top of page

Quintette pour piano et cordes "La Truite”

Dans un petit ruisseau brillant

Jaillit dans une hâte joyeuse

Une truite enjouée

Qui passa comme une flèche.

Je me tenais sur la rive

Et regardais dans une douce paix

Le bain du poisson vif

Dans le petit ruisseau clair.

 

Un pêcheur avec sa canne

Se tenait au bord de l'eau

Et regardait avec sang-froid

Comme le poisson nageait.

Tant que la clarté de l'eau

Restait intacte, je pensais

Qu'il n'attraperait pas la truite

Avec sa canne à pêche.

 

Mais finalement le voleur trouva

Le temps long. Il rendit

Le petit ruisseau trouble

Et avant que j'aie compris,

Sa canne à pêche se dressa,

Le petit poisson s'agitait là,

Et avec la rage au cœur

J'ai regardé le poisson dupé.

 

Ce lied et ce quintette de Franz Schubert, composés sur un poème de son presque homonyme Christian Schubart, qui ne les connaît, qui ne les fredonne depuis leur création - en 1817 pour le lied, deux ans après pour le quintette ? Au fait, comment les fredonner ? Est-ce gai ? Est-ce triste ? La truite n’échappe pas à son rusé prédateur, le pêcheur qui trouble l’eau pour l'attraper au bout de sa ligne. Cela n’a rien de bien tragique car  on y associe naturellement, avec force clins d’œil égrillards entre copains, la chanson de Francis Blanche et des Frères Jacques relatant les manœuvres du chasseur amoureux et de sa plus ou moins innocente proie.La dernière strophe du poème de Schubart nous y invite : 

 

À la fontaine dorée

Vous les jeunes, vous vous attardez avec confiance,

Mais pensez à la truite,

Si vous voyez le danger, dépêchez-vous !

Généralement vous échouez par manque

De prudence, jeunes filles, voyez

Le séducteur avec sa canne à pêche !

Sinon vous pleurerez trop tard ! 

 

Mais Schubert le tendre, Schubert qui cache sa timidité sous ses allures de bon vivant, n'échappera, lui, ni aux blessures de l'amour ni à la flèche mortelle trop tôt reçue. Moins de 10 ans après ce quintette, en 1828, à trente et un ans, il suppliera en vain le "Sauvage Squelette Fauchant" de La Jeune Fille et la Mort, son grand quatuor composé en 1824. L’atmosphère de de La Truite est toujours là dans ce quatuor, mais assombrie par la terrible échéance. La jeune fille n'est plus ni si alerte ni si espiègle. Elle s'immobilise, encore désir mais déjà souvenir.  Elle est devenue belle et bonne et douce image, celle de l'égérie Sylvia, célébrée dans un autre lied, "réconfortante comme la tendresse de l'enfance".

 

Les jeunes filles de l'époque, trop sagement assises au piano dans leur salon Biedermeier entre leur Papa et leur Maman, sont décidément hors de portée. Leur petit maître de musique désargenté ne peut les aimer que de loin. Pour elles il compose ses lieder comme autant de déclarations d'amour et d'invitations au bonheur. Mais ailleurs se trouve la fin ultime de toute recherche ... 

 

La jeune fille

Va-t-en, va-t-en Sauvage squelette fauchant !

Je suis jeune, je t'en supplie, va-t-en !

Et laisse moi tranquille.

 

La mort

Donne moi ta main, toi qui es belle et tendre.

Je suis ton ami et ne viens pas te punir.

N'aie pas peur, je ne suis pas un sauvage

Dans mes bras tu trouveras le repos

L'œuvre a été composée en 1819, alors que Schubert n'avait que 22 ans et la gaieté du quintette reflète celle des circonstances de sa composition, lors d'un séjour d'été entre amis à Steyr, la ville natale du grand baryton Vogl qui avait fait une affaire personnelle de l'interprétation et de la promotion des lieder de Schubert. Cependant, elle ne fut pas publiée avant 1829, soit un an après sa mort. L'effectif instrumental est original : il comporte un piano, un violon, un alto, un violoncelle et une contrebasse (et non pas un piano et un quatuor à cordes comprenant deux violons). Cette formation permet au violoncelle d'être dégagé de sa fonction de  basse continue, reportée sur la contrebasse, et de pouvoir se déployer ainsi en variations. (Brigitte Massin p. 873)

 

Cependant, Schubert ne fut pas le premier à composer pour une telle formation, puisque Johann Nepomuk Hummel l'avait déjà retenue en 1802 pour son unique quintette avec piano.

 

La pièce est connue sous le nom « La Truite » car le quatrième mouvement est un thème varié sur un lied de Schubert, die Forelle (la truite), lui-même inspiré d'un texte de Schubart. Le quintette aurait été écrit pour Sylvester Paumgartner, un violoncelliste amateur, qui aurait suggéré à Schubert d'introduire des variations dans ce Lied. On peut retrouver des variations sur des Lieder dans deux autres pièces de Schubert, La jeune fille et la mort, ou la fantaisie Wanderer.Le sextolet ascendant faisant partie de l'accompagnement est utilisé comme motif tout au long du quintette, et des variantes apparaissent dans chaque mouvement, à l'exception du Scherzo ; il est généralement introduit par le piano.

 

Le manuscrit n'a jamais été retrouvé. A l'initiative de Vogl, une édition sera faite par Joseph Czerny, à Vienne, en 1829.

bottom of page