L'effet Werther
Controverse
Chez ses détracteurs comme chez ses partisans, le roman suscita de vives réactions : en effet, Goethe place au centre de son roman un personnage qui va totalement à l'encontre des règles et mœurs bourgeoises, le suicide était à l'époque un sujet tabou. Les autorités de Leipzig, où le livre paraît, constatant que cet ouvrage fait l'apologie du suicide et le jugeant immoral en interdisent la vente - en vain.
La « fièvre de Werther »
Wilhelm Amberg : Lecture du Werther de Goethe, 1870.
À la suite de la publication de l'œuvre, la « fièvre de Werther » s'empara de toute l'Allemagne, mais aussi de toute l'Europe : des femmes se retrouvaient en Charlotte, des hommes en Werther. La mode elle-même s'en trouva transformée : ces hommes s'habillaient de costumes jaune et bleu, comme la tenue de bal de Werther, et ces femmes portaient des robes roses et blanches, comme Charlotte.
Charlotte est pour le jeune Werther une issue qui lui permet d'échapper au monde réel. On remarque dans ses lettres que tout ce qui est relatif à Charlotte devient propice au songe et éveille l'homme lyrique enfoui au fond du jeune Werther. Lorsqu'il découvre que Charlotte est promise à Albert, Werther cherche à oublier dans la souffrance, mais n'y parvient pas. Le monde réel dans lequel il tente de continuer à vivre est relatif à Charlotte et accentue ses souffrances. Le seul moyen d'oublier l'échec de cet amour est de céder à la deuxième grande main inspiratrice : « La Mort ». Le jeune Werther se suicide en quête d'un autre monde.
Goethe s'exprime sur le succès de Werther
Référence : Les Souffrances du jeune Werther, trad. Pierre Leroux, introduction et notes Christian Helmreich, Le Livre de poche classique, 1999.
1 - Extrait du Voyage en Italie
"Rome, le 1er février 1788
Ils me poursuivent ici avec les traductions de mon Werther, me les montrent, demandent laquelle est la meilleure et veulent savoir si tout est vrai ! C'est un fléau qui me suivra jusque en Inde !".
2 - Extrait de Poésie et vérité, livre 13 (1814)
"L'effet de ce petit livre fut grand, démesuré même, surtout parce qu'il arriva exactement au bon moment. Car, de même qu'une petite mèche suffit pour faire exploser une charge fort puissante, de même la détonation qui se fit d'entendre dans le public fut-elle si violente parce que la jeunesse savait déjà miné ses propres fondements ; le bouleversement était si grand, parce que chacun fit paraître ses exigences excessives, ses passions insatisfaites et ses souffrances imaginaires."
3 - Extrait de : Eckermann, Conversations avec Goethe dans les dernières années de sa vie, 2 janvier 1824 :
Goethe : "À l'époque, je n'avais pas besoin de puiser ma mélancolie dans les influences générales du temps ou dans les lectures de tel ou tel auteur anglais. C'étaient des circonstances proches et personnelles qui me tenaient à cœur et occupaient mon esprit. C'étaient elles qui produisirent l'état d'âme dont sortit Werther. J'avais vécu, j'avais aimé et j'avais beaucoup souffert. Voilà ce qu'il en était !
À y regarder de plus près, la période de Werther si souvent évoquée n'est pas une étape de la culture universelle. Elle fait partie du cheminement individuel de tous ceux qui, doués d'un sentiment naturel libre, affrontent et doivent accepter les formes contraignantes d'un monde vieilli. Les limites du destin, les obstacles opposés à notre activité, les désirs insatisfaits ne sont pas des imperfections d'une période déterminée, mais celles de tout individu. Ce serait terrible si tout un chacun ne devait pas connaître, au cours de sa vie, une époque pendant laquelle Werther lui apparaîtrait comme s'il n'était écrit que pour lui."
Les œuvres influencées par Werther
Le roman influença aussi bien par sa forme que par son contenu de nombreux autres romans écrits par la suite, par exemple Oberman d'Étienne Pivert de Senancour (1779-1846), Adolphe, de Benjamin Constant (1767-1830), les Dernières lettres de Jacopo Ortis d'Ugo Foscolo (1778-1827), Sans dogme, roman psychologique de Henryk Sienkiewicz (1846-1916), ou encore La Confession d'un enfant du siècle de Musset.
Certaines œuvres renvoient également directement au Werther de Goethe. Friedrich Nicolai rédigea une mordante parodie de Werther ayant pour titre Les Joies du jeune Werther, dans laquelle Werther épouse Charlotte et donne naissance à beaucoup d'enfants, accédant ainsi au bonheur. Le deuxième roman de Julien Gracq, Un beau ténébreux, y fait explicitement référence. Le Tchèque Bohumil Hrabal écrivit un roman intitulé Les Souffrances du vieux Werther, et Thomas Mann l'amusant Charlotte à Weimar ; Jules Massenet en tira l'opéra Werther.
Les souffrances du jeune Werther a lancé le romantisme en France. Cette œuvre a influencé des auteurs comme Victor Hugo, Alfred de Vigny et Alfred de Musset dans des œuvres comme Hernani, Chatterton et Lorenzaccio.
Sténie ou les erreurs philosophiques d'Honoré de Balzac est aussi apparue comme une œuvre inspirée par celle de Goethe.
Dans le romantisme les héros sont aussi lyriques et s'épanchent sur leurs émotions. La lettre du 10 mai est représentative : « il règne dans mon âme tout entière une merveilleuse sérénité, semblable à cette douce matinée de printemps que je savoure de tout mon cœur. »
Thomas Mann dit du roman qu'« il est un chef-d'œuvre, un sentiment ravissant et un sens précoce qui font un mélange quasi-unique. Son thème est la jeunesse et le génie et il est lui-même né de la jeunesse et du génie »
L'effet Werther
En 1974, le sociologue américain David Phillips a forgé l'expression « effet Werther » pour qualifier ce phénomène de psychologie sociale selon lequel la médiatisation d'un suicide entraînerait, par contagion, une vague de suicides dans la population. Perçu par les lecteurs comme une solution parmi d'autres à une série de problèmes personnels, le suicide serait ainsi en quelque sorte « légitimé » par les médias. Et par conséquent adopté par des personnes rencontrant des problèmes personnels. Le suicide de Marilyn Monroe ou, en 1986, de Yukiko Okada sont deux exemples bien connus à l'origine d'un effet Werther.