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PROUST EN CHAUSSON(s). 

Concert-spectacle du Centre de musique de chambre de Paris,

enregistré salle Cortot le 14 janvier 2021

 

Proust nous parle de la musique pendant que l'oeuvre se joue

Voici les extraits de La Recherche lus et interprétés par le comédien Léo Doumène





 

I. Première écoute 

 

Marcel Proust (sur la musique)

 

“ Au-dessous de la petite ligne du violon, mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d’un coup chercher à s’élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. ”

 

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“ Peut-être est-ce parce qu’il ne savait pas la musique qu’il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales [....] Une impression de ce genre, pendant un instant, est pour ainsi dire sine materia. ”

 

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“ Sans doute les notes que nous entendons alors, tendent déjà, selon leur hauteur et leur quantité, à couvrir devant nos yeux des surfaces de dimensions variées, à tracer des arabesques, à nous donner des sensations de largeur, de ténuité, de stabilité, de caprice. ”

 

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“ Mais les notes sont évanouies avant que ces sensations soient assez formées en nous pour ne pas être submergées par celles qu’éveillent déjà les notes suivantes ou même simultanées. ”

 

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“ Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, [...] si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. ”

 

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“ Il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. ”

 

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“ Cette fois il avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières,

dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu. ”

 

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“ D’un rythme lent, elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis. ”

 

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“ Puis elle disparut. ”

 

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“ Comme si la musique avait eu sur la sécheresse morale dont il souffrait une sorte d’influence élective, il se sentait de nouveau le désir et presque la force de consacrer sa vie. ” 



 

II. Une année d’oubli 


 

III. Deuxième écoute 

 

“ Swann y croyait distinguer maintenant du désenchantement. [...] Il la considérait moins en elle-même  – en ce qu’elle pouvait exprimer pour un musicien qui ignorait l’existence et de lui et d’Odette quand il l’avait composée, et pour tous ceux qui l’entendraient dans des siècles – (moins en elle-même) que comme un gage, un souvenir de son amour. ”

 

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“ Aussi quand le pianiste eut fini, Swann s’approcha-t-il de lui pour lui exprimer une reconnaissance dont la vivacité plut beaucoup à Mme Verdurin.

« Quel charmeur, n’est-ce pas, dit-elle à Swann ; la comprend-il  assez, sa sonate, le petit misérable ? Vous ne saviez pas que le piano pouvait atteindre à ça. C’est tout, excepté du piano, ma parole ! Chaque fois j’y suis reprise, je crois entendre un orchestre. C’est même plus beau que l’orchestre, plus complet. » ”



 

IV. Troisième écoute 

 

“ Quand après la soirée, se faisant rejouer la petite phrase, il avait cherché à démêler comment à la façon d’un parfum, d’une caresse, elle le circonvenait, elle l’enveloppait, il s’était rendu compte que c’était au faible écart entre les cinq notes qui la composaient [...] qu’était due cette impression de douceur rétractée et frileuse ; mais en réalité il savait [...] que le champ ouvert au musicien n’est pas un clavier mesquin de sept notes, mais un clavier incommensurable, encore presque tout entier inconnu, où seulement çà et là, séparées par d’épaisses ténèbres inexplorées, quelques-unes des millions de touches de tendresse, de passion, de courage, de sérénité, qui le composent [...] ont été découvertes par quelques grands artistes.

 

Il y avait là d’admirables idées que Swann n’avait pas distinguées à la première audition et qu’il percevait maintenant, comme si elles se fussent, dans le vestiaire de sa mémoire, débarrassées du déguisement uniforme de la nouveauté. ” 

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“ La suppression des mots humains, loin d’y laisser régner la fantaisie, comme on aurait pu croire, l’en avait éliminée ; [...] Déjà la petite phrase évoquée agitait comme celui d’un médium  le corps vraiment possédé du violoniste.  Swann savait qu’elle allait parler une fois encore. 

[...]

Elle reparut, mais cette fois pour se suspendre dans l’air et se jouer un instant seulement, comme immobile, et pour expirer après. ” 

[...]

 

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“ « C’est prodigieux, je n’ai jamais rien vu d’aussi fort… rien d’aussi fort depuis les tables tournantes ! » ” 

 

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“ Tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui s’étaient réveillés

[...] Et Swann aperçut, immobile en face de ce bonheur revécu,  un malheureux qui lui fit pitié parce qu’il ne le reconnut pas tout de suite,  si bien qu’il dut baisser les yeux pour qu’on ne vît pas qu’ils étaient pleins de larmes. C’était lui-même. ”



 

V. Écoute d’ensemble

 

“ Je me demandais si la musique n’était pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être – s’il n’y avait pas eu l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées – la communication des âmes. 

Mais ce retour à l’inanalysé était si enivrant qu’au sortir de ce paradis le contact des êtres plus ou moins intelligents me semblait d’une insignifiance extraordinaire. ”

 

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“ Son chant éternel [...] différent de celui des autres, où Vinteuil l’avait-il appris, entendu ? Chaque artiste semble ainsi comme le citoyen d’une patrie inconnue. ”

 

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“ On aurait dit que, réincarné, l’auteur vivait à jamais dans sa musique ; on sentait la joie avec  laquelle il choisissait la couleur de tel timbre, l’assortissait aux autres. [...] ”

 

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“ Vinteuil était mort depuis nombre d’années ; mais au milieu de ces instruments qu’il avait aimés, il lui avait été donné de poursuivre, pour un temps illimité, une part au moins de sa vie. [...] ”

 

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“ Si nous allions dans Mars et dans Vénus en gardant les mêmes sens, ils revêtiraient du même aspect que les choses de la Terre tout ce que nous pourrions voir. Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, 

 mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles. ”

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“ Enfin le motif joyeux resta triomphant, [...] c’était une joie ineffable qui semblait venir du Paradis [...] ”

 

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“...L’étrange appel que je ne cesserais plus jamais  d’entendre – comme la promesse qu’il existait autre chose, réalisable par l’art sans doute, que le néant que j’avais trouvé dans tous les plaisirs et dans l’amour même, et que si ma vie me semblait si vaine, du moins n’avait-elle pas tout accompli. ”


 

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