureuses, et, en prenant l’air résolu, pour donner aux autres du courage, je suis devenue courageuse. » Nous nous approchâmes de la fenêtre. Il tonnait dans le lointain ; la pluie bienfaisante tombait à petit bruit sur la campagne, et les plus suaves parfums montaient jusqu’à nous, dans les flots d’une atmosphère attiédie. Charlotte était accoudée sur la fenêtre ; son regard se promenait sur la campagne ; elle le porta vers le ciel, puis vers moi ; je vis ses yeux pleins de larmes ; elle posa sa main sur la mienne et dit : « 0 Klopstock ! » Je me rappelai sur-le-champ l’ode sublime qui était dans sa pensée, et je me plongeai dans le torrent d’émotions dont cette simple parole avait inondé mon cœur. Je ne pus résister, je me penchai sur *sa main, et la baisai en versant de délicieuses larmes, et mes yeux s’arrêtèrent de’nouveau sur les siens…. Noble poète, oh ! si tu avais vu dans ce regard ton apothéose ! Et si je pouvais ne plus entendre jamais prononcer ton nom, si souvent profané !"

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Ossian, le barde mythique

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Ossian (ou Oisín, signifiant « petit faon » en irlandais), barde écossais du IIIe siècle, fils de Fingal et Sadhbh, serait l’auteur d’une série de poèmes dits « gaéliques » traduits et publiés en anglais entre 1760 et 1763 par le poète James Macpherson, qui eurent un énorme retentissement dans toute l'Europe.

Les poèmes d’Ossian eurent rapidement une grande audience. C'était l'une des lectures favorites de Napoléon et des « Barbus », groupe de jeunes artistes français issus de l'atelier du peintre Jacques-Louis David, qui cherchaient une alternative au néo-classicisme. Au début du XIXe siècle, le mythe d'Ossian est l'un des principaux thèmes préromantiques où se manifeste une dimension onirique, qui inspire surtout les peintres scandinaves, allemands et français comme Nicolai Abildgaard et, outre la Secte des Barbus, Anne-Louis Girodet, Eugène Isabey, le baron Gérard et même Ingres.

Une véritable « celtomanie » s'empara de nombreux milieux littéraires, couvrant aussi bien les langues et cultures que les monuments mégalithiques, lesquels n'ont pourtant de commun avec les Celtes que d'être situés sur les lieux d'implantation de certaines de leurs tribus.

Napoléon Ier, qui appréciait la poésie d'Ossian, choisit le nom de Dermide, celui d'un de ses héros, comme prénom de son neveu Louis, Napoléon (1798-1808), le fils de sa sœur Pauline et de Leclerc.

Encensés comme un genre de littérature nord-européenne soutenant la comparaison avec l’œuvre d’Homère, ils stimulèrent l’intérêt pour l’histoire ancienne et la mythologie celtique, non seulement au Royaume-Uni, mais également en France, en Allemagne et jusqu’en Hongrie. Ils sont à l'origine de l'ossianisme, mouvement poétique pré-romantique qui prend tout son sens dans le contexte de « l’éveil des nationalités » : les guerres napoléoniennes ont pour conséquence chez les nations vaincues une volonté d’affirmer leur indépendance culturelle et de rechercher leurs racines populaires le plus loin possible. L'ossianisme forge des épopées nationales qui trouvent leur apogée dans le nationalisme romantique.

Ainsi, sans les Poèmes d'Ossian, Wagner n'aurait sans doute jamais écrit sa Tétralogie. Walter Scott s’en inspira, J.W. von Goethe inséra une traduction en allemand du poème Les chants de Selma dans une scène des Souffrances du jeune Werther . Johann Gottfried Herder écrivit Extrait d’une correspondance sur Ossian et les chants des peuples anciens au début du mouvement Sturm und Drang. En Hongrie, de nombreux écrivains furent influencés par les poèmes, dont Baróti Szabó, Mihály Csokonai, Sándor Kisfaludy, Ferenc Kazinczy, Ferenc Kölcsey, Ferenc Toldy et Ágost Greguss. János Arany, père de László, composa Homère et Ossian. Les poèmes exercèrent aussi une influence sur la musique romantique. Franz Schubert, en particulier, en reprit plusieurs en lieders. En France, Pierre Baour-Lormian traduisit McPherson, Jean-François Lesueur composa l'opéra Ossian ou Les Bardes créé en 1804, et Étienne-Nicolas Méhul son opéra Uthal en 1806. Chateaubriand et Musset, entre autres, y trouvèrent une inspiration lorsqu'ils introduisirent le modèle du poème en prose en français.

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Les poèmes d'Ossian traduits et lus par Werther lors de sa dernière entrevue avec Charlotte (le 22 décembre 1772, deux jours avant sa mort)

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"Un torrent de larmes, qui s’échappa des yeux de Charlotte, et soulagea son cœur oppressé, interrompit la lecture de Werther. Il jeta de côté le cahier, il prit la main de Charlotte, et versa des larmes amères. Elle appuyait sa tête sur son autre main, et couvrait ses yeux de son mouchoir. Leur émotion à tous deux était affreuse. Ils sentaient leur propre infortune dans la destinée de ces héros ; ils la sentaient ensemble, et leurs larmes s’unirent. Les lèvres et les yeux de Werther brûlaient le bras de Charlotte, un frissonnement la saisit ; elle voulut s’éloigner : la douleur et la pitié l’accablaient et la tenaient enchaînée. Elle exhala un soupir, essayant de se remettre, et pria Werther en sanglotant de continuer sa lecture. Elle le priait d’une voix toute céleste : il trembla, son cœur éclatait ; il prit le cahier, et lut, d’une voix entrecoupée :

« Pourquoi me réveilles-tu, souffle du printemps ? Tu me caresses, et tu dis : « Je baigne la terre de la rosée du ciel. « Mais il approche, le temps où je dois me flétrir ; elle approche, la tempête qui dévastera mon feuillage. Demain le voyageur viendra ; il viendra, celui qui vit ma beauté ; ses yeux me chercheront dans la campagne, et ne me trouveront pas. »

Toute la force de ces paroles saisit l’infortuné. Il se jeta aux pieds de Charlotte, dans le dernier désespoir ; il lui prit les mains, les pressa contre ses yeux, contre son front, et un pressentiment de son affreux dessein sembla traverser l’âme de Charlotte. Hors d’elle-même, égarée, elle pressa les mains de Werther, elle les pressa contre son sein, se pencha vers lui avec une douloureuse émotion, et leurs joues brûlantes se touchèrent. Le monde n’existait plus pour eux. Il entoura Charlotte de ses bras, la pressa contre son cœur, et couvrit de baisers furieux ses lèvres tremblantes.

« Werther ! s’écria-t-elle, d’une voix étouffée, en se détournant, Werther !… »,

Et, d’une main faible, elle l’écartait de son sein.

« Werther ! » s’écria-t-elle encore, avec le ton contenu du plus noble sentiment.

Il ne résista point, il la laissa échapper de ses bras, et se prosterna devant elle, comme égaré. Elle se leva avec violence, et, dans un égarement douloureux, palpitante d’amour et de colère, elle dit :

« C’est la dernière fois, Werther ! vous ne me verrez plus.»

Et jetant sur le malheureux un regard plein d’amour, elle courut dans la chambre voisine et la ferma sur elle. Werther lui tendait les bras : il n’osa pas la retenir. Il était gisant sur le plancher, la tête sur le canapé, et il resta dans cette position plus d’une demi-heure. Enfin quelque bruit vint le rappeler à lui-même. C’était la servante qui se disposait à mettre la table. Il allait et venait dans la chambre, et, lorsqu’il se vit seul de nouveau, il s’approcha de la porte du cabinet, et dit à voix basse :

« Charlotte, Charlotte, encore un mot seulement, un adieu ! »

Elle garda le silence. Il pria, il attendit, puis il s’arracha de cette place, en s’écriant :

« Adieu, Charlotte ! Pour jamais, adieu ! »

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Le Roman de Werther, de Max Ophuls (film, 1938)

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