top of page

Goethe (1749-1832)
et Werther

Quelques extraits éclairants de l'article de Roland Krebs, « « Les souffrances du jeune Werther » lues par Goethe », Revue germanique internationale, 12 | 1999, 47-59.

​

Werther à sa parution se heurta à l’opposition de l’orthodoxie religieuse et aux réserves éthico-sociales de la critique « éclairée », tandis qu’il fut accueilli avec enthousiasme par les lecteurs « sensibles » qui s’identifièrent au héros. Se sentant doublement incompris, Goethe explicita la dimension anthropologique de l’œuvre en présentant le roman comme l’histoire d’une maladie mortelle. Quand, dans un second temps, il développa cette grille de lecture, il lui donna un sens nouveau : elle lui servit maintenant à critiquer les excès de l’individualisme moderne et à affirmer une éthique du renoncement. Mais la problématique werthérienne continua à préoccuper Goethe sa vie durant.

​

[...]

"Dès la seconde édition en 1775 la seconde partie est précédée d’une ferme mise en garde : « Tu le pleures, tu l’aimes, chère âme, / Tu sauves sa mémoire de l’opprobre. / Vois, de son caveau son fantôme te fait signe : / Sois un homme et ne suis pas ma voie. »"

[...]

"Goethe — on le sait —, de son côté, se montrera toujours plus critique envers la dysharmonie des facultés humaines, de la relation entre le sujet et le monde, l’individu et la société, qu’il diagnostique dans la culture moderne. Désordres dans la conduite de la vie, stagnation intérieure et aliénation, infidélité par rapport à sa loi personnelle de développement, ébranlement par des passions violentes, deuils mal surmontés, repli sur soi, perte du contact avec le monde, narcissisme et autisme, aigreur et esprit de critique systématique, influence négative des personnalités morbides, autant de facteurs pathogènes que Goethe n’a cessé de décrire36.

​Une bonne partie de son œuvre peut, de ce fait, être considérée comme une tentative de corriger les excès de l’individualisme moderne, les prétentions exagérées du Sujet. L’« inentamable santé » de l’homme antique vantée dans l’essai sur Winckelmann, santé qui repose en particulier sur la confiance en soi, l’action sur le présent, la soumission au destin sera à maintes reprises présentée comme un modèle.

[...]

En réalité, ni dans sa vie ni dans son œuvre, Goethe n’en aura jamais véritablement fini avec Werther et ce qu’il représente et on serait tenté de dire que c’est heureux. Non seulement ressurgissent constamment des personnages de mélancoliques morbides comme Tasso, « un Werther au superlatif »selon le mot fameux de Jean-Jacques Ampère approuvé par Goethe, Faust tenté par le suicide ou cet Éduard des Affinités Electives qui n’a d’autre talent que celui qu’il manifeste pour la passion destructrice, mais Goethe évoque lui-même le fantôme de Werther lors de l’ultime crise existentielle de sa vie. Dans le poème A Werther qui ouvre La Trilogie de la passion, le plus désespéré, il entame un dialogue pathétique avec sa création : « Rester était mon lot, partir était le tien : / Tu partis donc – et tu n’as pas beaucoup perdu. » La vie y est décrite comme une promesse non tenue de bonheur, comme un conflit permanent entre les aspirations confuses d’un Moi intérieurement divisé et le monde. Si le poème évoque la trajectoire de Werther jusqu’à sa mort tragique, c’est pour mieux évoquer le destin du survivant : « Tu nous laissas aux joies et aux douleurs d’ici-bas / Des passions la voie incertaine de nouveau / Dans son labyrinthe nous entraîna. » Celui-ci fait à cet instant même l’expérience de l’agonie morale de la séparation, analogon de la mort physique subie par son héros : « La quitter c’est mourir. » Ainsi semble se dessiner une sorte de permanence du wertherisme, un « Werther und kein Ende » en quelque sorte. Mais la fin du poème rappelle que ce qui distingue fondamentalement le poète de sa créature, le pouvoir de création poétique, est aussi ce qui le sauve : « Combien nous émeut le poète qui chante / Pour conjurer la mort que la séparation apporte. » Le poème suivant, l’Elégie de Marienbad, peut donc s’ouvrir sur la citation de Tasso :« Et quand l’homme dans ses tourments reste muet / Un Dieu me donna de dire ma souffrance » et le cycle de se conclure sur le poème Aussöhnung, la réconciliation avec la vie, par le renoncement."

[...]

​

Du Sturm und Drang au classicisme de Weimar

​

Le classicisme de Weimar (Weimarer Klassik ou Weimarer Klassizismus) est un mouvement littéraire allemand de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle, marqué par l'activité d'un quatuor d'écrivains installés dans la ville de Weimar : Christoph Martin Wieland (1733-1813), Johann Gottfried von Herder (1744-1803), Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) et Friedrich von Schiller (1759-1805). Le terme désigne en particulier la période qui suivit le premier voyage en Italie de Goethe en 1786, et se prolongea jusqu'à la mort de Schiller en 1805. Un élément de grande importance en fut l'amitié entre ces deux poètes, qui dura de 1794 à 1805.

​

Sous l'influence du critique et archéologue Johann Joachim Winckelmann, qui avait publié ses Réflexions sur l'imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la peinture (1755) et une Histoire de l'art dans l'Antiquité (1764), Goethe et Schiller orientèrent leur œuvre littéraire vers une esthétique inspirée de l'art de la Grèce antique et des modèles classiques, valorisant l'unité organique et l'harmonie d'ensemble : art de noble simplicité et calme grandeur, selon les mots de Winckelmann.

Cette conception de l'art contraste avec celle que développait autour d'Iéna le mouvement contemporain qu'était la première vague du romantisme allemand. On comprend ainsi les critiques persistantes et piquantes de Goethe à l'égard de celui-ci. Après la mort de Schiller, la fidélité à ces principes éclaire en partie la nature des idées artistiques de Goethe, leur croisement avec ses réflexions scientifiques, et contribue à la cohérence de son œuvre.

Le classicisme de Weimar peut se voir aussi comme essai de conciliation entre la vivacité du sentiment, mise en relief par l'Empfindsamkeit et le Sturm und Drang, et la clarté de la pensée héritée des Lumières (Aufklärung). Le concept d'harmonie (ou aussi de totalité), perçu comme élément fondamental de la culture grecque, y est central ; développé en un temps de bouleversements politiques et sociaux, il n'est ni aspiration à une perfection platonicienne, ni un idéalisme universel. Suivant l'exemple de l'idéal artistique de l'Antiquité, on recherche l'achèvement et la concordance du contenu et de la forme. Une même œuvre d'art peut allier des approches objectives et subjectives de la poésie - en d'autre mots, « classicisme » et « romantisme » - pour atteindre à l'excellence. Cette aspiration à l'harmonie des contraires est caractéristique du classicisme de Weimar.

Le débat sur la Révolution française et ses idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité, dont l'influence se fit sentir sur tout le monde culturel allemand (par ex. la musique de Beethoven), sont un thème fondamental du classicisme de Weimar. Tandis que Goethe recherchait dans la nature un modèle de relation universelle entre tous les phénomènes, l'histoire devint pour Schiller la source d'inspiration principale. D'autres traits caractéristiques sont :

  • la recherche d'un gouvernement de raison en une évolution progressive à long terme plutôt qu'un bouleversement violent (tel que la Révolution française), par un programme d'éducation esthétique : les hommes doivent être éduqués à l'humanité par l'art et la littérature et par là rendus mûrs pour des changements sociaux

  • l'idéal éducatif de la belle âme, l'homme tranquille et éclairé dont l'action, le devoir et les aspirations concordent

  • l'humanité et la tolérance

  • la recherche d'une harmonie en société, par opposition à l'égocentrisme du Sturm und Drang

  • l'intemporalité d'une époque tournée vers des sujets « au-dessus de toute influence du temps » que sont les véritables valeurs humaines

  • la corruption personnelle considérée comme juste châtiment des manquements passés aux mœurs et à la morale.

Le genre le plus important est le drame, suivi de la poésie lyrique et épique.

La sagesse de Goethe

​

La Trilogie de la passion (1823) : À Werther ; Elégie de Marienbad ; Réconciliation.

​

L'Élégie de Marienbad (en allemand : Marienbader Elegie) est un poème de Johann Wolfgang von Goethe. Il porte le nom de la ville thermale de Marienbad en Bohême (aujourd'hui Mariánské LáznÄ›) où Goethe, 73 ans, passa l'été 1821 et où il est tombé amoureux d'Ulrike von Levetzow, 17 ans. Goethe retourne à Marienbad à l'été 1823 pour fêter son anniversaire. à cette occasion, il demande à Ulrike, via son ami, Karl August, grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, de l'épouser. Elle refuse.

 

​

Ce poème, considéré comme l'un des plus beaux et des plus personnels de Goethe, reflète la tristesse dévastatrice que le poète a ressentie lorsque sa proposition de mariage a été refusée.

Il commence l'écriture du poème le 5 septembre 1823 dans un carrosse qui le transporte d'Eger (aujourd'hui Cheb) à Weimar et à son arrivée, le 12 septembre, il est terminé. Il ne l'a montré qu'à ses amis les plus proches.

Goethe n'est jamais retourné en Bohême. Il meurt à Weimar en 1832.

Ulrike von Levetzow, morte à 95 ans, ne s'est jamais mariée et n'a connu l'existence du poème qu'après la mort de Goethe.

Dernière stance du poème

Mir ist das All, ich bin mir selbst verloren,
Der ich noch erst den Göttern Liebling war;
Sie prüften mich, verliehen mir Pandoren,
So reich an Gütern, reicher an Gefahr;
Sie drängten mich zum gabeseligen Munde,
Sie trennen mich, und richten mich zugrunde.

Pour moi, l'univers est perdu, je suis perdu pour moi-même,
Qui naguère encore étais le favori des dieux ;
Ils m'ont éprouvé, ils m'ont prêté Pandore,
Si riche en trésors, plus riche en dangereuses séductions ;
Ils m'ont enivré des baisers de sa bouche qui donne avec délices ;
Ils m'arrachent de ses bras et me frappent de mort.

​

À cet aveu de souffrance amoureuse fait suite et réponse le poème Réconciliation. Brahms pouvait se reconnaître dans cette sagesse, lui qui a su dépasser la passion impossible que lui inspirait Clara, au nom d'une confiance dans la vie avec le bonheur qu'elle apporte, confiance qu'il a su expliquer à Clara dans sa lettre du 11 octobre 1857 : "Les passions doivent s'éteindre ou il faut les chasser". En cela, Brahms rejoint Goethe.​

​

RÉCONCILIATION.

La passion amène la souffrance… Quelle puissance calmera le cœur oppressé qui a tout perdu ? Où sont les heures si vite envolées ? Vainement tu avais eu en partage le sort le plus beau : ton âme est troublée, ta résolution confuse. Ce monde sublime, comme il échappe à tes sens !

Soudain s’élève et se balance une musique aux ailes d’ange ; elle entremêle des mélodies sans nombre, pour pénétrer le cœur de l’homme, pour le remplir de l’éternelle beauté : les yeux se mouillent ; ils sentent, dans une plus haute aspiration, le mérite divin des chants comme des larmes. Et le cœur, ainsi soulagé, s’aperçoit bientôt qu’il vit encore, qu’il bat, et voudrait battre, pour se donner lui-même, à son tour, avec joie, en pure reconnaissance de cette magnifique largesse. Alors se fit sentir (oh ! que ce fût pour jamais !) la double ivresse de la mélodie et de l’amour.

​

​

Testament

​

Aucun être ne peut tomber dans le néant ; l’essence éternelle ne cesse de se mouvoir en tous ; attachez-vous à la substance avec bonheur. La substance est impérissable, car des lois conservent les trésors vivants dont lunivers a fait sa parure.

La vérité était trouvée depuis longtemps ; elle a réuni les nobles esprits ; l’antique vérité, sachez la saisir. Fils de la terre, rendez grâce au sage qui lui apprit à circuler autour du soleil, et prescrivit à sa sœur la route qu’elle doit suivre.

Et maintenant portez votre vue au dedans de vous-mêmes : vous y trouverez le centre dont aucun esprit ne saurait douter. Vous n’y manquerez pas de règle, car la conscience indépendante est un soleil pour votre jour moral.

Vous devez ensuite vous fier aux sens ; leurs impressions ne sont jamais fausses, si votre raison vous tient éveillé. D’un vif regard, observez avec joie, et marchez avec fermeté comme avec souplesse, à travers les campagnes de la terre féconde.

Usez modérément de l’abondance ; que la raison soit partout présente, quand la vie jouit de la vie ; ainsi le passé est stable, l’avenir est déjà vivant, le moment est l’éternité.

Et, si vous avez enfin réussi à vous persuader pleinement que ce qui est fécond est seul véritable, vous sondez la providence universelle ; elle gouvernera selon ses vues ; associez-vous au petit nombre.

Et comme de tout temps le philosophe, le poète, suivant sa propre volonté, produisit en silence une œuvre favorite, vous viserez à la faveur la plus belle, car pressentir ce que sentiront les nobles âmes est la vocation la plus digne d’envie.

bottom of page